Les maîtres Alain Bertoncello et Cédric de Pierrepont, deux membres du commando Hubert, ont été tués pendant l’opération de sauvetage des otages au Burkina Faso dans la nuit du 9 au 10 mai. Réaction d’Alain Meininger.
Les extractions d’otages à force ouverte en milieu hostile sont toujours à haut risque et l’opération menée par le Commandement des Opérations Spéciales dans la nuit du 9 au 10 mai à la frontière du Burkina Faso et du Mali n’a pas fait exception ; elle n’a malheureusement pas pu échapper au « fatum » bien connu et tant redouté des concepteurs et des exécutants de ces opérations, qu’il est convenu de dénommer « l’aléa des dix derniers mètres ». Les rares unités qui dans le monde ont les compétences pour mener de telles interventions ne peuvent faire autrement que d’intégrer ce paramètre.
Les quatre otages ont certes été sortis sains et saufs mais, un an après la mort du colonel Beltrame et même si les deux affaires ne sont en rien comparables, nous devons une nouvelle fois déplorer la disparition de deux soldats d’exception ; depuis quelques années d’autres interventions moins ou pas médiatisées ont hélas conduit aussi à des pertes d’éléments de grande valeur. L’émotion du général Lecointre, chef d’Etat-major des Armées est à cet égard très parlante ; tant par leur caractère que par leurs compétences opérationnelles, les maîtres Alain Bertoncello et Cédric de Pierrepont font honneur à notre pays. Rappelons qu’ils appartenaient au commando Hubert de la Marine nationale, unité prestigieuse, équivalente française des fameux navy seals américains qui ont procédé en mai 2011 à la neutralisation d’Oussama Ben Laden.
On ne connaît certes pas à ce stade – et peut-être en sera-t-il ainsi pendant longtemps – tous les détails de l’opération, qualifiée de complexe par la ministre de la Défense, pour récupérer ces personnes parties initialement faire du tourisme au Bénin dans le parc national de la Pendjari.
Les libérations d’otages loin du territoire français mettent la plupart du temps en jeu, à des degrés d’intensité divers, des coopérations internationales avec des Etats voisins et surtout nos alliés américains tant en ce qui concerne le renseignement que, parfois, l’emploi des forces.
Il est donc difficile d’apprécier pour l’instant la marge d’autonomie opérationnelle dont nous avons disposé mais le feu vert final a été donné, après évaluation raisonnable des chances de réussite, selon les règles habituelles en pareil cas, par le président de la République, chef des Armées.
Pour une bonne appréhension du sujet il faut rappeler qu’après une pause relative de quelques années suivant les affaires très médiatisées du Liban de la fin des années 80, la défense dans toutes ses composantes s’était trouvée moins impliquée dans les récupérations d’otages pendant une décennie. C’est à la fin des années 90 avec la guerre en Tchetchénie puis la dégradation des situations en Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Somalie, l’émergence de la piraterie maritime au large de la Corne de l’Afrique et enfin la progression du djihadisme au Sahel que l’appareil sécuritaire et de défense français s’est trouvé, volens nolens, réintroduit avec autant d’intensité dans les processus de libération.
Or ces processus qui peuvent – quels que soient les méthodes employées, variables selon les cas – durer des semaines, des mois, voire des années sont extrêmement voraces en moyens humains, techniques, opérationnels et bien sûr financiers.
Sont constituées des équipes de terrain ainsi que des cellules de crise, armées H24 en cadres de haute qualité et agents dotés de compétences très pointues qui sont, de ce fait, pendant des durées parfois très longues, détournés de leurs tâches principales. Rappelons qu’il faut, après une sélection sévère, plusieurs années pour former un commando Hubert – l’élite des unités des forces spéciales de la Marine – dont l’une des spécificités est de posséder la double qualification « nageur de combat » et « chuteur opérationnel », ce qui en fait une ressource rare et d’autant plus précieuse.
Il faut donc savoir lire ces affaires avec discernement ; les otages ne sont pas les héros de cette histoire ; ils sont rentrés et c’est l’honneur de notre pays que de ne jamais abandonner ses ressortissants en difficulté où qu’ils se trouvent (on ne peut que s’étonner au passage de la découverte apparemment fortuite de deux autres prisonnières dont l’une, l’américaine, a, dans la foulée, mystérieusement disparu). Il serait néanmoins irresponsable parce que l’on se sentirait investi d’on ne sait quelle mission de nature humanitaire ou journalistique, voire dans un but hédoniste ou simplement pour dissiper un spleen existentiel, de parcourir ces régions dangereuses en se disant que, telle la cavalerie à la fin des westerns ou une célèbre assurance à vocation mondiale, les Armées françaises viendront in extremis sauver la situation. On en voit le prix et on est en droit de le trouver trop élevé.
Alain Meininger