Emmanuel Macron a une étrange conception de la séparation des pouvoirs et du pouvoir lui-même. Même s’il détient encore une majorité, elle est plus que relative (245 sièges). Jamais depuis 1958, un président n’en a eu une aussi faible (en 1988 F. Mitterrand bénéficiait de 275 sièges). Et il a osé, au mépris de ce que lui impose la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu, donner des instructions pour un compromis à l’Assemblée, comme des devoirs de vacances avant son départ pour Bruxelles. Au passage il y va clôturer une présidence française de l’UE qui se caractérise avant tout par une certaine vacuité. Sauf les gesticulations autour du conflit en Ukraine. Un président n’a pas à s’adresser ainsi à une Assemblée à peine élue. D’autant plus quand il y est très relativement majoritaire.
Plutôt qu’un message télévisuel, le président Macron aurait dû recourir à celui tel qu’il est fixé à l’article 18 C :
Le Président de la République communique avec les deux Assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. Il peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote. Hors session, les assemblées parlementaires sont réunies spécialement à cet effet.
Cela aurait revêtu une solennité réclamée par une situation inédite.
Car, en termes de pouvoir, nous sommes dans une situation tout à fait singulière depuis 1958. Depuis le résultat de cette élection présidentielle, se pose selon nous de façon très aigüe, mais peu évoquée, le problème de la légitimité du président Macron. Reprenons ses résultats :
- 1er tour : voix : 9 783 058 voix ; inscrits : 20,7 % ; exprimés : 27,85 %
- 2d tour : voix : 18 768 639 ; Inscrits : 38,5 % ; exprimés : 58,55 %
Sur les deux tours il a mobilisé moins de 30 % des inscrits.
C’est un des pires scores présidentiels de toute la Ve République. Il faut surtout mettre en avant que seul le front républicain (qui ne disait pas son nom) lui a permis d’atteindre ce score au second tour. Il semble que vu le rejet qu’il a suscité assez vite durant son premier mandat, il s’en tire bien. On peut dire que l’élection en trompe l’œil d’Emmanuel Macron (il recule par rapport à 2017) s’explique par la présence du barrage républicain et aussi, et même surtout, par un vote anti-Macron. Le phénomène a été décuplé lors des législatives.
Jamais depuis 1958 un président n’a suscité un tel rejet.
C’est comme si les plaies de la crise des Gilets jaunes ne s’étaient pas bien refermées. Seule la crise Covid lui a permis de s’ériger en une sorte de protecteur de la Nation et de « limiter la casse ». Et à un degré moindre, le conflit en Ukraine. Il a été le président des crises. Celles-ci l’ont plutôt servi. Un bien dans un mal en quelque sorte.
Alors à présent voici le huitième président de la Ve République confronté à une situation d’un troisième type à l’Assemblée nationale. Lui qui, par nature, n’aime pas composer va devoir s’y résoudre. Il a perdu une bonne partie de ses troupes. S’il ne sait pas négocier, il sera vite un président au rabais. Or il est des camps qui ne seront pas enclin à le faire. LFI ou RN par exemple. Pour quelques maroquins ministériels, certains députés LR ou UDI s’y prêteront. Peut-être quelques socialistes iront-ils à la soupe aussi. Mais au nom de quelle règle constitutionnelle revient-il au président de la République de se transformer en marchand de tapis ? Au risque de voir sa légitimité, déjà bien entamée, perdre encore de sa superbe.
Certains observateurs estiment que cette nouvelle situation est plutôt positive qui « reparlementarise » la donne. (L. Ferry par exemple). Nous estimons que non. On ne « reparlementarise » pas ainsi.
D’après l’article 20 C. le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Et selon l’art.21 C le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. On peut se dire que la situation politique à l’Assemblée nationale va certainement contraindre à mettre en œuvre ces règles. Le gros problème est que, contrairement à 2017, E. Macron n’a pas été élu sur un programme mais sur sa gestion plutôt correcte des crises ainsi que sur l’électorat anti RN. Cela ne constitue en aucun cas un programme. Et cela s’est aussi ressenti sur les candidats macronistes aux législatives. Pour la plupart d’entre eux, leur seul programme était la photo du président (affiche, tract, profession de foi). Cela est un peu court et ne constitue ni légitimité, ni crédibilité. Quid du gouvernement dans ce contexte ? De transition assurément. Mme Borne est un Premier ministre par reflet. Restera-t-elle ? On en doute. Le chef de l’Etat la traite par prétérition.
Jusqu’à présent la pratique présidentielle classique (hors cohabitation) faisait qu’il appartenait au président de déterminer la politique de la Nation. Il était élu sur et pour ça. Le gouvernement se chargeait de conduire ladite politique. La présidentielle que l’on vient de vivre rompt avec la tradition.
Le président n’a rien déterminé et il se retrouve avec une majorité très relative.
La question qui se pose et qui va constituer le nœud gordien du quinquennat qui s’ouvre : comment conduire une politique indéterminée ? Par des accords dignes des IIIe et IVe Républiques ? La Ve vaut mieux que cela et a même été construite contre cela.
Alors pour conclure, on nous dira que le chef de l’Etat a des ressources constitutionnelles. Si une crise éclate à l’Assemblée il peut dissoudre (article 12 C). Certes mais il faut manier cette technique avec tact. En effet la dernière fois, en 1997, J. Chirac qui avait une majorité l’a appris à ses dépens (3è cohabitation). Et puis si E. Macron le fait par exemple dans l’année, les électeurs seront convoqués une 6è fois en trois ans. C’est beaucoup. Trop. Et puis rappelons qu’il ne peut y avoir une seule dissolution par an. Le président peut aussi faire recourir (et non recourir lui-même) à l’article 49-3 C. Depuis la révision de 2008 impulsée par N. Sarkozy, ce ne peut être qu’une fois par session sur une loi ordinaire ce qui limite l’usage. Enfin le chef de l’Etat peut faire un référendum (article 11 C). La dernière utilisation en 2005 par J. Chirac (Constitution européenne rejetée) incitera à une certaine prudence.
Et puis, sait-on jamais, lassé par tant de tensions et de crises et usé par le pouvoir, le président peut aussi démissionner. De Gaulle l’a fait par la grande porte en 1969. Réussir sa sortie est un art !
Nous estimons qu’hormis les situations de cohabitation, jamais un président n’a été aussi affaibli. La situation est grave mais pas encore désespérée !
« En politique on n’est pas ce qu’on est ; on est ce qu’on parait être. La déconsidération une fois acquise ne se perd plus » (Sainte-Beuve).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités
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