L’attaque russe sur l’Ukraine a eu comme effet, dit-on, de renforcer l’image de l’OTAN. La guerre aurait provoqué une prise de conscience des membres de cette organisation face aux dangers que présente la situation internationale. La demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède montrerait ainsi le caracère indispensable de l’OTAN comme protection face à une Russie dont les appétits territoriaux semblent sans limites. La réunion de l’OTAN à Madrid devrait être le couronnement de ce retour en grâce d’une organisation dont on avait commencé à douter de l’utilité.
Les lignes qui suivent ambitionnent de montrer que la situation nouvelle créée par la guerre en Ukraine a, au contraire, diminué fortement l’intérêt que l’OTAN présente pour ses membres. En effet, les changements qui vont s’installer après la guerre créeront progressivement une instabilité internationale, y compris entre pays membres de l’OTAN. Pour répondre à une attaque, chaque pays devra donc disposer d’abord d’une diplomatie active pour être à même d’évaluer le sens que l’ennemi donnera à son attaque. L’approche globale et militaire de l’OTAN sera inutile à ce stade. Et, si, par la suite, il y a recours à la force, c’est le mode de fonctionnement même de l’OTAN qui, privilégiant une autonomie complète du militaire par rapport au politique, ne conviendra pas aux pays membres. Dans un contexte volatil, chaque pays aura besoin de garder le contrôle politique sur les actions militaires à entreprendre – et n’aura de ce fait aucun avantage à laisser l’OTAN mener les opérations.
Vers un monde instable
L’attaque russe contre l’Ukraine a cassé un tabou dans les relations internationales. Ce tabou avait été créé par la Charte des NU qui, en 1944, avait indirectement énoncé que le recours à la guerre devait être considéré comme interdit et frappé d’infamie.
L’interdit avait été, en quelque sorte, caché dans les profondeurs du concept de « collective defense ». La Charte avait promis au pays qui se hasarderait à attaquer un autre pays que tout le monde serait contre lui – ce qui, dans la pratique, revenait à rendre la guerre impossible. Bien sûr, on avait prévu dans l‘article 51 la légitime défense et, avec toutes sortes de restrictions, on avait admis l’attaque préventive urgente qui pouvait en découler. Mais ce qu’avait retenu les opinions publiques emmenées par les USA, était « qu’on n’avait plus le droit » d’initier une guerre – et que ceux qui le faisaient néanmoins étaient des « coupables ».
L’attaque russe sonna la mise au rencart de tout cela. La guerre déclenchée en Ukraine est une guerre symétrique, engagée au terme d’un calcul politique précis : elle représente en fait l’archétype même de ce qu’on avait voulu faire disparaître dans les relations internationales.
Le recours à la force deviendra-t-il maintenant une option que, progressivement, chaque pays pourra choisir – en complément ou en substitut de sa politique étrangère ? On peut le penser. Les temps reviennent clairement à la considération de la guerre comme « continuation de la politique par d’autre moyens ». La parenthèse ouverte en 1919 par Wilson, inventeur de la « collective defense », et continuée en 1944 par Roosevelt avec la création des NU, semble désormais refermée.
L’instabilité qui va apparaitre changera les perspectives. Elle ne pourra pas ne pas toucher aussi les relations entre certains membres de l’OTAN. Comme on le verra ci-après, l’OTAN ne sera pas en mesure de répondre aux nouveaux défis qui se présenteront alors.
Comprendre avant d’agir
Dans des circonstances d’instabilité, le politique doit toujours primer sur le militaire. Ce qui comptera pour chaque Etat, en cas d’attaque, sera d’abord de comprendre le sens du message porté par l’attaque – ce ne sera pas de répondre militairement à ce qui commence à arriver.
