Quelle période agitée pour les acteurs politiques ! Bousculés par la crise générale de confiance des citoyens à leur égard. Déstabilisés par la crise sociale des Gilets jaunes. En mal de cohérence face à la pandémie de la Covid. Les voilà confrontés à une importante vague dépressive qui se forme dans les plis des crises sanitaire, économique et sociale.
On pourrait, spontanément, être dubitatifs sur leur préparation à une telle ligne de front. Ce doute a, pour contrepartie, le rôle essentiel d’une voix qui assied autorité et confiance, qui parle à chacun dans son intimité tout en le fondant dans le groupe.
On ne pourra durablement laisser s’installer un quelconque flottement car la vague de submersion est devant nous, probablement vers la fin du premier trimestre 2021.
Le thème est large. Restons sur celui de la dépression. On assiste à des mises en place dans l’urgence, ce qui n’exclut nullement la pertinence et l’efficacité. L’Etat ouvre sa plateforme d’appels. Des territoires, à l’instar du département de la Haute-Garonne, ajoutent à ces potentiels d’écoute la présence humaine des réseaux sociaux de proximité.
Bien sûr, la pandémie a donné une amplification d’une tendance à la dépression collective qu’on avait pu repérer depuis longtemps, en particulier en France (cf. par exemple mon article dans le Huffpost : 18/06/2018 « Pourquoi la société actuelle favorise le boom de la dépression en France » mais dès 1999 dans une tribune pour la Revue de psychanalyse « La Célibataire » sous le titre « Déprimariat »).
L’ampleur du phénomène nécessite une adaptation et une épaisseur de la réflexion et des actions qui vont profondément marquer le futur de la France.
A ceux qui s’interrogeaient sur l’émergence d’un « Après », qu’ils ne se posent plus de questions, ils n’auront pas le choix.
Il faudra se souvenir qu’il n’est pas de bonne option que de traiter un dépressif comme quelqu’un qui a besoin d’être assisté, il doit être considéré comme entièrement responsable de lui-même. Il faudra trouver la bonne distance, la bonne qualité d’écoute, s’adresser à lui, directement, que ça lui parle. D’un autre côté, une perception du futur est requise. Non comme un idéal « onirisé » mais comme une voie, une vision.
Cet article ne peut être la forme pour aborder la multiplicité et la complexité du sujet. Je voudrais ne dire qu’une chose, positive, je l’espère – les jeunes et la culture, mieux la créativité, doivent prendre une place centrale. C’est très loin d’être le cas. C’est dramatique dans une société qui, il y a peu, ne parlait que d’inventivité, d’innovation.
Prenons en compte l’hypothèse que notre société souffre depuis longtemps d’une crise de son progrès et d’un sentiment de déshumanisation qui l’accompagne.
La pandémie est consciemment, ou pas, perçue comme un élément de ce puzzle re-sentimental associée à ce mouvement de déshumanisation.
Deleuze et Guatari, dans leur célèbre article « Mai 68 n’a pas eu lieu » pointait le problème : « Il y a eu beaucoup d’agitations, de gesticulations, de paroles, de bêtises, d’illusions en 68, mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est que ce fut un phénomène de voyance, comme si une société voyait tout d’un coup ce qu’elle contenait d’intolérable et voyait aussi la possibilité d’autre chose. C’est un phénomène collectif sous la forme : « Du possible, sinon j’étouffe ». Le possible ne préexiste pas, il est créé par l’événement. C’est une question de vie. L’événement crée une nouvelle existence, il produit une nouvelle subjectivité (nouveaux rapports avec le corps, le temps de la sexualité, le milieu, la culture, le travail…) ».
A l’heure de la distanciation et des masques, quand la peau se rétracte, se cache et que l’échange social est amputé, il faut affronter la réalité dans sa crue perception de vie et des émotions.
Puisque le temps est à la mobilisation, créons après l’exception culturelle, une seconde phase d’exception créative française. Transformons l’énergie des dés-espoirs en insurrection créatrice.
La culture ne se résoud pas dans des nombres mais elle a besoin, cruellement de moyens.
Pierre Larrouy
Essayiste