Le 29 mai 2005, la France disait « non » au traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ce fut un séisme. Une coalition inédite réunissant ouvriers et intellectuels de gauche, gaullistes, souverainistes, eurosceptiques de tous bords, et figures médiatiques improvisées avait pris à revers l’establishment politique, médiatique et culturel. Une claque, aussi, pour les élites qui s’étaient, souvent de bonne foi, engagées pour le « oui ».
Et pourtant. Vingt ans après, qui se souvient encore de cette victoire ? Ceux qui l’ont portée n’ont jamais su lui donner un prolongement politique crédible. Les figures du non se sont divisées, éclatées, caricaturées. Pendant ce temps, les deux visages du oui, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont été élus successivement à la présidence. Emmanuel Macron, enfant idéologique du camp du oui, même s’il n’a jamais officiellement confessé l’orthographe des trois lettres de son choix, a poursuivi cette ligne pro-européenne avec détermination. L’histoire ne s’est pas arrêtée au 29 mai.
Mais l’Europe, elle, n’a pas cessé d’avancer. La guerre est revenue à nos portes, les pandémies ont éprouvé notre capacité collective de réponse, la transition écologique exige des décisions à l’échelle d’un continent. L’euro a tenu. L’Union a résisté. Elle a même gagné en efficacité et en popularité relative, au point que ceux qui prônaient sa fin s’en détournent ou se taisent. Le Brexit fut une erreur, le Frexit n’est plus une hypothèse sérieuse. Même le Rassemblement national évite désormais le sujet.
Et pourtant, nous n’avons pas rejoué la scène. Nous n’avons jamais redemandé aux Français ce qu’ils veulent. Le référendum de 2005 reste un acte suspendu, sans suite. Une sorte de référendum Néo-calédonien engoncé dans ses ambiguïtés, et l’on sait en politique ce qu’il en coûte de quitter l’ombre rassurante de celle-ci. Et pourtant, l’Union européenne a changé, mais sans nouveau mandat populaire. Il est temps d’oser : rejouons le vote.
Non pour effacer le non d’hier, mais pour savoir si le oui d’aujourd’hui a enfin conquis les esprits. Non pour humilier ceux qui s’étaient opposés au traité, mais pour vérifier si l’opinion populaire épouse désormais ce que les élites ont longtemps porté avec constance : une conviction européenne, difficile à incarner, souvent mal expliquée, mais fondamentalement juste dans ses fondements.
Car parfois, oui, les élites ont raison.
Et si Emmanuel Macron, qui peine à définir un ou des thèmes référendaires marquant de sa décennie au pouvoir, trouvait là l’opportunité de donner un sens historique à son dernier acte présidentiel ? Ce jeunes président qui se délecte des termes surannés pourrait s’inspirer des grandes marques populaires qui l’ont bien compris : quand on ne sait plus quoi inventer, il faut ressusciter les icônes du passé. Renault avec la R5, K-Way, les majors de la musique avec les années 80 — tous rejouent la carte vintage pour réactiver la mémoire collective et réenchanter le présent. Le référendum de 2005 est une marque oubliée, clivante mais puissante. Il est temps de la relancer. Offrir aux Français le choix de l’Europe, en version 2025, ce serait redonner de l’élan démocratique à une Union que plus personne n’ose consulter directement.
A l’heure où notre espace géographique exige une affirmation d’autorité face aux excès du Président Trump, requiert des choix forts sur la Défense face aux excès du Président Poutine, impose de rebâtir notre politique industrielle face aux excès commerciaux du Président chinois, ce serait folie d’exclure définitivement le peuple du projet européen. Ce serait naïveté de croire que le rejet de 2005 reste éternel. L’époque est nouvelle. Les peurs ont changé : identité et immigration ont remplacé l’épouvantail du plombier polonais. Et les urgences s’accumulent. C’est au peuple, aujourd’hui, qu’il revient de dire s’il est prêt à marcher au même pas que l’Europe. Ce pas, il faut lui proposer de le faire non plus à reculons, mais en conscience.
Il est temps de poser la question qui fâche – et qui pourrait enfin rassembler : voulez-vous de l’Europe ? Non pas celle que nous avons, mais celle que nous pourrions construire ensemble ?
En démocratie, le courage consiste parfois à rejouer le match ; car souvent France varie. À demander, humblement mais lucidement : avez-vous changé d’avis ? À la lumière de l’histoire, et face au fracas du monde, oserions-nous enfin poser cette question, non pour nier le peuple, mais pour lui rendre ce qu’on ne lui a plus offert depuis : un vrai choix. J’ose me mouiller et je prédis, si le Président Macron osait, une belle remontada de l’Europe et pour le premier des Français, celui défilant dans la la cour du Louvre le soir de son élection en 2017 au son de « L’hymne à la joie », hymne officiel de l’Union européenne, une superbe épanadiplose en guise de symbole rhétorique de sa décennie au pouvoir.
Jacky Isabello
Fondateur du cabinet Parlez-moi d’Impact