Chaque pays devra ainsi chercher un sens à l’attaque survenue. Ce sens lui sera propre. L’attaque d’un dépôt de munitions polonais par un missile russe n’a pas le même sens pour la Pologne et pour l’Espagne ou encore la Lituanie. Dans une situation de désordre, chacun devra être à même d’interpréter pour lui-même ce qui se passe – indépendamment de toute décision future de voler au secours de son allié. C’est donc d’une capacité de négociation diplomatique – non pas d’une force militaire – dont chaque Etat aura d’abord besoin. Cette capacité lui servira aussi, le cas échéant, pour trouver une back-door channel pour sonder l’adversaire sur ses intentions.
Centralisé et arcbouté sur sa vision militaire globale, à quoi servira l’OTAN à ce moment crucial où, pour chaque pays, il s’agit de comprendre l’attaque qui s’est produite sur l’un d’eux ?
Dans un monde d’instabilité, chercher un sens commun à 30 pays n’aboutira jamais.
Dès lors, qu’on le veuille ou non, le concept de « collective defense » comme fondement de l’OTAN aura vécu à ce moment-là. Et s’il s’agit d’une attaque concernant des relations entre pays membres – hypothèse qui ne sera plus à exclure après la guerre en Ukraine – l’OTAN sera réduit au rôle de spectateur.
L’indispensable contrôle politique
Au moment où une riposte militaire à l’attaque aura été décidée, une question fondamentale concernant le fonctionnement de l’OTAN se posera.
L’OTAN fut construite sur un principe américain, jamais explicité, concernant les rapports entre le politique et le militaire : dans un conflit, le politique ne doit jamais se mêler de ce que fait le militaire qui, étant un « professionnel », doit être laissé libre de ses choix. La mise en œuvre de ce principe par les USA eut des conséquences catastrophiques pendant la Seconde Guerre mondiale : il faut lire les pages de Kissinger sur les erreurs incroyables que l’Amérique commit quand son Président dut rester impuissant face aux idées stratégiques de son propre général en chef. La même situation tragique se produisit pendant la guerre de Corée. Et, bien que l’analyse n’en fut jamais faite, on peut aussi penser que, pendant l’attaque du Kosovo, l’application de ce principe conduisit à de nombreuses erreurs dans le déroulement de la guerre.
Ce principe est clairement à l’opposé de ce que demandent les doctrines élaborées en Europe et en Asie depuis des siècles. Au sein de l’OTAN, 29 membres sur 30 le récusent complètement.
Or, en cas d’attaque contre un de ses membres, l’OTAN fonctionnera à nouveau selon ce principe. Et pourtant, dans la situation d’instabilité nouvelle, toute attaque sera nécessairement entourée d’un contexte fluide dangereux. Chaque Etat devra réévaluer fréquemment les objectifs politiques qu’il veut atteindre – et modifier les actions militaires à mener en conséquence. Imagine-t-on cela possible avec une OTAN dont les militaires, en cas de guerre, seront en droit de refuser toute présence politique ?
Conclusion
L’OTAN a été créée pour la Guerre froide et par elle. L’organisation a été conçue pour aider des pays à répondre à une menace unique venant de l’URSS et de la Russie.
Aujourd’hui, cette organisation n’est pas équipée conceptuellement, si l’on ose dire, pour répondre aux menaces diversifiées du type de celles qui vont apparaitre du fait de la guerre en Ukraine. Clairement, elle ne sera pas non plus en mesure de répondre aux menaces qui pèsent désormais sur les relations entre plusieurs de ses membres. Le concept de « collective defense » qui fonde l’organisation a perdu son sens.
Dans ce contexte, à quoi correspondent les demandes d’adhésion des deux pays nordiques ? A rien. A vouloir continuer à croire que c’est l’OTAN qui pourra les « protéger » magiquement en cas de conflit – les dispensant ainsi d’établir une politique étrangère et une politique propres à leur équation géopolitique – ces pays se préparent à combattre les guerres du futur au sein d’une Alliance du passé.
José Garson
Professeur de géopolitique à l’INSEEC et à l’ILV
Photo : Alexandros Michailidis/Shutterstock.com