A quelques jours du premier anniversaire de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 Août, nous assistons à un curieux ballet diplomatique, passé presque inaperçu.
Au cœur de l’été, deux diplomates postées dans un pays, le Liban, se rendent dans un pays tiers où elles n’ont aucune accréditation, l’Arabie Saoudite, pour solliciter son aide, se substituant visiblement aux autorités libanaises.
Ont-elles agi en leur nom ? Ou au nom des pays qu’elles représentent ? Peut-être au nom des deux ? Curieux et insolite ?
Les deux ambassadrices française et américaine, Anne Grillo et Dorothy Shea, à Ryad, veulent, on le devine, pousser le Royaume à soutenir financièrement le Liban exsangue « pour faire pression sur les responsables du blocage », comme indiqué dans un communiqué publié mercredi par l’ambassade de France.
Un message publié hier sur les pages Twitter des deux ambassades a souligné qu’au cours de ces « importantes consultations trilatérales », que « les deux diplomates ont rencontré le conseiller du roi et responsable du volet humanitaire au royaume, Abdallah Rabiaa » rappelle le quotidien libanais L’Orient-Le Jour.
La France et l’Europe n’ont pas pu trouver de solution à la crise libanaise, se heurtant au mur du refus des dirigeants niant tout changement dans leur fonctionnement, totalement anachronique, préférant privilégier leur situation et les systèmes de corruptions mis en place depuis tant d’années.
Le Moyen-Orient confirme, s’il en était besoin, qu’il est bien la terre de tous les possibles, mais cette opération, qui est de loin la plus inédite, démontre outre un mépris pour le peuple libanais, l’apathie et l’inutilité de la communauté internationale et de ses démembrements. Plus grave, elle semble totalement ignorer le contexte géopolitique.
La démarche des ambassadrices exprime, je l’affirme, un mépris certain des aspirations des Libanais et de leur lutte contre la corruption.
Les États-Unis et la France pourraient plutôt décider de soutenir énergiquement les actions engagées contre les fossoyeurs de l’État libanais, ces milliardaires enrichis sur le dos du pays qui possèdent en France, en Suisse, aux USA ou ailleurs des fortunes colossales acquises grâce à la corruption endémique systémique qu’ils ont mise en place.
La communauté internationale et la France en particulier, devraient apporter leurs concours aux actions de l’association Sherpa, qui piste les biens mal acquis et a engagé, récemment, une action contre le directeur de la banque centrale libanaise pour soupçons de détournement.
Cette défiance à l’égard des politiques a été exprimée après l’explosion du port de Beyrouth ; nombreux, en fait unanimes, ont été les libanais qui ont mis en garde les bailleurs internationaux pour que l’aide internationale promise ne soit pas détournée, préférant qu’elle ne fusse pas versée.
Un an bientôt après ce drame, la situation est toujours aussi désespérée. Loin de Ryad, l’argent du Liban se trouve dans les coffres en Suisse, en France, au Luxembourg et ailleurs, dans les quartiers chics de nos capitales, c’est d’abord là qu’ils sont allés le chercher.
Le voyage à Ryad néglige la volonté du peuple libanais qui implore l’avènement d’une troisième république laïque et une réforme de leur pays usé par la corruption et le système confessionnel.
En agissant ainsi, la France et les États Unis signent la reddition, sans combat, de la communauté internationale qui semble avoir renoncé à une action de fond coordonnée, de sauvetage de ce qui fut la Suisse du Moyen-Orient livrée aux gémonies des factions rivales bien installées et confortées par son apathie.
Cette action n’est pas anecdotique, non plus d’un point de vue géostratégique.
On se souvient des déboires de Saad Hariri en Arabie Saoudite.
Remettre d’une façon ou d’une autre l’Arabie Saoudite dans le jeu libanais serait lui porter le coup de grâce, comme faire effondrer un fragile mikado, menacé par le moindre éternuement.
Remettre l’Arabie Saoudite au cœur du système libanais c’est exciter tout aussi sûrement les tensions avec le Hezbollah, le bras armé, les yeux et les oreilles de Téhéran dans le pays.
Cette démarche de deux ambassadrices à Ryad ne correspond à aucune stratégie, au mieux elle est inutile, au pire elle opacifie encore plus l’horizon déjà bien sombre du Liban.
Les solutions pour le Liban résident dans la lutte contre la corruption, le soutien au peuple libanais dans l’avènement d’une troisième république laïque et surtout la fin d’une vision passéiste, d’un Liban sous protectorat.
Si le Liban est aujourd’hui dans cette situation, la communauté internationale et la France en particulier en sont responsables.
En ayant fermé les yeux depuis des années sur la corruption institutionnelle, en ayant créé un concept inédit de distinction entre « Hezbollah politique » et « Hezbollah militaire », en ayant cédé à toutes les sirènes de Byblos.
Non, décidément cette démarche des deux ambassadrices est au mieux une humiliation de plus pour le Liban et pour la France, au pire une faute diplomatique.
Nathalie Goulet, Sénateur de l’Orne
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