En moins de 6 mois l’actuel locataire de l’Elysée vient d’essuyer deux échecs majeurs : les européennes et les législatives. Il ne manquerait plus qu’une censure sur le gouvernement qu’il aurait nommé et s’en serait terminé à notre sens de son mandat. Jamais deux sans trois ? Expliquons-nous-en un peu.
Il y a eu d’abord les élections européennes de Juin dernier. Le taux de participation s’est élevé à 51,49%, en hausse de 1,37 point par rapport au scrutin de 2019 (50,12%). On le rappelle la liste menée pour le RN par J. Bardella a recueilli 31,37 % soit 30 sièges. Surtout la liste majorité présidentielle emmenée officiellement par V. Hayer (mais officieusement par E. Macron) a obtenu péniblement 14,60 % et 13 sièges (talonnée de très peu par la liste socialiste de R. Glucksmann 13,83% et 13 sièges). Devant la faiblesse insigne d’une candidate (qu’il avait pourtant imposé) et devant la menace, de plus en plus affirmée de la liste RN durant cette campagne, le chef de l’Etat est monté en puissance (à tort) jusqu’à monopoliser le verbe et le geste sur la fin. Depuis 1979 (premières élections européennes au suffrage direct) aucun de ses prédécesseurs ne s’était autant investi. Il faut remonter à G. Pompidou en 1972 qui dut peser de tout son poids pour faire approuver d’extrême justesse le référendum sur l’entrée dans la CEE de la Grande-Bretagne. Mais l’homme de Monbtboudif, lui au moins, l’emporta !
Alors les puristes diront que nenni, le sort du président de la République n’est en rien concerné par un scrutin européen. Sauf que lorsqu’il s’implique autant que l’actuel l’a fait notamment en criant haro sur le RN à tout bout de champ, il s’expose de façon démesurée. A tel point que dans l’optique de l’interview présidentielle du 4 Juin, l’ARCOM (pourtant fidèle serviteur du pouvoir en place) a déclaré : « Tout ou partie des propos tenus lors de cette interview pourra être pris en compte » (ndlr : dans le temps de parole de la liste menée par Valérie Hayer). Certes E. Macron n’a pas l’apanage de l’instrumentalisation du temps de parole à des fins électorales. D’autres présidents avant lui avaient ouvert la voie. C’est évidemment bien trop tentant. Mais dans son cas, ce fut tout de même tout à fait disproportionné.
Ce n’est d’ailleurs pas faire injure à J. Bardella que de remarquer que la vindicte macronienne a boosté sa campagne et motivé un grand nombre de ses électeurs.
Un certain nombre de commentateurs l’ont d’ailleurs souligné. Sauf à nous tromper, ça n’a pas été chiffré. Mais il est incontestable que bien des électeurs ont dû se dire qu’ils allaient voter RN pour sanctionner un président devenu trop censeur et hâbleur.
Encore plus que celle de V. Hayer, la défaite du camp présidentiel est celle du chef de l’Etat.
Il est incontestable que les résultats de ces européennes ont sonné le premier glas de la présidence Macron.
Ensuite, après une dissolution aussi inexpliquée que manquée, est venu l’épisode des législatives. Pour la première fois depuis 1958, aucun parti politique ne détient la majorité absolue. Ni même de majorité relative. Rappelons que dans sa nouvelle configuration l’AN repose essentiellement sur : Union de la gauche, 178 sièges, ENS Ensemble ! 150 sièges, RN 125 sièges, LR, 39 et DVD Divers droite, 27. Rappelons que pour constituer un groupe parlementaire il faut quinze élus. Et, qu’avec 577 députés dans l’hémicycle, la majorité absolue est donc fixée à 289 députés.
Ces législatives sont, qu’on le veuille ou non, une défaite avant tout pour le président de la République.
Plusieurs raisons à cela. D’abord c’est SA dissolution. Il l’a décidé en en référant essentiellement à deux conseillers de second rang, Jonathan Guémas, conseiller communication, et Pierre Charon (conseiller plus ou moins occulte de J. Chirac à E. Macron). Tous les témoignages se recoupent à présent pour démontrer que tant G. Attal (très courroucé depuis) que les présidents du Parlement ont été mis devant le fait accompli. Ensuite, même si c’est dans des proportions moindres que pour les européennes, E. Macron s’est engagé. Toujours contre le RN. C’était plus fort que lui. Alors qu’on lui conseillait de prendre du recul et que nombre de candidats ne voulaient pas se référer à lui. Plusieurs de ces derniers que nous avons pu rencontrer alors nous ont décrit « l’effet repoussoir » du président….
Dès lors la défaite subie et l’absence totale de majorité relèvent uniquement du chef de l’Etat. Elles révèlent en tout cas qu’il existe à présent un rejet de la personne de ce dernier.
