En 2017, Emmanuel Macron avait posé un diagnostic séduisant sur la scène politique française : le bipartisme français était une impasse et nous empêchait de réformer. Le centre-gauche et le centre-droit s’opposaient de manière stérile sur des réformes en réalité consensuelles et s’interdisaient d’avancer ensemble simplement pour ne pas fracturer leurs camps respectifs. Le parti avant les idées. Partant de ce constat, Emmanuel Macron a créé une dynamique commune du centre-gauche au centre-droit, des rocardiens aux juppéistes. Le Parti socialiste, majoritairement social-démocrate, s’en est retrouvé immédiatement affaibli.
Dans un régime parlementaire, l’usure du pouvoir ne change pas nécessairement les équilibres partisans, il suffit de changer le chef de la majorité. Dans notre système hyperprésidentiel, la seule réponse possible à l’usure du pouvoir est d’élargir sa base de soutien indéfiniment, quitte à se retrouver à la tête d’un ensemble incohérent et contradictoire. C’est pourquoi Emmanuel Macron dut absorber des élus venus de la droite pour survivre.
Sept ans après, le grand camp central, immanquablement lié à l’aura du Président de la République et victime de son usure, est affaibli. Le bipartisme autrefois honni est de retour, mais dans sa pire incarnation : un duel entre le Rassemblement national et La France insoumise. La dissolution décidée par Emmanuel Macron a accéléré la dégénérescence de la Ve République, déjà affectée par son hypercommunication. Le Président de la République a engagé le baroud d’honneur de l’hyperprésidentialisme, emportant tout son camp avec lui : “Vous me détestez, mais est-ce que vous oserez mettre le RN au pouvoir ?” Le vote modéré en est devenu un mariage forcé.
Était-ce prévisible ? Sûrement, mais il est toujours plus facile de le dire après coup. Le grand succès d’Emmanuel Macron en 2017 prouve que ce chamboule-tout partisan était nécessaire, mais nous avons été pris au piège de nos institutions. Faire gagner un seul homme (ou une femme) à l’élection présidentielle est incompatible avec l’existence de coalitions, qui sont partout la véritable incarnation du dépassement partisan, du dialogue et de la modération, valeurs revendiquées par le macronisme. De ce fait, et pour avoir des candidats en mesure de recueillir entre 20 % et 30 % des voix au premier tour, la Ve République ne permet pas l’émergence de plus de trois camps et marginalise la nuance.
Les partis doivent sortir de ce champ de ruines idéologique et reconstruire des offres politiques raisonnables, ou nous serons à jamais pris en étau entre les deux partis populistes que sont La France insoumise et le Rassemblement national. À défaut d’avoir une vraie démocratie parlementaire permettant la nuance, l’alternance pré-2017 entre la social-démocratie et la droite modérée serait infiniment préférable à un grand centre ne pouvant créer sa propre alternance sans donner les clés du pouvoir aux partis du chaos.
Mais paradoxalement, cette perspective s’éloignerait avec la possibilité pour le Rassemblement national de former un gouvernement. En effet, il serait difficile aux partis composant la future majorité parlementaire, nécessairement plus large que la précédente, de s’affirmer idéologiquement et de proposer un nouveau projet sans s’opposer et détruire l’unité gouvernementale.
En revanche, cette future majorité parlementaire pourrait se mettre immédiatement au travail pour déprésidentialiser notre République au profit d’institutions plus favorables à la construction de compromis. Et pourquoi pas supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct ? Ce serait le meilleur moyen de changer la hiérarchie des légitimités entre le Président de la République et l’Assemblée nationale et c’est ce que nous proposons avec GénérationLibre. Ce ne serait pas enlever du pouvoir aux Français mais leur en redonner : leur voix serait mieux représentée par un député fort capable d’affirmer ses convictions tout en assumant ses compromis, que par un unique chef de l’État que la plupart ne rencontreront jamais. La Ve République nous a permis de traverser les épreuves de la décolonisation, mais elle ne nous est pas plus consubstantielle que la IIIe. Et il est à craindre que la conjonction des réseaux sociaux et de l’information en continu empêche définitivement un usage raisonnable de sa fonction suprême. Elle n’est plus adaptée à notre temps.
Ce changement ne va pas de soi mais il est notre meilleur espoir d’avoir une recomposition saine du champ politique. Cette recomposition idéologique est vitale pour notre démocratie. Le Rassemblement national propose un projet, qu’on peut juger de bien des manières, mais qui, par son affirmation, séduit les Français. Il faudra lui opposer des contre-projets en 2027.
Sacha Benhamou
Responsable des relations institutionnelles de GénérationLibre et consultant
Photo : Victor Velter/Schutterstock.com