Dans le cadre de sa rubrique Les points chauds du globe, Jacques Soppelsa revient sur les défis géopolitiques du Sud Caucase.
« Sud Caucase » et « Géopolitique »
Sud Caucase ?
Rappelons tout d’abord que les géographes, depuis longtemps, considèrent que le Caucase est une région orographique subdivisée en trois grands secteurs, à savoir :
- le « Caucase septentrional », composé d’entités gravitant, depuis l’implosion de l’Union soviétique, au sein de la Fédération de Russie ;
- le « Caucase central », regroupant les territoires de Géorgie, d’Arménie et de l’Azerbaïdjan ;
- et le « Caucase du Sud », englobant les provinces septentrionales de Turquie et d’Iran.
Cette approche, reposant quasi exclusivement sur des critères physiques, n’a pas été adoptée par les géopoliticiens, qui réservent le concept de « Sud Caucase » aux trois Etats désormais indépendants de Géorgie, d’Arménie et d’Azerbaïdjan.
« Géopolitique ? »… Nous pouvons définir le processus géopolitique comme une démarche reposant sur l’analyse des interactions entre les principaux facteurs rendant compte de la spécificité des caractères majeurs d’une zone géographique, une région, un territoire, un Etat-nation, une structure super étatique, un continent…
Dans les faits, les géopoliticiens comparent (ou tentent de comparer) en la matière, deux grands types de facteurs, pour rendre compte de la spécificité du sujet analysé : ce que l’on nomme les « tendances lourdes » d’une part, et « les variables contemporaines » d’autre part.
Les « tendances lourdes » émargent tout particulièrement aux champs de la géographie et de l’histoire, à l’espace et au temps.
Dans le Sud Caucase, nous ne pouvons négliger la spécificité des trois Etats en faisant abstraction de leur position géographique. L’importance des facteurs orographiques est, ici, capitale : avec le double rôle joué par le Caucase proprement dit, barrière naturelle entre le Nord et le Sud d’une part, refuge séculaire de populations déplacées, d’autre part. A fortiori, leur localisation fondamentale entre Mer Caspienne et Mer Noire.
A l’échelle de la région, les exemples de « tendances lourdes » étirées, par essence, sur le long terme, ne manquent pas. Souvenons nous du rôle stratégique majeur qu’elle joua au début du XXe siècle. A cette époque, le Sud Caucase était considéré comme un carrefour de tout premier plan par le Père de la géopolitique, Sir Halford McKinder.
De facto, le Caucase, à la veille de la Première Guerre mondiale, s’avérait être une zone clef suscitant la convoitise de l’Empire Ottoman, qui souhaitait réunifier les populations musulmanes, l’Empire russe (qui avait pour objectif de « brandir l’étendard de l’orthodoxie sur Istanbul ») et le Second Reich du Kaiser Guillaume, particulièrement intéressé par les colossales ressources naturelles de la région !
Au même titre, comment négliger la spécificité de la démographie, le poids des contentieux ethniques, les conséquences de multiples conflits ouvert ou l’importance du facteur religieux dans les relations séculaires entre les différents peuples ?
Mais cette gamme singulièrement riche de « tendances lourdes » est, ici ou là, reléguée au second plan par l’impact, certes très strictement localisé dans le temps, de certaines « variables ». Un changement de la donne politique (coup d’Etat, transition démocratique..), de nouvelles conditions économiques (crise conjoncturelle, dévaluation, accords commerciaux…) ou sociétales (flux de réfugiés, conflits ouverts…) peuvent perturber considérablement le statu quo ante. Témoins par exemple la complexité des négociations entre Bakou et Erevan, sans parler des multiples interventions multilatérales, pour tenter, depuis bientôt un quart de siècle, de résoudre le lourd contentieux lié au Haut Karabakh entre les deux pays.
Le Sud Caucase : analyse géopolitique prospective
Notre analyse comparative d’un certain nombre de données géopolitiques prospectives majeures appliquées aux trois Etats du Sud Caucase, indépendants depuis l’implosion de l’Union Soviétique, repose sur une méthode inédite tentant de déterminer objectivement les « risques » géopolitiques susceptibles d’affecter, pour le court ou le moyen terme, les Etats concernés1.
Dans ce contexte, eu égard au fait que l’humanité baigne désormais dans un univers de plus en plus complexe, complexité directement liée au double processus de mondialisation et d’instauration d’un « village planète » (pour reprendre les termes chers à MacLuhan), ces « risques géopolitiques » peuvent être, de manière un peu arbitraire, regroupés en trois grands types de facteurs :
- les facteurs « politiques » ;
- les facteurs « socio-économiques » ;
- les facteurs « socio-culturels ».
Nous avons ainsi sélectionné vingt paramètres, à savoir :
- Sept paramètres « externes »
- Le contexte géopolitique de l’ensemble de la zone géographique.
- L’influence des États voisins.
- L’importance des organisations régionales.
- L’impact de la criminalité organisée et des activités illicites.
- Le poids potentiel du terrorisme international.
- L’évolution de la situation financière vis-à-vis de la zone.
- L’immigration clandestine.
- Et treize paramètres « internes »
- La cohésion nationale.
- L’importance des facteurs ethniques.
- Le poids du facteur religieux.
- L’importance du fait urbain.
- La croissance du PNB.
- La spécificité de la fiscalité locale.
- Le potentiel énergétique.
- La croissance économique sensu lato.
- La structure de la population active.
- Le rôle de l’Etat
- Les tendances démographiques.
- La croissance industrielle.
- Les disparités intra régionales.
Cette approche ne peut naturellement prétendre à la précision et à la rigueur d’une analyse « scientifique », au sens classique du terme. Mais elle peut nous conduire à considérer :
- Que l’Arménie présente un « bilan géopolitique » relativement préoccupant ;
- Que la Géorgie, au bilan certes plus positif, peut mériter le qualificatif d’Etat fragile » ;
- Et que le futur de l’Azerbaïdjan, a contrario, est encourageant.
Perspectives géopolitiques des trois Etats du Sud Caucase
L’Arménie : un futur préoccupant
Comparée à ses deux voisins, l’Arménie apparait indéniablement comme le moins favorisé des trois Etats du Sud Caucase au plan de la géopolitique prospective. Ce territoire montagneux, « pas particulièrement béni des dieux », très fortement marqué par son contexte orographique et par sa position d’enclave, présente certes quelques éléments positifs.
Mais ils s‘avèrent relativement modestes par rapport à la gamme des obstacles et des difficultés potentielles susceptibles de l’affecter.
Trois éléments positifs méritent, nous semble-t-il, d’être soulignés :
- L’homogénéité de sa population : au dernier recensement officiel, 98 % de la population du pays était… arménienne ! Cette homogénéité est fondamentalement liée à la place, y compris aujourd’hui, de la mémoire collective de son Histoire. Ce trait de caractère a été récemment mis en valeur, au moins en apparence, par le conflit du Haut-Karabakh, provisoirement conclu par la « victoire » d’Erevan. Mais une victoire considérée de facto par la plupart des observateurs extérieurs comme une « victoire à la Pyrrhus » !
- Autre élément positif, la structure de l’Etat et du gouvernement. En dépit du fait que l’opposition nationale stigmatise régulièrement « d’importantes régularités dans le déroulement des scrutins », les dernières élections présidentielles se sont déroulées dans une atmosphère relativement démocratique, même si le pouvoir politique, sinon le pouvoir socio- économique, restent dans les mains d’une élite singulièrement restreinte…
- Dernier élément difficilement négligeable : l’impact, sur tous les plans, de la diaspora arménienne. Plus de 8 millions de personnes d’origine arménienne vivent désormais hors des frontières du pays, chiffre important si on le compare aux quelques 3,3 millions résidant en Arménie proprement dite! Les communautés les plus importantes sont implantées aujourd’hui en Russie (où leur influence est loin d’être négligeable), en France (notamment dans le couloir rhodanien et le Midi), en Iran… et aux Etats Unis… Ces communautés représentent, au-delà de vicissitudes conjoncturelles, de puissants lobbies pro-arméniens au sein de leur nouvelle patrie.

Mais ces quelques points positifs, en définitive, pèsent relativement peu lorsqu’on les met en balance avec de nombreuses sources de préoccupation :
- Le fléau de la corruption, dénoncé ici et là, y compris par maintes organisations extérieures et à la neutralité difficilement contestable2.
