C’est avec une tribune « 2024 : année du dévoilement ? » que je commençais, ici, l’année 2024. Le voile, cette vision faussée de nos réalités économiques et sociales, politiques, n’a pas été levé, il s’est encore alourdi par l’affirmation des partis extrêmes et l’affirmation de rivalités d’ego. Il faut former le vœu que 2025 soit l’année d’un réveil démocratique et, avec l’optimisme qui s’impose en ce début d’année nouvelle, il faut s’efforcer de voir ce que l’alourdissement du voile peut recouvrir de positif.
Si le voile s’est encore alourdi, il faut voir qu’il nous montre non pas une caricature de ce que sont les extrêmes, mais ce qu’ils sont vraiment. Ils affirment, chacun à sa façon, la doctrine de l’incompétence toute nourrie d’irréalisme, de populisme, de mensonges. Le champ, il est vrai, leur a été laissé libre par la dissolution dont on ne sait si elle aura été une bonne ou mauvaise décision.
Retenons que cette dissolution nous a dit, par l’expression du suffrage universel, ce qu’est le corps social. Perdu, il s’est laissé séduire par le discours simpliste et mensonger de ces extrêmes politiques, il est perdu face à un nécessaire changement dont il voit ce qu’il fait abandonner sans que l’on distingue ce qu’il promet. L’autoaffaiblissement démocratique des partis que l’on disait de gouvernement ajoute à cette perte de sens. Après avoir joué le jeu du front républicain, ces partis jouent le jeu des extrêmes en se joignant au « il faut qu’il démissionne ». Pour offrir une issue, encore faudrait-il qu’ils se soient préparés à une élection anticipée, qu’ils aient un programme, une vision autre que de court terme ! Ont-ils compris les attentes du corps électoral ? Ont-ils compris que c’est un affolement, qui disait leur impréparation,qui les a fait constituer un barrage républicain qu’ils ont été incapables de s’approprier ? L’Assemblée n’est qu’une assemblée d’élus qui n’a plus rien de national. Le parlementarisme rationalisé laisse place à une foire d’empoigne, à un médiocre jeu des partis qui n’ont qu’à ressasser ce qu’ils reprochaient déjà avant la dissolution. Rien n’a changé. Le cercle est devenu encore plus vicieux : les bouées cardinales qui indiquent les dangers attirent davantage qu’elles n’alertent.
Les extrêmes n’ont pas gagné, mais se disent vainqueurs. Il suffit, pourtant, de faire de l’arithmétique de base pour voir que le suffrage universel a décidé d’une majorité plurielle qui n’est pas celle des extrêmes. Ce n’est qu’une coalition d’intérêts opportuns qui a fait tomber le gouvernement Barnier.
Voyons donc le bon côté des conséquences de cette improbable dissolution. Elles nous disent que le corps social est séduit par les extrêmes parce qu’ils ont su habilement capter, pour les travestir, les attentes que la gauche autant que la droite raisonnables ont refusé d’entendre.
Il revient aux partis non extrêmes de conquérir à nouveau cet électorat. Ils doivent oser se réapproprier les sujets porteurs dont se sont maquillés les extrêmes de droite et de gauche. La sécurité n’est pas d’extrême droite, la liberté d’expression n’est pas d’extrême gauche. La protection sociale n’est pas d’abord une politique de dépense publique, mais d’abord une politique permise par le développement économique. La justice n’est pas un objet politico-syndical, mais l’institution qui doit garantir l’harmonie des exigences démocratiques et d’autorité, l’équilibre entre la sanction et la réparation que la communauté doit aux victimes. L’éducation n’est pas le « lieu » d’opposition entre progressisme et conservatisme sociétal, mais celui de l’opposition aux croyances par l’ouverture aux savoirs. La défense des services publics ne relève pas de la revendication corporatiste, mais de leur nécessaire adaptation aux enjeux nouveaux. Est-ce hors de portée que de tenir un tel discours qui n’est rien d’autre que la dénonciation des impostures ? La ligne de conduite est simple : il suffit de commencer par détruire les mensonges. « Détruire une erreur, c’est déjà édifier la vérité contraire »(Frédéric Bastiat). Le champ est large pour que les partis non extrêmes trouvent là un discours commun. Les affirmations approximatives, les mensonges, les « bêtises » ne manquent pas venant des extrêmes pour donner du grain à moudre. Il n’y a rien à perdre à détruire les mensonges, les illusions.
Détruire les mensonges ne suffira pas et, sans craindre ici de trop simplifier, les partis raisonnables doivent reconquérir les épargnants du livret A. Ils sont 55 millions (données 2022 de la Banque de France). Les épargnants du livret A, c’est cette classe moyenne. C’est en se souvenant de cette classe moyenne que les partis raisonnables pourront dépasser le, nécessaire, discours de la destruction des bêtises, illusions et mensonges des extrêmes qui brouillent le « projet social ». Si le voile s’est alourdi en 2024, il faut voir que l’affirmation des extrêmes jusqu’à l’excès a préparé le terrain pour revenir à la raison.
En privilégiant un discours pour ceux qu’ils ont qualifiés d’exclus, ils ont oublié cette classe moyenne qui, méfiante autant de la start-up nation que du communautarisme et des progrès sociétaux, reste orpheline d’un projet social national. D’abandons en abandons, le terrain est prêt pour revenir à une politique de défense de cette classe moyenne.
Les partis non extrêmes doivent sortir de leurs querelles picrocholines pour retrouver ce sens commun. Il revient aux chefs de ces partis de dépasser l’échéance de 2027. C’est en portant le regard loin que l’on passe mieux les obstacles de court terme, et 2027 est de court terme. Ils doivent sortir de leur combat de coqs, ils doivent nous sortir de ces ridicules et dangereuses oppositions qui sont des chamailleries. C’est à eux qu’il revient de faire sonner le réveil, de nourrir un optimisme, de donner un horizon qui dépasse leurs ambitions. Ils ont à réinventer des jours heureux, ils ont à se réinventer – vaste programme. S’ils ne sonnent pas ce réveil, s’ils ne se réveillent pas alors, ils acceptent et jouent le jeu de l’affaiblissement démocratique. Le combat à conduire est-il encore contre un président de la République qui est aujourd’hui « en fin de course » ou contre les destructeurs de ce qui fait, encore, nation ?
Le programme que doivent se fixer les partis raisonnables est vaste d’ambition, mais il est simple. D’abord dénoncer les mensonges des extrêmes, dénoncer leurs approximations, dénoncer leurs inclinations séditieuses. Accepter ensuite qu’aucun d’entre eux n’est un homme providentiel prédestiné, mais dire et démontrer qu’ils sont, ensemble, la majorité issue des législatives. Ce n’est pas rien que de former une majorité, même plurielle ! C’est en se réveillant maintenant, c’est en lavant leur linge en famille et non plus sur X ou autre plateau télé, c’est en prenant conscience que les « lignes rouges »qu’ils trouvent utile de poser sont autant d’entraves pour eux qu’ils prépareront utilement l’après-2027 en se donnant une chance de réussir cette échéance. L’annonce de référendums à venir va, à l’évidence, leur compliquer la tâche, sauf à ce qu’ils fassent, leurs égos remisés, un front majoritaire … Ils en ont la capacité, qu’ils nous montrent là leur volonté de le constituer.
Michel Monier, membre du Dercle de recherche et d’analyse de la protection sociale, Think tank CRAPS, est ancien DGA de l’Unedic.