Avant sa participation à la troisième édition du Printemps des technologies les 22 et 23 mars, nous avons interrogé Frédéric Micheau, Directeur général adjoint d’OpinionWay, sur la perception de la technologie par les Français.
Revue Politique et Parlementaire – Comment est perçue la technologie ?
Frédéric Micheau – Les Français s’intéressent majoritairement aux technologies. Mais une très large majorité d’entre eux ressentent le progrès des technologies comme un phénomène trop rapide. Près de 4 sur 5 ont le sentiment que ces nouvelles technologies évoluent trop vite et ne laissent pas le temps de les maitriser. Dans le même mouvement, 60 % des Français affirment se sentir dépassés par l’essor des nouvelles technologies. Une fraction déclare tout de même se sentir totalement à l’aise avec les dernières innovations tels que le métavers, l’intelligence artificielle ou encore la blockchain.
Une majorité des utilisateurs des outils numériques estime que ceux-ci leurs sont indispensable dans leur vie quotidienne (61 %). Mais cette dépendance peut être problématique, 18 % des Français déclarant que ces outils ont un impact négatif sur leur vie. Face à cela, 43 % déclarent qu’ils essayent concrètement de limiter leur utilisation. L’emprise des outils numériques dans la vie quotidienne est telle que trois quarts des Français déclarent qu’il leur arrive d’avoir envie de se déconnecter.
RPP – L’arrivée de ChatGPT a-t-elle marqué un tournant dans notre appréhension ?
Frédéric Micheau – L’Intelligence artificielle est l’innovation qui est le plus largement connue. Alors que ChatGPT est un avatar encore récent de l’intelligence artificielle, trois quarts des personnes interrogées déclarent en avoir déjà entendu parler. 59 % des Français estiment certes que ChatGPT sera à terme complètement intégré dans nos habitudes.
Une majorité des Français estime pourtant que l’application aura des effets néfastes, notamment que cela fera perdre au travail de sa valeur. Illustrant les craintes sur l’emploi et l’économie, une majorité des Français estiment que ChatGPT provoquera des licenciements. Au-delà de ces craintes, une moitié des Français juge que ChatGPT ouvre des perspectives enthousiasmantes et libérera du temps pour pouvoir se consacrer à des activités plus intéressantes.
RPP – La technologie peut-elle être un levier pour retisser un lien de confiance entre politiques et citoyens ?
Frédéric Micheau – Depuis une quinzaine d’années, les Civic tech ont prospéré sur la promesse de regénérer la vie politique en permettant une plus grande expression des citoyens et une plus grande participation au débat public, voire une association plus étroite à la prise de décision politique. Les acteurs politiques, au niveau local mais aussi à l’échelon national, ont beaucoup innové en intégrant ces nouvelles technologies. Mais jusqu’à présent le succès s’avère mitigé.
Par exemple, la promesse de simplification portée par la numérisation des démarches administratives est encore loin d’être tenue : la dématérialisation des services publics est la mesure la moins plébiscitée pour améliorer l’accès aux services publics. Même si elle s’est en partie réduite, sous la contrainte de la crise sanitaire, la fracture générationnelle et sociale dans les usages numériques persiste.
RPP – De quelle manière ?
Frédéric Micheau – Pour que la technologie contribue pleinement à combler le gouffre démocratique qui s’est creusé entre les gouvernants et l’opinion, elle doit apporter une véritable valeur ajoutée aux citoyens en termes de simplification, de gain de temps, de confort, d’amélioration de l’information… Deux écueils cumulatifs sont à éviter : la complexification des interactions avec les pouvoirs publics par l’usage imposé de canaux numériques et la déshumanisation de ces relations. Mais l’usage des technologies, même si sa pertinence s’accroît, ne sera sans doute pas suffisant pour restaurer la confiance entre les citoyens et les élus, tant la crise démocratique est aigüe, ancienne et multi-causale.
Frédéric Micheau Directeur général adjoint d’OpinionWay Propos recueillis par Mathilde Aubinaud