- L’environnement régional : entourée d’Etats avec lesquels, (c’est le moins que l’on puisse écrire), elle n’arrive pas à entretenir de rapports particulièrement amicaux, à savoir la Géorgie, l’Azerbaïdjan et, naturellement, la Turquie, l’Arménie n’a guère eu d’autre choix diplomatique et politique que d’améliorer ses contacts avec la Fédération de Russie, y compris aux plans économique et militaire (Moscou entretient par exemple une importante base militaire à Gyumri) et cette situation n’est pas seulement le reflet des héritages de feu l’Arménie soviétique !
Certains experts occidentaux, notamment en France, n’hésitent plus à écrire que l’Armenie n’est sans doute pas fortement liée à la Fédération de Russie… mais qu’elle lui ait trop fortement liée ! Ce point de vue, certes, peut être discuté ; mais l’on en peut pas ne pas se souvenir, par exemple, d’un constat édifiant : l’essentiel de l’énergie consommée en Arménie provient de la Fédération de Russie ! Et la décision, actée dès septembre 2013, prise par Erevan d’intégrer l’Union douanière constituée par la Biélorussie, le Kazakhstan… et la Russie, une Union douanière qui, pour Vladimir Poutine, a pour but final de déboucher sur une « Union économique eurasiatique », complique singulièrement l’évolution des rapports entre l’Arménie et l’Union européenne.
Ceci étant, l’élément de faiblesse le plus évident correspond, nonens volens, à la conjugaison de deux facteurs classiques de l’analyse géopolitique, la géographie (un Etat enclavé et dépourvu de façades maritimes) d’une part et l’histoire (des relations séculaires particulièrement délicates avec la quasi totalité de ses proches voisins) d’autre part.
Certes, Erevan et Ankara, par exemple, ont décidé depuis quatre ans d’amorcer des négociations en vue de « normaliser » leurs relations. Simple posture diplomatique ? L’avenir le dira…
D’autant que, en changeant d’échelle, à l’égard des autres entités régionales, le conflit « fermé », et conjoncturellement ouvert, avec Bakou, et les tensions pérennes issues des contentieux frontaliers avec Tbilissi confortent, si l’on peut dire, un contexte riche en préoccupations bi et multilatérales.
Au plan économique, enfin, la dernière décennie est illustrée avec éclat par une marginalisation accélérée de l’Arménie ! Nous songeons en particulier, dans le domaine des communications internationales, à la construction de l’oléoduc « Bakou- Tbilissi-Ceyhan » (oléoduc dont le rôle international, pour ne pas dire intercontinental, a été mis en lumière en 2014 par la décision de l’Azerbaïdjan d’abandonner l’oléoduc « Bakou-Novossibirsk » à son profit) ; à celle du gazoduc « Bakou-Tbilissi-Erzerium », évitant lui aussi soigneusement le territoire arménien, alors que sa traversée se serait traduite par un trajet beaucoup plus court !
Plus récemment, la voie ferrée internationale « Bakou-Tbilissi-Kars », projet lancé dès 2007, va littéralement révolutionner les données commerciales classiques entre… l’Europe et l’Asie centrale, en concurrençant le Transibérien, et conforter la fonction de transit des deux Etats sud caucasiens concernés (1 million de passagers annuels prévus et une capacité projetée de 3 millions à l’horizon 2030 ; 7 millions de tonnes de frêt, et quelque 18 millions en 2030). Erevan, ici aussi, reste encore au bord du chemin !
« BTC », « BTE », « BTK » ; trois exemples hautement significatifs de la fragilité de l’Arménie en matière de communications inter régionales… fragilité renforcée par la médiocrité de ses ressources énergétiques.
Pauvre pour ne pas dire totalement démunie en matières premières et en énergie, sans façade maritime, ne disposant que d’une industrie médiocre et très fortement localisée au sein de sa capitale, l’Arménie est en état objectif d’exclusion au cœur de la région sud caucasienne et peut être, par voie de conséquence, une cible « privilégiée » au plan des objectifs expansionnistes plus ou moins ouvertement affichés par le Kremlin !
La Géorgie : un Etat conjoncturellement fragile
A court terme, la situation géopolitique de la Géorgie semble plus fragile que celle de l’Arménie. Tbilissi est, tout d’abord, confrontée aujourd’hui à une sévère crise politique interne. Ivanichvili, l’oligarque leader de la coalition « Rêve géorgien » a obtenu en novembre 2014 la démission du vice Premier ministre et ministre de la Défense Alassania, après avoir contribué avec succès à écarter en 2013 le chef de l’Etat de l’époque, Mikhael Saakachvili. Une démission qui, selon certaines sources occidentales, avait relancé la rumeur d’un « agenda caché pro-russe ». Rumeur relancée en 2015 avec la démission du Premier ministre Magalachvii, remplacé par Guiorgui Kvirikachvili…
Mais Tbilissi, au-delà de ces aléas internes, est surtout confronté à un grand défi : le futur de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ! On se souvient qu’à la fin de la Guerre de 2008, après l’expulsion des troupes géorgiennes d’Ossétie du Sud par l’armée russe, le Président Medvedev avait accepté un plan de paix en six points proposé par l’Union européenne, présidée à cette date par la France, à savoir :
- la cessation définitive des hostilités ;
- le non recours à la force ;
- le libre accès de l’aide humanitaire ;
- le rapatriement des forces géorgiennes dans leurs camps de base initiaux ;
- le retrait des troupes russes ;
- l’ouverture de négociations internationales sur « l’avenir de l’Ossetie du Sud et de l’Abkhazie.
De facto, ce « conflit gelé » peut être légitimement considéré comme l’archétype de l’imbroglio auquel se heurtent depuis un quart de siècle les Etats du Sud Caucase ; les incidents de frontière n’ont guère cessé, en dépit de la disparition politique de Saakachvili, considéré par le Kremlin comme « l’incarnation du Diable » (ce qui a permis à certains observateurs d’évoquer une comparaison, (certes discutable), avec l’attitude de George W. Bush à l’égard de l’Irak de Saddam Hussein !
La signature, le 24 juin 2014, d’un accord d’association avec l’OTAN, n’a naturellement pas contribué à réchauffer les relations entre Tbilissi et Moscou. Un accord qui réactualisa l’achèvement du programme « Missile Defense » généré sous la présidence de Bill Clinton, poursuivi par Gorge W. Bush et par Barack Obama, avec l’implantation, dans le cadre de ce programme stratégique « IDS allégée », de bases de l’OTAN en Pologne, en République tchèque… et en Géorgie.
Cette situation est d’autant plus complexe qu’elle est renforcée par ailleurs, paradoxalement en apparence, par l’affirmation récurrente de Tbilissi d’adhérer à l’Union européenne, ce qui ne suscite pas, et pour cause, un vif enthousiasme du côté de Washington D.C.

Et, en changeant d’échelle, renforcée aussi par l’hypothèque toujours actuelle quant à l’avenir de la province d’Adjarie, à l’égard de laquelle le gouvernement géorgien ne peut négliger le rôle stratégique et économique tenu par Batoum, sur les rives de la Mer Noire !
Enfin, en dépit de la faiblesse des chiffres, se pose aussi aujourd’hui la question de la minorité arménienne. Certes, cette dernière ne représente que 5 % de la population du pays (contre 9 % du temps de l’Union soviétique). Mais ce déclin quantitatif s’est accompagné de mutations spatiales que l’on ne peut ignorer : au cours des deux dernières décennies, la minorité arménienne, naguère concentrée dans l’agglomération de Tbilissi, a progressivement migré vers la province méridionale du Javakh, l’un des districts les plus défavorisés de l’Etat.
Pourtant, en dépit de ces préoccupations internes et externes, la Géorgie, pour le long terme, nous parait devoir être confrontée à des difficultés moins sévères que sa voisine arménienne.
Elle dispose au moins de trois atouts loin d’être négligeables :
- L’homogénéité de la population, y compris au plan religieux, et au-delà de la minorité arménienne évoquée supra. En 2014, les Géorgiens représentaient en effet plus de 84% de la population du pays (4,9 millions d’habitants) contre 6 % d’Azéris et 5 % d’Arméniens. Et 88 % de la population totale appartient à l’Eglise orthodoxe, contre 7 % à l’Islam et 5 % à l’Eglise Apostolique arménienne;
- Le déclin progressif de la corruption. Le Rapport de l’Agence « Transparency Irternational Corruption » classait en 2013 la Géorgie au 66e rang mondial ;
- Les potentialités de l’économie nationale : à l’échelle de la dernière décennie, la Géorgie a présenté le taux de croissance annuel du PIB le plus élevé (de l’ordre de 13 %). Et le Rapport de la Banque mondiale de 2012 le classait même « numéro Un » en termes de réformes économiques. La même institution internationale classait Tbilissi au 113e rang mondial au plan des potentialités offertes aux investissements étrangers en 2005 et au 17eme rang en 2012 !
Malgré quelques zones d’ombre (un taux de chômage relativement élevé), le futur économique de la Géorgie s’annonce fort encourageant : l’emploi dans le secteur agricole traditionnel est passé sous la barre des 10 % à l’aube de l’actuelle décennie ; le secteur des services représente désormais les deux tiers de l’activité économique.
Last but not least : Tbilissi occupe une place stratégique en matière de réseaux de transports, de l’oléoduc « BTC » et du gazoduc « BTE », à la voie ferrée suprarégionale « BTK ».Trois exemples hautement significatifs, aux antipodes de la situation arménienne, contribuant au dynamisme potentiel du pays, non seulement à l’échelle régionale, mais à celle du sous continent, entre l’Europe et les horizons asiatiques.
L’Azerbaïdjan: un futur très encourageant
En comparaison avec ses deux voisins du Sud Caucase, l’Azerbaïdjan présente sans contestation possible des perspectives beaucoup plus brillantes quant au proche avenir.
Certes, Bakou reste confronté à quelques problèmes récurrents, émargeant, soit au domaine de la géopolitique interne, soit aux relations internationales proprement dites.
Au plan interne, par exemple, en termes d’économie, les activités du monde rural sont loin d’avoir atteint leur optimum (la population des campagnes représentait encore, au dernier recensement, quelques 47 % des actifs du pays).
Bakou n’a pas non plus totalement résolu la question des migrations intra régionales, ou celle de l’inflation, confortée, entre 2007 et 2012, par l’augmentation des prix dans le secteur non-pétrolier et par les dépenses militaires. Sur ce dernier plan, notons que si l’Azerbaïdjan consacre annuellement 3,4 % de son PIB à ses dépenses militaires, ce qui place l‘Etat au 60e rang mondial, il est loin de l’Arménie (4,4 %), des Etats Unis (4,7 %), de la Fédération de Russie (4,8 %) et, a fortiori, de certaines puissances moyen orientales, comme les Emirats Arabes Unis (8,3 %) ou l’Arabie saoudite (11,4 %)
Quant à l’éradication de la corruption, elle n’est semble-t-il, pas totalement achevée, en dépit des efforts soutenus du gouvernement azéri et à la collaboration du bureau de l’OSCE à Bakou. Mais les observateurs internationaux se sont plus à souligner les effets positifs de l’application du Décret présidentiel de 2007 sur « la Stratégie nationale de promotion de la transparence et du combat contre la corruption », à l’initiative du Président Aliyev, très déterminé pour combattre la corruption, une politique vivement soutenue par l’opinion publique.
D’autres difficultés peuvent être évoquées au plan extérieur, au premier rang desquelles figure la douloureuse question du haut Karabakh.
Le « conflit gelé » du Haut-Karabakh conserve toute son actualité !
Dès la disparition de l’Union Soviétique, un conflit ouvert a éclaté, on le sait, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Résultat, de fait, d’un lourd contentieux historique, remontant au début du XVIIIe siècle et conforté à partir de 1828 par la guerre entre la Russie des Tsars et l’Iran, et ses conséquences, notamment des déplacements forcés et massifs d’Arméniens de Turquie et d’Iran vers le Caucase et la création de l’Etat arménien d’Irevan.
A l’isue de la guerre de 1992, quelque 20 % du territoire azeri ont ainsi été occupés par Erevan : le Haut Karabakh, et les sept districts voisins d’Agdam, de Fuzûlî, de Djebrail, de Goubadly, de Zangian, de Latchin et de Klebadjar.

Das ce contexte, et face au souci de Bakou de récupérer ses anciens territoires et de régler ainsi le grave problème de son million de réfugiés, le Groupe de Minsk, sous l’égide des Nations unies, co présidé par le triumvirat « Russie-Etats Unis-France » a été mis en place pour résoudre le contentieux par la voie diplomatique. L’impartialité des travaux du groupe, depuis bientôt un quart de siècle, est difficilement contestable. Plusieurs documents, confortés par des résolutions de l’ONU elle-même, ont été rédigés puis validés par l’OSCE, l’OTAN, le Conseil de l’Europe, l’Organisation de la Coopération islamique etc… pour « résoudre la question conformément aux nomes du droit international, dans le cadre de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan ». Bakou s’est déclarée à plusieurs reprises très favorable au processus suggéré mais, jusqu’à présent, Erevan n’a pas donné suite…
Et, dans ce contexte délicat, et susceptible de créer de graves tensions au sein de tout le Sud Caucase, il n’est pas surprenant de constater que l’Union européenne s’est investie depuis quelques années dans la gestion de ce lourd contentieux. En 2009, déjà, Bruxelles publiait, dans ce contexte, des recommandations pour « préparer les conditions préalables à des négociations sur le Haut-Karabakh ». Rappelons aussi à ce sujet, en octobre 2014, à l’Elysée, la rencontre au sommet entre les Présidents azeri et arménien, sous la houlette du Président français. Une rencontre au cours de laquelle le Président azeri Aliyev a réitéré sa position, très favorable à une solution pacifique du conflit.
Sans négliger cette question, pérenne depuis deux décennies, Bakou dispose en revanche de beaucoup d’atouts pour affronter le futur proche :
- en premier lieu, bien sûr, sa position géographique, quasiment unique, à l’interface de l’Europe et de l’Asie, riveraine de la Mer Caspienne (outre la possession de plusieurs iles) et au contact direct (outre l’Arménie !) de la Russie, de la Géorgie, de l’Iran et de la Turquie, via l’enclave du Nakhitchevan ;
- la donne démographique : parallèlement à l’existence de quelques petites minorités (2,1 % de Lesghinans, 1,4 % d’Arméniens), l’Azerbaïdjan se caractérise en la matière par une très forte homogénéité, avec plus de 91 % d’Azeris, dont 94 % de confession islamique ;
- la stabilité des institutions et du gouvernement qui, via la Constitution, inspirée de Montesquieu et de son « Esprit des Lois », garantie la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, et des élections parlementaires renouvelées tous les cinq ans ;
- une impressionnante gamme de relations bi ou multilatérales : Bakou appartient naturellement à l’Organisation des Nations unies, mais également, par exemple, à l’OSCE ou au Conseil de l’Europe. L’Etat azeri s’avère un membre très actif d’organisations comme la « Guam – Organization for Democratic and Economic Development » ou la Commission de l’Onu pour la promotion des Droits de l’Homme, et s’est récemment avéré un partenaire particulièrement apprécié au sein de l’OTAN, dans le cadre du Programme pour la Paix de ce dernier, en Irak et en Afghanistan.
- au chapitre de l’économie, enfin, sans doute le secteur qui contribue le plus à l’hypothèse d’un avenir particulièrement encourageant, l’Azerbaïdjan s’affiche comme l’un des Etats ayant connu à la croissance économique la plus spectaculaire à l’échelle mondiale. Un constat directement lié, en premier lieu, nonobstant quelques aléas conjoncturel, au poids spectaculaire du secteur des hydrocarbures, un poids plus que séculaire, avec la construction, en 1907, de l’oléoduc Bakou-Batum, une époque où les réserves azeries en pétrole étaient estimées à 15 % des ressources exploitables du globe.Quant au domaine des transports, nous avons déjà évoqué, en traitant de l’avenir de la Géorgie voisine, de l‘impact de la trilogie « BTC », « BTE », « BTK »…
Une légère réserve, in fine : le boom économique azeri a été indissociablement lié à celui des hydrocarbures. Un secteur qui, à l’aube de l’Indépendance, et jusqu’à ces derniers lustres, représentait, directement ou indirectement, quelques 60 % des investissements étrangers ! En dépit de la question (incontournable) posée par des relations internationales complexes, non seulement avec les Etats voisins, mais également avec l’Union européenne et les Etats-Unis, donc, par voie collatérale, avec la Russie, nous pouvons considérer aujourd’hui que le défi économqie majeur auquel est affronté Bakou, concerne la diversification des activités industrielles et tertiaires. Un défi qui explique les efforts soutenus du gouvernement pour encourager vigoureusement les activités industrielles non pétrolières, de la construction, aux télécommunications ou au tourisme.
Jacques Soppelsa
Président honoraire de l’université de Paris Panthéon Sorbonne, ancien conseiller aux ambassades de France de New York et de Buenos Aires
—–
- Cette approche reprend, en l’actualisant, le Rapport rédigé par l’auteur en 2011: « South Caucasus: a prospective analysis of the geopolitical risks for the next decade: difficulties for Armenia; fragility for Georgia; optimism for Azerbaijan” ↩
- The « Transparency International Corruption Report » classe, en 2013, l’Arménie au 112e rang mondial en matière de corruption. ↩