Lors de son allocution télévisée, mardi soir, Emmanuel Macron a promis de rebâtir Notre-Dame de Paris d’ici cinq ans. Un délai qui semble bien court. Réaction d’Alain Meininger.

Pour plusieurs raisons évidentes – évaluation de la nature exacte des dégâts et de la viabilité des éléments restants, réflexion sur l’ampleur des travaux à entreprendre, délais de consolidation, de séchage, d’étayage de mise hors d’eau etc – la question du calendrier n’appartient pas aux Autorités politiques quelles qu’elles soient mais aux techniciens. On sent bien les trépidations intérieures, mal dissimulées, de ceux qui attendent avec impatience de faire des Jeux olympiques de 2024 un évènement tout à leur gloire pour entrer dans l’histoire ou conforter leur image personnelle ; on comprend bien qu’ajouter au grand barnum sportif l’exploit d’une cathédrale reconstituée – mais dans quel état ? – dans un délai record ajouterait beaucoup mais ces aspirations politiques et très contingentes doivent être avec vigueur
écartées du débat. Il faudra aussi, comme à l’accoutumée, chasser les marchands du Temple ; les opérateurs touristiques avec leurs impératifs mercantiles, exploitants de bateaux-mouches et autres bus à double étage – qui craignent ouvertement une baisse de leurs recettes – devront se focaliser pendant le nombre d’années nécessaire sur d’autres monuments. Paris n’en manque pas à commencer par la petite voisine de Notre-Dame, la Sainte Chapelle, moins emblématique et de taille plus modeste mais véritable joyau du gothique rayonnant, entre autres par ses vitraux.
De même – mais cet aspect est intrinsèquement lié au premier – n’appartient-il pas aux politiques de décider seuls de la nature et de la consistance de la réhabilitation. Notre-Dame de Paris – dont il faudrait se garder d’oublier qu’elle est d’abord un lieu cultuel – appartient aux catholiques qu’ils soient ses plus immédiats et quotidiens paroissiens ou qu’ils viennent d’un étranger proche ou lointain. Le fait qu’elle soit, comme chacun le sait et le ressent au plus profond de lui-même, beaucoup plus que cela tant pour la Nation française que pour ses admirateurs et amoureux du monde entier – comme l’universalité des émotions exprimées l’ont montré – ne change rien. Une cathédrale est par nature une œuvre collective destinée à unir spirituellement et physiquement, derrière laquelle se sont presque toujours effacé – il y a quelques exceptions récentes – ceux qui, compagnons et architectes, ont œuvré à son élaboration.
Il serait dès lors paradoxal et quelque peu déplacé qu’une réhabilitation qu’elle qu’en soit la nature et plus encore si elle devait y imprimer la marque de l’époque servît de faire valoir à une individualité.
La capitale regorge d’autres opportunités pour laisser une signature d’architecte ou une trace de président bâtisseur pour l’avenir.

Faisons dès lors une proposition : prenons en partie exemple – en allégeant fortement les contraintes – sur le célèbre chantier de Guédelon à Treigny et convoquons, sous la conduite d’un groupe d’architectes et d’experts, la cohorte des charpentiers, tailleurs de pierre, maîtres verriers, doreurs, sculpteurs et facteurs d’orgue qui ont su préserver les anciens tours de main et font rayonner les savoir-faire français dans le monde entier ; installons une partie du chantier sur le parvis et laissons badauds et touristes admirer l’œuvre de reconstruction de préférence à l’identique, tout en tenant compte des nouveaux impératifs de solidité et de sécurité. Les opérateurs touristiques auront tôt fait d’inclure la visite du chantier dans leur périple tandis que les Parisiens et les autres viendront régulièrement observer et commenter la progression des travaux. Notre-Dame ne sera peut-être pas visitable en 2024 mais on y aura sans doute gagné en esprit civique, en notoriété de nos métiers d’art, en resserrement des liens entre les Français et leur patrimoine et en cohésion nationale. Serait-t-on alors si éloignés de ce que nos ancêtres ont éprouvé à l’ombre de ces grands chantiers dont se couvrît l’Europe des cathédrales ? Si tel devait être le cas le martyre de Notre-Dame n’aurait pas été vain.
Alain Meininger