L’explosion dans un réservoir de Tleil au nord du Liban dans la région d’Akkar dans la nuit du 14 au 15 août, montre hélas qu’un an après celle intervenue le 4 août 2020 dans un hangar de Beyrouth d’un stock de nitrate d’ammonium ayant occasionné 200 victimes et de nombreux blessés, non seulement la situation n’a pas évolué sur le plan politique, mais elle a empiré d’une façon on ne peut plus dramatique, confirmant un cycle infernal dont le pays ne parvient pas à s’extraire.
Pénurie, contrebande et corruption
Les circonstances de l’explosion, tout en n’étant pas complètement éclaircies, font toutefois état d’un certain nombre de faits assez précis. Alors que le pays connaît une crise économique sans précédent, un état de pénurie et de pauvreté exceptionnel, des rumeurs sur un stockage de carburant dans ce village ont commencé à courir alors que le manque de carburants met à mal cette région, l’une des plus pauvres du pays. Il n’en a pas fallu plus pour que les habitants se ruent sur le site pour tenter de se procurer du carburant au moment où les prix s’envolent et où l’Etat vient de décider de lever le régime de subventions sur les carburants.
L’armée est arrivée, tentant elle-même de ramener l’ordre tout en réquisitionnant une bonne partie du carburant. Une bataille aurait alors éclaté avec des coups de feu ayant entraîné cette terrible explosion, voire une mise à feu délibérée du dépôt de carburant par des personnes en colère.
La totale faillite de l’Etat libanais
Quelles que soient les circonstances de l’explosion, ce nouveau drame démontre une fois de plus la totale faillite de l’Etat libanais. Sans même respecter un seul instant le deuil des familles, les différents camps politiques s’en sont renvoyé la responsabilité.
Ce « ping-pong » politique, ce manque de décence, sont irresponsables mais illustrent l’état de déliquescence de la société libanaise dans son entièreté.
Depuis un an et l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2021, aucune action sérieuse n’a été entreprise afin de sortir le pays du bourbier politique qu’il a lui-même creusé. Le voyage éclair d’Emmanuel Macron le 6 août 2021, n’a eu strictement aucun effet. On se rappellera aussi que le président français avait pris langue avec des responsables du Hezbollah pour tenter d’insérer le mouvement dans l’équation de reconstruction politique. Quelques jours plus tard, les représentants du président Donald Trump arrivaient à leur tour à Beyrouth pour prendre le contrepied du président français, en demandant instamment aux autorités politiques libanaises de ne pas inclure le Hezbollah dans cette nouvelle configuration.
De fait, la stratégie française au Liban a échoué depuis un an. Mais c’est aussi la stratégie de toute la communauté internationale qui s’est heurtée à ce récif institutionnel et politique.
L’échec de la communauté internationale
Face à l’impéritie de l’Etat libanais rongé par une corruption galopante, rien n’y a fait. Les injonctions de la communauté internationale n’ont eu aucun effet dissuasif sur la vie politique libanaise. Plusieurs premiers ministres désignés se sont succédé sans jamais aboutir à la formation d’un gouvernement. Quand ce fut le cas de Saad Hariri (qui avait déjà dirigé un gouvernement à deux reprises et que la France avait dû exfiltrer de l’Arabie Saoudite en 2017 où il avait été contraint à la démission), la France espérait que les choses pourraient évoluer favorablement. Il ne fallait toutefois trop espérer qu’un homme issu du système dont des personnalités politiques françaises ont été pendant de nombreuses années très proches, pourrait faire avancer sensiblement les choses.
Le président Michel Aoun s’est également opposé à toute solution politique novatrice pour la formation d’un nouveau gouvernement. Mais il eût été naïf de croire que des injonctions regardées souvent comme autant d’ingérences dans les affaires intérieures, auraient pu remettre en cause les fragiles équilibres confessionnels et politiques sur lesquels reposent l’Etat libanais depuis son indépendance. Il est pourtant évident que les postes se répartissent au gouvernement en fonction de la confession ethnique. Penser le contraire relève d’une méconnaissance totale des institutions libanaises ou d’une naïveté coupable.
Le fait d’avoir voulu introduire le Hezbollah dans l’équation s’est aussi révélé être une erreur stratégique et mortifère.
La révélation, par un journaliste d’un grand quotidien, d’une conversation en aparté sur le style de la confession entre le président français et un responsable politique du Hezbollah à la résidence du Pin à Beyrouth (siège de l’ambassade de France) lors de la visite d’Emmanuel Macron le 6 août 2020, avait valu au journaliste en question une volée de bois vert de la part du président qui l’avait d’ailleurs débarqué de l’avion présidentiel, ce dernier ayant reproché d’avoir porté cette conversation à la connaissance du public. Les Américains n’avaient guère apprécié cette tentative de dialogue avec un mouvement qui reste classé parmi les organisations terroristes, malgré sa vitrine politique qui se veut présentable.
L’empêchement de la justice
On sait en effet que le Hezbollah maîtrise une partie du Liban, qu’il est cœur du système politique et met en cause la sécurité de l’Etat d’Israël comme l’ont montré récemment les tirs de roquettes sur le nord d’Israël à partir du Sud Liban. Il participe largement à la corruption généralisée du pays.
De fait, depuis un an, rien n’a été sérieusement tenté pour retrouver les coupables de l’explosion du port du Liban.
Toute forme d’enquête a été stoppée net. Un audit de la banque centrale a été interdit. Les juges, qui ont voulu débuter une enquête, en ont été dissuadées car la justice est sous influence, voire carrément menacée. La corruption a continué son chemin faisant fi des menaces de la communauté internationale de ne pas distribuer l’argent pour l’aide aux victimes, alors que les citoyens libanais souffrent terriblement et manquent de tout. Récemment encore, les hôpitaux de Beyrouth lançaient un appel au secours afin d’obtenir de l’oxygène nécessaire aux soins de malades du Covid, l’électricité menaçant de manquer.
Elections ou soulèvement comme solution ultime ?
L’explosion qui vient d’avoir lieu dans le village de Tleil dans la région d’Akkar au nord du Liban, s’inscrit exactement dans le même scénario. Derrière cette affaire, on retrouve la même problématique de la collusion entre les milieux d’affaires et les responsables politiques locaux. La polémique fait rage entre les principaux camps, c’est-à-dire le Courant patriotique libre du président Aoun et le Courant du futur dirigé par Saad Hariri. Le propriétaire du terrain serait un proche de l’un d’entre eux et le négociant de carburant de l’autre. Cet entrepôt serait le siège d’un trafic de carburants en direction de la Syrie et quand on parle de la Syrie, le Hezbollah n’est jamais bien loin. Encore une fois, les ingrédients d’une nouvelle affaire nauséabonde de corruption et/ou de déstabilisation de l’Etat libanais sont bel et bien présents.
Pour l’heure, les hôpitaux demandent de l’aide. Il serait inhumain de négocier cette aide alors que l’on sait que la situation politique est de toute façon bloquée. A court terme, il faut sauver des vies et assister le peuple libanais directement.
Sur le moyen et long terme, de deux choses l’une : soit de nouvelles élections à la fois présidentielle et législative sont organisées le plus rapidement possible, au mois de septembre, afin de débloquer la situation politique dans le cadre des institutions actuelles, soit le peuple se soulève et renverse ses dirigeants afin de mettre sur pied un gouvernement populaire de salut public en renvoyant tous les acteurs politiques impuissants, afin de créer un sursaut. Une chose est certaine : seul le peuple libanais a le pouvoir de prendre en charge son destin !
Patrick Martin-Genier