D’après un sondage Odoxa publié dans le Figaro d’hier, sept Français sur dix jugent que face à l’épidémie de coronavirus, le gouvernement manque de clarté et ne dit pas la vérité. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Cathy Bijou a interviewé Guillaume Didier, directeur général délégué de Vae Solis Communication, ancien porte-parole du ministère de la Justice, sur les critères essentiels d’une bonne stratégie de communication de crise.
Revue Politique et Parlementaire – Lors de son allocution du 12 mars, le président de la République a fait le choix de revenir aux notions d’État providence avec comme principes : la solidarité, la nation et la santé avant l’économie qui lui est si chère. Ce revirement est-il le marqueur des limites de la France macronienne qui célébrait l’avènement de la start–up nation ?
Guillaume Didier – Je n’aime pas ce terme de « revirement ». L’ordre des priorités est évidemment bouleversé par le terrible évènement auquel nous sommes confrontés.
Il me semble notamment que les valeurs liées à la réussite économique ne sont pas incompatibles, loin de là, avec celles de l’Etat providence.
Il est par ailleurs assez injuste d’opposer une communication politique peut être très inventive en période d’euphorie électorale ou post-électorale à la situation de crise sanitaire actuelle.
RPP – Faut-il rassurer en période de gestion de crise ? L’équilibre n’est-il pas périlleux à trouver ?
Guillaume Didier – Le défi à relever par l’exécutif est de réussir à la fois à gérer au mieux la crise sur le fond mais aussi à trouver la communication adaptée pour informer et rassurer. Informer consiste à délivrer des données fiables, avec le maximum de transparence possible. Rassurer c’est convaincre que la situation est gérée, que toutes les compétences sont mobilisées et que dans la tempête, le capitaine est à la barre et maîtrise la situation.
Il faut trouver la bonne posture, le ton adapté : un excès d’optimisme ou un sentiment de légèreté seront aussi dévastateurs qu’une communication anxiogène.
L’opinion publique doit avoir confiance dans la parole publique et l’information qui nous est régulièrement donnée y contribue incontestablement. Toute perte de légitimité a des conséquences immédiates mais aussi à moyen et long terme et viendra créer le pire scénario : rajouter une crise de confiance à la crise sanitaire.
RPP – Une communication de crise peut-elle souffrir de la moindre approximation ?
Guillaume Didier – En théorie, il est évident qu’une bonne communication de crise doit être précise, inattaquable sur le fond comme sur la forme et ne souffrir d’aucune approximation ni contradiction.
Mais ça, c’est de la communication in vitro. En pratique, tous les conseillers en communication qui ont eu à gérer des crises majeures savent que c’est presque mission impossible parce que les situations évoluent à chaque instant, et ce qui pouvait être une vérité il y a une heure peut être démenti une heure plus tard. Les donneurs de leçon n’ont en général jamais eu à connaître de vraies situations critiques. Plus que jamais, la situation actuelle doit appeler à l’humilité, aucun communicant n’a jamais eu à gérer une crise d’une telle ampleur.
Que l’évolution de la situation et son aggravation entrainent la fermeture des écoles puis celle des restaurants puis finalement le confinement alors que ces hypothèse avaient été formellement écartées quelques jours auparavant par le Gouvernement est à mon sens normale et on ne saurait retenir une erreur de communication.
Plus critiquables sont les consignes, contradictoires en apparence, des ministres qui viennent de manière désordonnée donner leurs recommandations dans les médias. Du « Restez chez vous » au « Reprenez le travail » en passant par « l’appel aux confinés à rejoindre l’armée de l’agriculture française » lancé par le ministre de l’Agriculture, toutes ces informations donnent une impression de totale improvisation et désorganisation à l’heure où les Français, confrontés à une situation que personne n’avait imaginé, ont besoin de clarté. Ainsi, il faudra plusieurs jours d’explications laborieuses pour que la sortie de Didier Guillaume appelant « l’armée des ombres » à rejoindre les agriculteurs commence à être comprise. La forme, une déclaration enflammée lors d’une interview matinale est venue nuire au fond, qui est un plan d’actions pour la filière agricole française confrontée brutalement au manque de mains d’œuvre. Pourtant, le mal est fait, cet épisode comme tant d’autres restera dans les mémoires comme un couac politique.
RPP – Des messages cohérents sont-ils essentiels en période de crise ?
Guillaume Didier – Pour gagner et conserver la confiance de l’opinion publique, la cohérence, la justesse et la fiabilité des messages sont essentiels.
A ce titre, la démultiplication des interventions des ministres quotidiennement dans les médias, si elle répond à une volonté louable de pédagogie et de transparence, est une source de fragilité.
Concentrés sur la résolution de la crise, enchaînant les réunions interministérielles, celles avec leur cabinet, et administrations, les rendez-vous avec les acteurs de leur domaine de compétence (organisations professionnelles et syndicales, experts, associations etc), c’est un exploit pour un ministre de réussir à préparer correctement ses interventions médiatiques. Il est ainsi étonnant que, plutôt que de se cantonner à des prises de parole ciblées dans la presse permettant de délivrer un message précis et fort, de nombreux ministres multiplient leurs interventions dans des émissions où ils sont invités à répondre aux questions des auditeurs ou téléspectateurs sur des cas particuliers. La volonté respectable de rester proche des Français et de les rassurer contribue à mon sens, dans la phase de crise aigüe où il doit prendre les bonnes décisions, à multiplier les risques de consignes contradictoires.
On réalise alors le manque cruel de porte-paroles officiels dans la majorité des ministères. Ces porte-paroles pourraient tenir ce rôle, laissant aux ministres le soin de gérer la crise, de communiquer de manière parfaitement maîtrisée quand cela est indispensable, le message étant décliné ensuite dans tous les médias par le représentant officiel de l’institution. Lorsque nous avions créé en 2007 le poste de porte-parole du ministère de la Justice, suivi quelques mois plus tard de celui du ministère de l’Intérieur, Franck Louvrier, responsable de la communication à l’Elysée avait appelé de ses vœux l’extension de ces fonctions dans tous les ministères. On mesure aujourd’hui les bénéfices qu’apporteraient des porte-paroles en particulier pour les ministères de l’Economie, de la Santé, des Transports ou de l’Education nationale.
RPP – Ces couacs ont-t-ils alimenté les doutes des Français à l’égard des propos de leurs responsables publics ?
Guillaume Didier – De facto on a assisté à des scènes de joggeurs, de familles qui prenaient des risques en défiant les règles de confinement non comprises.
La plupart des erreurs de communication sont liées à l’ampleur inédite de la crise et à son évolution rapide. Dans ce contexte, l’urgence est de rectifier le tir, de revoir la stratégie de communication et de renforcer la prudence absolue qui doit guider toute communication de crise.
Plus que les consignes contradictoires ou évolutives, ce sont le manque de transparence, les sentiments de dissimulation voire de mensonge qui sont dévastateurs. A titre d’exemple, la communication portée par Sibeth Ndiaye, porte-parole du Gouvernement, sur la question des masques de protection est particulièrement problématique, d’autant qu’elle tranche, et nuit, avec la communication claire et empathique du ministre de la Santé.
Plutôt que d’assumer, avec gravité, que la France ne disposant pas de stocks nécessaires, ces masques doivent être prioritairement réservés aux soignants, la porte-parole multiplie depuis le début de la crise les explications non convaincantes qui nuisent totalement à la crédibilité et à la confiance dans la parole publique. Le paroxysme étant l’idée que le port d’un masque pour le grand public n’est pas recommandé au prétexte qu’on « ne saurait pas l’utiliser, l’utilisation d’un masque ce sont des gestes techniques précis ».
RPP – Les séances d’information quotidiennes de Véran et Salomon créent-ils un sentiment de structure dans ce qui est une période intrinsèquement chaotique ?
Guillaume Didier – Les deux révélations de cette crise, notamment sur le plan de la communication, sont sans conteste le nouveau ministre de la Santé Olivier Véran et le Directeur général de la Santé, Jérôme Salomon dont les point-presse quotidiens sont devenus des références comme pouvaient l’être les conférences de presse du procureur de Paris François Molins en période d’attentats. Sur la forme d’abord, le ton, la posture, la sobriété sont exemplaires. Sur le fond, le souci de pédagogie, de transparence, d’empathie et de preuve de mobilisation, qui sont des critères essentiels d’une bonne stratégie de communication de crise sont rassurants, alors même que le bilan quotidien des personnes contaminées et décédées est particulièrement anxiogène.
Cette crise sanitaire majeure sans précédent dans la période contemporaine va sans aucun doute bouleverser l’appréhension par les décideurs publics et privés de la prévention des risques et de la communication de crise.
Plus que jamais, la question ne sera plus « allons-nous être touchés par une crise » mais « quand allons-nous l’être et sommes-nous prêts », prise de conscience salvatrice et jamais trop tardive.
Guillaume Didier
Directeur général délégué de Vae Solis Communication
Ancien porte-parole du ministère de la Justice