Tour d’horizon analytique de Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie Politique
Depuis des semaines, les équipes soignantes se battent, heure après heure, contre les conséquences du virus et parviennent ainsi à sauver des milliers de vie. Nul ne peut traiter la question du Covid-19 sans garder à l’esprit cette somme d’énergies, de talents et d’opiniâtreté qui forme l’ossature quotidienne de notre système de santé.
Si la crise sanitaire a montré le dévouement exponentiel des praticiens hospitaliers, elle a hélas révélé une série de dysfonctionnements et d’aléas en matière de quantification.
La pénurie de masques
Si l’on s’en tient à l’écoute patiente des sources gouvernementales, il est clair que même un mathématicien du niveau de Cédric Villani serait perdu tant diverses versions nous ont été livrées sans fard ni pertinence. On ne comprend pas le chiffre total des importations et leur calendrier. On ne perçoit pas la jauge des productions issues de nos usines nationales et complétées par certains industriels tels que Michelin, par exemple. On ne comprend pas bien pourquoi les masques commandés et payés par la Région Bourgogne Franche-Comté sont réquisitionnés sur un tarmac par notre État décidément plus centralisateur que prévoyant.
Une secrétaire d’État auprès de Bruno Le Maire affirme que tout le monde verra ses besoins satisfaits en matière de masques dits grand public à la fameuse date du 11 mai 2020. Nous ne pouvons que nous remettre à cette énième parole sans aucune garantie de bonne fin.
Cette pénurie de masques est l’emblème des retards français qu’une comparaison avec l’Allemagne achève au point de parler de décrochage inouï.
Un constat de carence concernant les tests
Même remarque pour les tests quand bien même l’OMS demande avec insistance de “tester, tester, tester”. De nombreux professeurs de médecine, devenus familiers de l’outil audiovisuel, n’hésitent plus à évoquer publiquement, dans ce domaine, une économie de rationnement et donc de risques lors du prochain déconfinement.
Là encore, il y a une parole publique à géométrie variable : il a été dit que les masques n’étaient opportuns que pour les soignants et que tester à grande échelle n’avait pas de sens.
Quant la parole godille alors qu’elle émane du respecté Professeur Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, il y a de quoi troubler plus d’un citoyen, plus d’un malade en puissance et plus d’un contribuable qui ne peut manquer de se poser des questions relatives à la qualité de la gestion publique.
L’incertitude pesant sur les chiffres de la réanimation
Le lundi 27 avril, un communiqué de la DGS signé du Professeur Salomon a livré une série de chiffres qu’il convient de rapporter ici.
128 339 personnes infectées, 28 055 hospitalisations (- 162 par rapport à hier ) dont 4 608 patients en réanimation (sorties : – 74, et entrées : + 125 par rapport à hier ).
Autrement dit, jamais autant de patients n’ont été décomptés en réanimation pour une seule et même pathologie.
Mais, à propos, de quel décompte parle-t-on ?
Régulièrement, Jérôme Salomon a indiqué les entrées et sorties en réanimation et tout le monde a cru bon de se féliciter lorsque le nombre de sorties nous éloignait du pic survenu vers la mi-avril. Nous avons fait connaissance avec une sémantique nouvelle : le “plateau décroissant” de l’épidémie.
Plusieurs jours après, des médias ont été alertés par des praticiens hospitaliers sur un point crucial : les personnes décédées en réanimation étaient bel et bien comptabilisées dans les sorties. Autrement dit, le tableau statistique est d’un coup devenu nettement plus flou et le “plateau” plus incertain.
Si l’on prend les chiffres de ce jour, il y a eu plus d’entrées que de sorties en réanimation et le solde s’est donc aggravé de près de 50 personnes. Après 36 jours de confinement ce qui atteste de la circulation maintenue du virus.
La polémique sur la mortalité en réanimation
Le discours officiel (comment l’appeler autrement ? ) indique depuis le 17 avril que le nombre de décès en réanimation vise 10 à 15 % des patients. Or, ce jour, il a été rendu publique une étude du Réseau européen de recherche en ventilation artificielle (REVA) qui suit un peu plus de 200 centres de réanimation.
Les chercheurs du REVA sont formels, la mortalité en réanimation se situe autour de 30 à 40% ce qui nuance donc la pseudo-victoire sur l’épidémie que le fameux plateau décroissant nous avait fait espérer.
Pour Matthieu Schmidt (La Pitié-Salpêtrière) coordonnateur du REVA, cette mortalité plus accentuée révèle la virulence du virus qui ne se contente pas – si l’on peut dire – d’attaquer les poumons mais qui altère aussi d’autres organes tels que le cœur, les reins.
Une chose est acquise, si le REVA est dans le vrai, le discours des Pouvoirs publics doit être revu de fond en comble.
Tant l’intensité de l’épidémie que sa gravité sanitaire auraient été minorées dans les communications de la Direction générale de la Santé.
DGS qui n’a jamais pris le soin de donner la durée moyenne d’un séjour en réanimation : indication pourtant précieuse.
Taux de létalité et décès à domicile
Là encore, chemin faisant, on vient de découvrir que les chiffres publiés quotidiennement par le DGS incluaient bien les décès à l’hôpital et dans les Ephads mais ne faisait nulle mention des morts du Covid-19 survenus en ville et dûment consignés.
Les estimations oscillent entre 8 500 à 9 500 personnes qu’il convient, par voie de conséquence, d’additionner au quelque 23 300 décès “officiels”.
Le Professeur Gilles Pialoux (Tenon) a parfaitement admis que le taux de létalité était encore, à ce jour, indéterminable et qu’il était probablement supérieur au chiffre de 0,53 %.
En clair, plus de 5 personnes sur 1 000 sont emportées par le virus.
Le malaise français et l’économie
Pour parfaire ce tour d’horizon analytique, il est utile de noter deux points qui révèlent l’ampleur du malaise français.
Tout d’abord, entre 55 et 60 % de parents ne souhaitent pas que leurs enfants retournent à l’école en mai. Ils ont bien compris que la date arrêtée d’autorité du lundi 11 mai 2020 faisait la part belle aux considérations économiques et que la sécurité sanitaire semble trop incertaine.
Ne pas vouloir envoyer ses enfants à l’école est une forme de défiance vis-à-vis du Pouvoir et l’expression d’une désobéissance civile.
Quant au volet économique, avec plus de 10,3 millions de personnes sous le régime du chômage partiel, il est à craindre que 2 à 3 millions d’entre eux ne rejoignent les 3,2 millions de chômeurs de catégorie ” A ” qui préexistaient à la crise.
La reprise dite en mode dégradé du fait de la perte de capacités de production découlant des protections sanitaires est un fait qui va s’imposer tant à l’automobile qu’aux brasseries et autres cafés restaurants. Quand on divise par deux le nombre de tables, il est rare d’augmenter sa recette par couvert servi.
Autrement dit, la productivité va subir une détérioration significative tandis qu’il n’est pas acquis que la consommation reparte vaillamment.
A l’inverse, le taux d’épargne dit de précaution des ménages est à noter.
Plus nous avançons, plus le ” V ” d’une reprise affirmée est exclu et plus le ” W ” (incluant des saccades) risque de s’imposer notamment au gré des faillites que la récession va infliger à notre tissu productif. Là encore, les estimations soutenues mordicus par Bruno Le Maire laissent pour le moins songeurs.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique