“Le mot résister doit toujours se conjuguer au présent.” nous enseigne la grande résistante Lucie Aubrac. En période de troubles ou de guerre dans un pays, il y a trois types de gens. Ceux qui résistent, ceux qui s’enfuient et ceux qui collaborent avec l’ennemi. L’Histoire de France a connu à cet égard deux grandes périodes, la Révolution et la Seconde Guerre mondiale. Durant la première, une double guerre minait le pays. Celle intérieure menée par les antirévolutionnaires et celle extérieure par ceux qui voulaient maintenir la monarchie. En 1793, à la Convention, Robespierre constatait : « Nos ennemis font une guerre d’armée, vous faites une guerre de peuple ». Cette guerre de peuple va finalement être gagnée, on sait à quel prix. Mais renverser des siècles de monarchie autoritaire valait quelques sacrifices fussent-ils parfois démesurés. Après tout, comme l’énonçait Saint-Just, « ce qui constitue la République c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé ». Alors durant cette Révolution, phase majeure de notre histoire, le peuple a résisté. Notamment le Tiers-Etat, c’est-à-dire ceux qui n’avaient rien ou si peu, qui n’étaient rien selon l’abbé Sieyès. Ce fut incontestablement, c’est vrai, une guerre du peuple. Celle qui se gagne au prix du sang et de la vie. Elle est grande, elle est unique, car elle renverse un système. Oui il y a eu des exactions. Toute guerre les génère. On le dit aussi souvent, des têtes sont tombées. Souvent fautives, parfois innocentes. A commencer par celle du monarque. « Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive » déclama, à juste titre, Robespierre grand horloger de cette période.
En 1789 le peuple s’est donc soulevé pour abattre un système qui l’avait trop oppressé. Si, comme actuellement dans certains pays d’Afrique noire ou en Afghanistan, les citoyens avaient déserté que serait-il advenu ? Tout simplement la Révolution aurait échoué.
Nous évoquions une autre période, celle de la seconde guerre mondiale. Dès juin 40, on le sait les troupes de la Wehrmacht nous envahissent. On pourrait dire avec une assez grande facilité tant nos armées sont désorganisées et mal préparées. Rappelons quand même la ligne Maginot. En mai 1940, au début des combats, cette ligne – réputée inviolable – tient à peu près mais n’empêche pas la défaite des Français face aux Allemands. En effet ces derniers ont simplement contourné les fortifications en passant par les Ardennes, que les généraux français pensaient infranchissables et n’avaient donc pas militarisé….
Dès ce printemps 1940, la France est coupée en deux comme on le sait avec une zone occupée et une zone libre (mais surveillée). Alors un grand nombre de citoyens vont, comme le préconise Pétain, entrer « dans la voie de la collaboration ». Celle-ci trouve son origine dans la Convention d’armistice du 22 juin 1940 qui, dans son article 3, dispose notamment que : « Le Gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités militaires allemandes et à collaborer avec ces dernières d’une manière correcte ».
Un certain nombre de personnes fuient la France, d’autres vont résister et d’autres vont se mettre au service de l’envahisseur. Il en fut aussi qui, sidérées par la situation, vont ne plus bouger ou s’astreindre à une stricte neutralité.
Que cela plaise ou pas, il convient de dire qu’au début du conflit, la personne de Pétain est idéalisée par une grande partie de la population (« vainqueur de Verdun »). Il y a un grand nombre de pétainistes. Et la collaboration devient une tentation puis une action. On peut dénombrer un peu plus de 145 000 personnes reconnues comme collabos (https://www.guichetdusavoir.org/ septembre 2021). Une ville comme Limoges ou Clermont-Ferrand à peu près. Cela fait moins de 5 % de la population de l’époque. C’est peu mais c’est un des chiffres les plus hauts d’Europe. Il reste que le chiffre doit être supérieur. En effet le simple fait de dénoncer même « discrètement » son voisin aux allemands ou à la milice, était un acte de collaboration. Et il y a eu là des milliers d’actes de délation. C’est ce que l’on a appelé parfois la collaboration de l’ombre. Un de nos proches parents a été victime de l’infâmie d’un petit concierge aussi médiocre qu’insignifiant, qui lui valut de passer un certain nombre de mois au fort de Montluc notamment dans les mains sympathiques de Barbie….
Et puis il va y avoir aussi la Résistance. Comme le souligne le grand architecte de celle-ci, le général de Gaulle, « je me sentis bien seul au début ». Mais, inexorablement de par la volonté d’un homme, la France Libre est en route. Il est toujours difficile de chiffrer le nombre de résistants. Il a été estimé à quelques 300000 par le meilleur spécialiste américain de cette période, Robert Paxton. Rappelons-nous d’abord de l’adage : « pétainiste sous Pétain, gaulliste sous de Gaulle ». En effet les « vrais » furent les résistants de la première heure. Notamment ceux qui, au niveau intérieur (communistes), ont œuvré. Il y eu aussi ceux de l’extérieur qui ont suivi le général de Gaulle depuis Londres. Jean Moulin réussit tant bien que mal à unifier les mouvements dans le Conseil Nationale de la Résistance. De grands résistants nous l’ont dit, ils n’ont jamais été si nombreux qu’au fur et à mesure que la guerre s’achevait et donc que l’Allemagne perdait…. On appelle ces gens-là, les résistants de la dernière heure. « Il en fallait ! » nous dira ce résistant auvergnat. Et puis il y a eu des politiques célèbres qui ont d’abord fait le choix de « Vichy » (ils auront même la Francisque…) puis sont rentrés tardivement dans la Résistance. A l’instar d’un gaulliste historique, Couve de Murville (qui sera Premier Ministre) et surtout un futur président de la République, F. Mitterrand !
En tout état de cause, cette résistance même si elle n’a pas été aussi forte qu’elle aurait pu (dû ?) l’être, a rassemblé des hommes et des femmes qui, en France, ont résisté après la défaite de l’armée française face à l’armée allemande.
Et, au soutien des troupes américaines et anglo-saxonnes, ils ont ainsi participé incontestablement à la victoire finale et à la Libération.
Les drapeaux de l’Émirat islamique d’Afghanistan flottent donc maintenant depuis deux ans sur le pays. Le 15 août, le gouvernement taliban a marqué le deuxième anniversaire de sa reprise de contrôle du pouvoir par un défilé militaire des plus symboliques. Les troupes ont paradé à bord de dizaines de véhicules et de blindés, uniformes et armes à la main, le tout abandonné à la va-vite par l’armée américaine dans sa débâcle bien peu glorieuse. Mis au ban par la communauté internationale, le pays, qui a exclu les femmes, s’enfonce dans la misère.
La majorité des reportages montrent que ce sont essentiellement les femmes afghanes qui résistent et subissent la vindicte des mollahs. Et pour cause, la majorité des hommes se sont enfuis du pays. Il n’est qu’à revoir les images de l’époque pour constater la facilité avec laquelle les talibans sont entrés dans Kaboul. Quasiment sans aucune résistance.
Et même avec les honneurs parfois (rendus par des hommes la plupart du temps). Ahmad Massoud, le fils du célèbre « lion du Panshir » et chef du Front National de résistance afghane, est très isolé. Selon lui le Front compte aujourd’hui environ 3 000 combattants, sur près de 40 millions d’habitants. Cela fait bien peu. Il s’agit d’anciens fonctionnaires, d’anciens militaires qui ont rendu leur tablier à l’arrivée des Talibans. Des hommes aussi qui ont combattu aux côtés du commandant Massoud et qui soutiennent aujourd’hui son fils. Et ce dernier déplore aussi manquer d’armes (France Info, 26/4/2023). On pourrait rajouter et d’aide….
