La journée du jeudi 26 mars restera comme une date historique dans l’échec de l’Union européenne : elle n’a pas réussi à faire face à une crise majeure mettant en cause sa survie. Devant le refus clair et net de certains pays, dont l’Allemagne, de faire un geste symbolique et majeur pour aider les pays les plus atteints par le Coronavirus, l’Europe menace de se disloquer. Réaction de Patrick Martin-Genier.
La journée avait pourtant bien commencé avec le sommet virtuel du G20 du matin présidé par le Roi Salman l’Arabie Saoudite (dirigeant au triste bilan en matière de droits de l’homme mais incontournable sur le plan géo-énergico-stratégique).
G20 : Un communiqué final insipide
Il convient d’exposer en liminaire que les éléments de langage du communiqué final, préparé avant même la fin du sommet du G20 par visio-conférence, étaient tellement insipides que ne gênant personne, le communiqué pouvait être publié en l’état sans que les « sherpas » et autres conseillers diplomatiques n’aient à travailler dessus jusqu’à une heure avancée. « Nous sommes fermement résolus à présenter un front uni contre cette menace commune » faisaient valoir les chefs d’Etat et de gouvernement qui décidaient d’injecter pour plus de 5 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale pour contrer les répercussions sociales, économiques et financières de la pandémie.
Toutefois, ce front uni pour des dispositions a minima se dispersait le jour même par la décision de la Chine de fermer totalement ses frontières aux ressortissants du monde entier notamment de l’Union européenne, accusés de faire de nouveau entrer le covid-19 dans un pays « assaini ». Le Congrès des États-Unis venait quant à lui de voter un plan de plus de 2 000 milliards de dollars destiné à l’économie américaine même si les spécialistes estiment qu’un tel plan ne suffira pas.
Conseil européen : un échec largement prévisible
L’échec du Conseil européen était prévisible : ce dernier, programmé de longue date, intervenait déjà dans un contexte de mésentente généralisée sur la stratégie économique et financière de l’Europe.
Pour mémoire, le précédent Conseil européen qui s’était déroulé le 20 février 2020 avait déjà échoué en raison de l’impossibilité d’adopter un cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027.
Depuis plusieurs mois, l’Europe se divise entre pays regardés comme « vertueux » ou « pingres » sur le plan budgétaire et ceux considérés comme « dépensiers » ou « corrompus » selon les expressions qui ont été employées.
En début de semaine, dans le cadre de la préparation de la rencontre, un courrier a été signé par plusieurs pays dont l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et la France en vue de relancer l’économie européenne par le mécanisme des « corona-bonds », moyen de mutualiser la dette de ces pays grâce à l’Union européenne.
L’échec était donc largement prévisible ni les pays de la « ligue hanséatique » du Nord, ni l’Allemagne, n’ayant cosigné ce courrier ce qui signifiait, avant même le début de la conférence, leur refus d’aller plus loin sur cette voie, rejet qui était déjà connu depuis longtemps.
L’Allemagne qui n’est endetté qu’à hauteur de 60 % de son PIB (contre 100 % en France et 132 % en Italie) et qui a présenté un excèdent budgétaire de presque 50 milliards d’euros en 2019, ne veut pas contribuer à ce qu’elle considère comme une gestion dispendieuse des finances publiques, même si son taux de croissance s’est largement ralenti depuis l’année dernière.
L’Union européenne ou le symbole d’une solidarité en lambeaux
Il était donc particulièrement risqué de mettre cette question de nouveau à l’ordre du jour alors que de surcroît, la seule urgence à ce jour était d’ordre sanitaire.
Certes le débat économique, budgétaire et politique est crucial notamment sur le point de savoir si les instruments financiers à la disposition de l’Europe sont suffisants pour faire face à la situation (mécanisme européen de stabilité, banque centrale européenne entre autres).
Toutefois hier, il eut été pertinent et primordial, sur le plan politique, de faire preuve d’une empathie indispensable vis-à-vis des pays qui souffrent.
Tel n’a pas été le cas, les considérations de politique budgétaire l’emportant largement sur le reste.
Les réactions de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal ont été violentes. Le Premier ministre portugais António Luis Santos da Costa jugeait même, dans la soirée, l’attitude du ministre néerlandais des Finances s’interrogeant sur les marges de manœuvres budgétaires de l’Italie « répugnante » et « mesquine ».
L’ultimatum de l’Italie à l’Europe
La réaction du président du Conseil italien n’était pas moins violente estimant, quant à lui, que le mécanisme européen de stabilité et les instruments du passé ne suffisaient pas, concluant visiblement agacé : « vous pouvez les garder car l’Italie n’en pas pas besoin ».
Ces Etats ont donné quinze jours à l’Union européenne pour trouver une solution qui leur conviennent.
On ne voit pas comment une telle divergence entre les pays du Nord et du Sud pourraient se résorber dans ce laps de temps.
« L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises » écrivait Jean Monnet. Aujourd’hui, les crises succèdent aux crises mais on ne voit toujours pas pointer les solutions.
L’Union européenne doit se ressaisir sans quoi, l’aventure de la construction européenne s’achèvera et elle sera condamnée à n’être plus qu’une vaste zone de libre-échange sans ambition politique, ce qui consacrerait la victoire posthume des Brexiters et de Boris Johnson.
Patrick Martin-Genier
Essayiste spécialiste des questions européennes et internationales
Enseignant en droit public à Sciences-Po
Administrateur de l’Association Jean Monnet