En Juillet il était à peine à 25 % d’opinions favorables.
En ce mois d’Août il recule vers les 20. Il a cru que « la trêve olympique » qu’il avait décidée, permettrait de « faire passer la pilule », de ramener la concorde. Doux rêveur ! Il a cru en un effet « du pain et des jeux » comme on l’a dit dans ces colonnes. Alors, bien sûr, on s’est tous régalés devant les exploits de nos athlètes, olympiques et encore plus paralympiques. Mais la rentrée avançant, les vacances s’achevant, les Français se sont retrouvés devant les difficultés du quotidien (prix du caddy, enfants à habiller, chômage pour certains, insécurité, santé…,). La parenthèse enchantée est terminée. Riner et Marchand sont, eux, en vacances bien méritées et n’ont aucun souci matériel !
Et puis ces mêmes Français se sont mis à regarder ou écouter à nouveau les infos et ont constaté que depuis plus de 50 jours ils n’avaient plus qu’un gouvernement démissionnaire (ou fantôme pour certains ministères). Ils ont vu et entendu des noms : Castets, Cazeneuve, Beaudet, Bertrand…. Et puis, après moult négociations plus ou moins rocambolesques, M. Barnier a été désigné. Gaulliste, 73 ans et beaucoup d’expérience nationale et européenne (il fut un des négociateurs du Brexit).
Ce haut-savoyard est, pour simplifier, un produit made in Chirac.
Alors on ne peut s’empêcher de dire que ce président n’en est pas à un reniement, à un renoncement près. En effet, il voulut dès 2017, couper avec » l’ancien monde ». Son nouveau monde reposait essentiellement sur le jeunisme (eujeunisme ?!) incarné par nombre de ses ministres et conseillers symbolisé par G. Attal et ses 35 printemps !
Alors oui M. le président vous nous avez imposé une cohabitation impossible qui va fragiliser notre République. Et du coup vous avez perdu la main sur la constitution du gouvernement. Comme aucun d’autre de vos prédécesseurs. Durant les autres cohabitations, le président s’arrangeait, au gré de quelques négociations, pour garder par de vers lui les titulaires du « domaine réservé ».
Alors oui vous avez chargé le nouveau locataire de Matignon « de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français » en lui laissant toute latitude. M. Barnier qui connait bien les arcanes du pouvoir n’a d’ailleurs pas manqué d’énoncer « J’ai une liberté de manœuvre que je veux utiliser ». Plus qu’aucun de ses prédécesseurs.
Alors oui le 23 juillet dernier le président a rappelé que « les Français m’ont confié un mandat […] et je l’assumerai dans sa plénitude. » Effectivement la fin de son mandat est fixée à Juin 2027. C’est incontestable.
Très probablement dans le futur gouvernement Barnier, on retrouvera des LR, des centristes et des macroniens et peut-être des socialistes modérés.
Quid des groupes ayant le plus de sièges et au premier rang de ceux-ci l’Union de la Gauche et le RN ?
Il n’est pas un seul pays de l’UE qui pratiquent le régime parlementaire où l’on verrait cela ! Il faudra à M. Barnier une capacité de négociation XXL pour éviter une censure.
Il est absolument évident que le général de Gaulle, dans une telle situation, aurait démissionné.
Autres temps, autres mœurs, autres hommes ! Donc si cette censure est votée, elle visera indirectement le chef de l’Etat. Comme il est privé de dissolution jusqu’en Juin prochain, il n’aura plus qu’une seule issue : la démission. Même si rien n’est mentionné dans la Constitution. Après les déboires du scrutin européen et le fiasco des législatives, une censure porterait le coup de grâce à sa légitimité contrastée de 2022. On ne peut continuer à présider contre le peuple.
Le chef de l’Etat est devenu le principal problème du pays.
En Août dernier une grande étude du Monde montrait que 51 % des Français souhaitent une démission de ce dernier. Sauf à nous tromper, il ne semble pas que nous ayons déjà connu ça. A la suite des législatives, Eric Revel soulignait que « dans tout le pays, il y a un rejet d’Emmanuel Macron ».
Il est absolument évident que le général de Gaulle, dans une telle situation, aurait démissionné. C’eut été une question de responsabilité et d’honneur.
A la suite de cette démission, comme le prévoit l’art 7 C, il reviendrait au président du Sénat d’expédier les affaires courantes et d’organiser la future présidentielle. Bien sûr, au titre de l’art. 6 C, M. Macron ne pourrait en aucun cas s’y présenter. Le peuple déciderait alors souverainement à qui il confie les clefs de l’Elysée.
« Tout pouvoir est provisoire ; celui qui l’exerce doit savoir qu’il aura un jour à rendre des comptes ». (Albert Jacquard).
Raphael Piastra,
Maitre de Conférences en droit public des Universités
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