Il est curieux de constater que depuis le retour des talibans, un certain nombre d’hommes qui ont fui le pays sont entrés illégalement sur le territoire européen et notamment français. Et ce n’est pas sans conséquences. Comme le souligne Pierre-Marie Sève (délégué général de l’Institut pour la Justice) “l’accueil d’Afghans en France mènera inévitablement à une hausse de la délinquance”. Depuis août 2021 ce sont environ 5000 afghans qui sont arrivés. Même si ces derniers que l’armée française a rapatriés ont collaboré avec elle, il est très vite apparu des soucis de délinquance. D’autres pays les ont à ce titre refusé (Russie, Allemagne, Autriche). Cheryl Benard, universitaire américaine spécialiste de l’Afghanistan, relevait ainsi que les Afghans « commettent des crimes sexuels dans une bien plus large mesure que les autres réfugiés, même de pays aussi musulmans et conservateurs ». Une femme est un objet de consommation comme une voiture ou un vélo…. Sur ce point on écoute assez peu les féministes de tous crins d’ailleurs.
La France s’expose en accueillant ces milliers d’afghans dont plus de 90 % sont des hommes. Ces derniers n’ont majoritairement pas une âme de résistants. Sinon ils ne seraient pas là. Mauvais signe pour leur pays. Et bon signe pour les talibans qui peuvent concentrer leurs funestes efforts sur les femmes et continuer de couler le pays.
Les Russes et les Américains s’y sont cassés les dents et n’y reviendront pas. Et puisqu’on l’évoque, la résistance contre les premiers fut essentiellement celle des Moudjahidines. Celle contre l’oncle Sam fut animée surtout par les talibans. Qu’on le veuille ou non, il n’y a pas eu vraiment de résistance de la part du peuple lui-même.
Nous évoquions plus haut certains pays d’Afrique noire. Le cas récent du Niger démontre que dans cette Afrique subsaharienne il existe une instabilité quasi endémique. Notamment dans les pays de l’Ouest, les périodes, fragiles, de démocratie le disputent à des juntes militaires. Quasiment aucun pays de ce secteur n’y a échappé. Et cette instabilité, on le sait, est alimentée par les problèmes socio-économiques cruciaux et par la corruption généralisée des élites qui gouvernent.
Dès lors, c’est au gré des coups d’Etat, qu’une sorte de résistance s’organise. Mais elle dure le temps qu’une junte s’installe ou qu’un ersatz de démocratie apparaisse. Il n’existe pas vraiment d’esprit de résistance dans ces contrées. Ce sont surtout les logiques tribales ou ethniques qui l’emportent le plus souvent.
« Les ministres, les chefs de cabinets, les ambassadeurs, les préfets sont choisis dans l’ethnie du leader, quelquefois même directement dans sa famille. Ces régimes de type familial semblent reprendre les vieilles lois de l’endogamie et on éprouve non de la colère mais de la honte en face de cette bêtise, de cette imposture, de cette misère intellectuelle et spirituelle. Ces chefs de gouvernement sont les véritables traîtres à l’Afrique car ils la vendent au plus terrible de ses ennemis : la bêtise ». (Frantz Fanon).
Et dans ce secteur de l’Afrique, il faut toujours compter sur la prégnance des mouvements terroristes islamistes (Aqmi) toujours prêts à entretenir l’instabilité. Sans oublier l’appétence récente de certains à se mettre sous domination russe (commando Wagner notamment) ou chinoise. En réaction, la plupart du temps, à la présence, ou ce qu’il en reste, de la France. Nous subissons là-bas un rejet majeur depuis quelques décennies. Notre pays n’a plus de politique claire de coopération depuis la présidence de N. Sarkozy. Pouvait-on faire plus maladroit que son discours de Dakar en novembre 2007 avec cette phrase : « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » ? N’est pas Césaire qui veut….
Voilà donc un peu ce que nous a inspiré les 2 ans de pouvoir des sinistres talibans. On aurait pu aussi étudier quelques pays d’Amérique du Sud où il est dur de résister aux mafias. Un candidat à la présidentielle vient d’être assassiné en Equateur. Également il ne fait pas bon être opposant à Moscou ou à Pékin. Mais les peuples qui souffrent devraient se remémorer notre Révolution qui, en 1789, nous a permis de passer de l’ombre à la lumière. « N’importe, et quoi qu’on en dise, la Révolution française est le plus puissant pas du genre humain depuis l’avènement du Christ ». (Victor Hugo).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités