Depuis l’élection tonique de Jacques Chirac en 1977 face au giscardien Michel d’Ornano, chacun s’accorde pour reconnaître que Paris n’est pas seulement la ville capitale mais qu’elle est une citadelle d’importance.
L’équipe du 18ème arrondissement des années 1990 (Daniel Vaillant, Claude Estier, Lionel Jospin, Patrick Bloche et bien évidemment Bertrand Delanoë) a réussi électoralement mais n’a peut-être pas bien assimilé, comme le rappelle régulièrement le Sénateur honoraire centriste Yves Pozzo di Borgo, le format de la ville Lumière.
Par l’ampleur du nombre de ses agents (55.000 fonctionnaires en 2020 contre 49.850 en 2014), par l’amplitude de ses missions de voirie, de vie culturelle, d’action sociale, la Ville de Paris suppose une gestion méthodique et la plus rationnelle possible. Le légitime succès récent du hashtag #saccageparis a conduit la mairie à effectuer un virage à 180 degrés en matière de mobilier urbain. Reste la politique des grands travaux qui mérite un questionnement au moins sur l’esthétique des chantiers et notamment cette floraison de plots jaunes dignes – au mieux – d’une aire d’autoroute.
Au plan financier, la situation de la Ville de Paris est périlleuse autant que trompeuse.
Pour l’équipe d’Anne Hidalgo et de son adjoint couvert d’habileté en la personne d’Emmanuel Grégoire, la dette est soutenable et serait à un niveau de 6 Mds d’€uros, ce que ne cessent de contester bien des élus de l’opposition qui ont fait leur une des critiques majeures de la Chambre régionale des comptes (2016) et l’analyse du Gouvernement publiquement émise par Jacqueline Gourault et Gérald Darmanin.
En fait, l’équipe aux manettes joue avec les chiffres au point que la présentation des comptes puisse être qualifiée d’artificielle. On fait du “window-dressing” de la manière suivante : depuis l’exercice 2015, la Ville ne se contente pas d’encaisser le montant annuel des loyers des HLM mais exige des bailleurs le versement du produit des loyers des biens sous statut de logements sociaux qui sont généralement régis par des baux emphytéotiques (fréquemment supérieurs à 50 ans).
En cinq ans, ce procédé – pour ne pas dire cette manœuvre – a permis d’encaisser près de 1,2 milliards.
Malgré ce fait contestable, la dette est passée de 4,1 Mds en 2014 à 7,1 Mds en 2021 selon une source pertinente : Mairie de Paris.
Le fait est établi : la dette a crû de près de 73% depuis 2014.
L’histoire des loyers perçus d’avance ferait l’objet de poursuites dans toute autre ville, mais Paris sait user de son influence et sait même nous faire oublier que l’encours de la dette était de 2,7 Mds d’€uros en 2011.
En une décennie, le paisible contribuable parisien a vu la dette de la Ville bondir de moins de 3 à plus de 7 Mds : il est vrai que la Covid a impacté d’environ 600 millions les finances locales.
Pour les lecteurs férus de précision, je suggère la lecture posée du rapport de la Cour des comptes, alors présidée par l’estimé premier Président Didier Migaud, (“La gestion de la dette publique locale” de Juillet 2011… Il y a pile dix ans).
“Les règles budgétaires, et plus particulièrement l’article L. 1612-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) mettent au tout premier plan la “règle d’or” selon laquelle l’emprunt est réservé au financement de la seule section investissement“.
Pour éviter de contourner trop ouvertement cette règle, Bertrand Delanoë avait engagé un durcissement de la politique fiscale à destination de l’immobilier. En 2008, création d’une taxe départementale de 3% sur le foncier. Compte tenu de la suppression antiéconomique de la Taxe d’habitation par le quinquennat Macron, il est clair que les taxes foncières vont continuer de progresser : rendez-vous à l’Automne 2021.
La Ville danse sur un fil et tape sur ses contribuables.
D’autant que les déboires s’accumulent pour l’équipe Hidalgo : coulée verte et surcoûts du réaménagement du quartier Champ-de-Mars / Trocadéro.
Refonte de la place de la Concorde et du secteur des Champs-Élysées : le chiffrage de ces grands travaux est incertain et nous pouvons ici rappeler la tendance française publique à minorer les évaluations de première intention.
A ce propos, qui ne peut songer aux dépassements de budget de la trop fameuse Tour Triangle et à l’avis très réservé de la Chambre régionale des comptes au regard de l’ingénierie financière retenue ?
Les agences de notation s’inquiètent : voir le cas de Fitch.
« PRINCIPAUX FACTEURS DE NOTATION FITCH »
Un profil de risque « fort » (Stronger)
“Fitch évalue le profil de risque de la Ville de Paris à « fort », ce qui reflète une grande majorité de facteurs de notation évalués à « forts ». Ce profil de risque reflète la très faible probabilité que la capacité de la collectivité à couvrir son service de la dette avec son épargne de gestion s’affaiblisse de manière inattendue dans notre scénario de notation, en raison de recettes inférieures aux anticipations, ou en raison d’une augmentation imprévue des dépenses ou du service de la dette. “
Dans cette note récente, on peut lire : “Fitch considère que la capacité de la population à faire face à une hausse de la pression fiscale est élevée compte tenu des taux relativement bas et des revenus disponibles par habitant plus élevés que la moyenne. Fitch estime qu’une hausse de la fiscalité ne représenterait qu’une part marginale du revenu disponible médian des ménages.”
Donc, la pente sera raide pour les contribuables mais ils sont en capacité de voir leur pression fiscale s’accroître.
Document budgétaire de la Ville : “Il est à souligner que le niveau d’endettement par habitant devrait s’établir, au 1er janvier 2021, à 2 992 €, contre 2 680 € au 1er janvier 2020. Malgré l’impact de la crise, l’endettement des Parisiens, comparé aux autres grandes villes françaises, reste modéré.”
https://www.paris.fr/pages/une-strategie-budgetaire-2021-marquee-par-la-crise-du-covid-15837
Face à cette affirmation digne du “le conseiller n’est pas le payeur !”, il convient de préciser qu’un mouvement significatif de départs de la capitale est enregistré et n’est plus qualifiable de marginal.
Autre point crucial, les engagements hors-bilan de la Ville de Paris sont une bombe à retardement et nécessitent une alerte au regard de leur dynamique et de leur montant. En 2008, les seuls emprunts garantis par le Conseil de Paris étaient de près de 27 Mds d’€uros (à rapporter à un budget de fonctionnement de 7 Mds et à un budget d’investissement de 1,7 Mds).
La dette implicite (parfois nommée la dette cachée hors-bilan) est au minimum désormais égale à près de 40 Mds. Comme dans le cas de l’État, l’opacité a des vertus au détriment du contribuable.
https://www.revuepolitique.fr/la-dette-consolidee-depasse-300-du-pib/
Jean-Yves Archer, Economiste et Membre de la Société d’Economie Politique