Le choix politique est fait de refuser la boucle prix-salaires pour affirmer encore la spirale subventions-dette-impôts.
Avec l’inflation et la question du pouvoir d’achat « La société de supermarché – Rôle et place de la grande distribution dans la France contemporaine »1 appelle à poursuivre la réflexion des auteurs. Oui, la société de supermarché organise les rapports sociaux mais pas seulement.
Oui, les prix bas sont devenus le mantra de la grande distribution qui s’est construit un rôle « d’amortisseur économique » qu’elle sublime aujourd’hui au nom de la défense du pouvoir d’achat.
La voilà prête à revendiquer de ce fait un rôle politique « allant parfois jusqu’à jouer sur le même terrain que la puissance publique » et se présenter comme un possible « service public de l’alimentation »2. La vocation nouvelle des supermarchés serait d’être entreprises providence3… sur cette lancée faut-il s’attendre à ce que la grande distribution se présente bientôt comme la 6ème branche de la Sécurité sociale ?
L’État qui se méfie de l’économie de marché, qu’il encadre et réglemente toujours plus, fait-il le pari de l’économie de supermarché jusqu’à déléguer à la grande distribution la défense du pouvoir d’achat après s’être épuisé à le subventionner ?
La grande distribution nous offre les bas prix et le choix (jusqu’à pousser à la consommation) et il faut la féliciter pour cela, c’est son métier et elle le fait bien ! Mais il faut raison garder, elle n’est pas entreprise providence et ne sera pas service public de l’alimentation, ce n’est pas sa raison d’être ! C’est la raison économique qu’il faut retrouver pour se souvenir que « le bas prix des denrées fait baisser le salaire, diminue (son) aisance, procure moins de travail et d’occupations lucratives »4. La leçon est ancienne mais elle vaut encore, l’économie low-cost en est l’exemple illustratif (emplois peu qualifiés, précaires, protection sociale low-cost elle aussi). François Quesnay ajoutait que la spirale bas prix-baisse du salaire finissait par « anéantir les revenus de la nation », le constat reste d’actualité.
La grande distribution n’a pas vocation à être un providentiel service public de l’alimentation. Elle connaît la leçon de Quesnay et pour que le prix du panier de la ménagère soit bas, c’est toute la chaîne de création de la valeur qui doit être à bas coût, depuis le fournisseur jusqu’à l’employé. Le bas prix fait baiser la rémunération du fournisseur, du producteur (que l’État doit subventionner) et les salaires (que l’État doit aider).
Le supermarché-providence est un trompe l’œil, pour le consommateur et pour l’État aussi.
Le consommateur s’est d’abord fait logisticien en poussant et remplissant son charriot, il est aujourd’hui « opérateur de caisse » quand les caisses sans caissiers se multiplient anéantissant, pour partie, les finances sociales et fiscales de l’État. Pour reprendre un slogan des années 70, la grande distribution écrase les prix, mais pas que les prix !
S’il s’en remet à la grande distribution pour la défense du pouvoir d’achat, alors l’État s’est perdu dans le mirage de l’économie à bas coûts ! Après Quesnay, il faut aussi en appeler à Frédéric Bastiat qui alertait « Entre un mauvais et un bon économiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir (…) il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa.5 » … une leçon qui vaut autant pour les économistes que pour les politiques. La conséquence immédiate favorable c’est une inflation contenue par comparaison avec les pays de l’UE (et la grande distribution n’en est pas le seul agent). Les conséquences ultérieures funestes ? Nombreux parient que ce sera impôts et dette, parions avec eux.
Michel Monier
Membre du Think tank CRAPS
Ancien DGA de l’Unédic
- Jérôme Fourquet et Raphaël Llorca, Fondation Jean Jaurès, juillet 2022. ↩
- Alexandre Bompart, PDG de Carrefour, s’adressant à ses collaborateurs durant le premier confinement. ↩
- « Pour devenir « providence », l’entreprise doit lever l’opposition entre contraintes du marché et obligations de solidarité », Hervé Chapron et Michel Monier, in Le Monde, 18 juin 2020. ↩
- François Quesnay (1694-1774), in « Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole », (1758) ↩
- F. Bastiat (1801-1850), « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas », 1850. ↩