Floriane Zagar remet en question l’idée selon laquelle l’écriture inclusive contribue à l’égalité des genres, arguant qu’elle crée plutôt des obstacles à la compréhension et à l’apprentissage.
« Penser, c’est manier les signes de la langue » Émile Benveniste.
Alors, cher.e.s lecteur.rice.s êtes-vous partagé.e.s sur ce sujet, ou faites-vous partie de ceux.elles qui ont choisi leur camp ?
Vouloir « genrer » l’écriture, voici bien une stratégie militante de la bien-pensance qui donne à réfléchir ! Chercher à faire un amalgame entre le genre des mots et le sexe des personnes, vouloir fixer l’attention sur la connotation d’un terme au détriment de son sens réel et de son usage courant, illustre bien l’objectif de la démarche des tenants de l’écriture inclusive.
La langue est une structure informée de signification, mais entre certaines mains, les mots deviennent alors les instruments d’une vacuité et d’une propagande dont nous allons essayer de cerner la technique en elle- même, puis l’intention qui la sous-tend.
Sous une justification humaniste, féministe plus précisément, une nouvelle approche idéologique a vu le jour : celle de prétendre établir l’égalité des genres dans la langue.
Dernier avatar de la machine du militantisme, l’écriture inclusive prend prétexte de la défense des droits des femmes, du droit à leur visibilité dans notre société, à une place qui leur serait refusée, pour s’immiscer jusque dans notre école et dans notre quotidien.
Les promoteurs de l’écriture inclusive ont fait de cette dernière leur cheval de bataille, euh… pardon, leur « jument de bataille », créant par la même occasion un drôle de manège, cravache en bandoulière et saut d’obstacles garantis pour nos plus jeunes apprenants.
Regardons de plus près la technique de cette écriture qui affiche, officiellement, un pragmatisme couplé à un humanisme.
Une écriture générant de l’insécurité linguistique.
Prônant que l’égalité doit s’écrire désormais, qu’il doit y avoir une visibilité égale des femmes et des hommes, quelques ajustements devraient être opérés dans nos pratiques écrites.
À cette fin, il est recommandé d’utiliser, au choix le point (Tou.te.s les étudiant.e.s sont motivé.e.s.), le trait d’union (Tou-te-s les chanteur-euse-s sont heureux-euses.), la parenthèse (Tout(te)s les instituteur(trice)s sont charmant(e)s.) ou encore le slash (Tou/te/s les docteur/e/s sont exceptionnel/le/s.).
Il est aussi conseillé de chercher des tournures neutres, par exemple parler de « droits humains » au lieu des « droits de l’homme », ou encore employer des néologismes, tels que « iels » pour englober « ils » et «elles », ou « celleux » pour regrouper « celles » et « ceux » dans un groupe mixte.
Enfin, dans cette approche, il est demandé de remplacer un mot genré par un terme épicène (les professeurs seront donc remplacés par le corps professoral, le directeur par la direction, ou encore l’adjectif « qualifié » sera écarté au profit de « apte »).
Ainsi, lors de la rentrée 2017, les éditions Hatier ont publié le premier manuel scolaire rédigé en « écriture inclusive », Questionner le monde pour les classes de CE2. L’éditeur s’est même fendu d’un tweet dans lequel il se déclare « Très fier.ère.s d’avoir publié le premier manuel scolaire en écriture inclusive ».
Et là, bienvenue en absurdie !
Non contente de gommer la nature grammaticale de leur structure, la maison d’édition se permet au passage d’inventer en plus des deux possibilités que sont le masculin-neutre (« Hatier est fier ») et le féminin (sous entendant « la maison d’édition Hatier est fière »), une troisième voie (futur troisième sexe peut-être) avec ce pluriel qui rajoute l’aspect royal du « Nous sommes fiers », rendant au passage imprononçable l’ensemble à voix haute.
Il est heureux que le ridicule ne tue plus, mais venant d’un manuel destiné à nos plus petits, cela relève à mon sens d’une faute professionnelle et non plus seulement syntaxique.
Il suffit pour cela de jeter un coup d’œil à cet extrait du sommaire de l’ouvrage en question pour juger de la tâche qui attend nos enseignants :
Lorsque l’on sait que plus d’un élève sur cinq n’a pas une lecture fluide, et que l’apprentissage de la lecture est central dans le développement de capacité langagière, l’enjeu est de taille !
Le Ministère de l’éducation nationale a dû d’ailleurs réaffirmer combien la complexité et l’instabilité de « l’écriture dite « inclusive » constituent autant d’obstacles à l’acquisition de la langue et de la lecture.
Ces écueils artificiels sont d’autant plus inopportuns lorsqu’ils viennent entraver les efforts des élèves présentant des troubles d’apprentissage.
Alors où est la notion d’inclusion dans tout cela ? En quoi cette écriture permet-elle de lutter contre la discrimination tandis qu’elle nuit à toute intelligibilité de la langue française ? Comment peut-on prétendre instaurer une égalité en fragmentant des mots, en créant des obstacles à l’apprentissage de nos plus jeunes ? Coté pragmatisme donc, on repassera.
Une écriture matérialisant un marqueur idéologique
L’écriture inclusive déplace sur le terrain grammatical des questions sociétales, politiques voire culturelles. Certes, la langue habille la pensée, elle en est le vecteur le plus spontané.
« Une langue différente est une vision différente » estimait le réalisateur et écrivain italien Federico Fellini. La langue française a cette particularité du fait de sa richesse, de sa nature subtile, de pouvoir, permettre à toute pensée de s’exprimer au plus près de ce qui lui a donné naissance.
« Une langue est le reflet exact du caractère et de la maturité de ses locuteurs » assénait le militant des droits civiques, César Chavez. Dans ce cas, la situation devient très préoccupante à voir quelques militants s’arc-bouter sur une pratique langagière qui, loin de résoudre une question, en ouvre de multiples et perd ses locuteurs.
En premier lieu, l’écriture inclusive vise à faire écho à la question de la place faite à la femme dans notre société, à la considération qui lui est portée.
Si la rémunération de cette dernière, à fonctions et qualification égales, est un vrai problème, si son accès aux responsabilités est source de questionnement légitime, si le « plafond de verre » professionnel ou le partage des tâches domestiques est un sujet récurrent, il est peu probable que l’injustice dont les femmes se sentent victimes concerne le (mes)usage du suffixe « -trice » ou l’absence de désinence féminine à témoin ou assassin.
Si certaines se lèvent, chaque matin, préoccupées voire humiliées à l’idée de devoir reconnaitre qu’« il pleut » au lieu de « il.elle.pleut », la grande majorité des femmes estime que les injustices les plus criantes se situent ailleurs.
N’en déplaise à l’aristocratie du verbiage, la sécurité, la considération portée par ce « e » supplémentaire ou cette terminaison qui féminiserait le terme, mises en avant par les néo-féministes, ne changera pas le sort de toutes les jeunes filles ou des femmes qui vivent dans les cités ou qui sont confrontées à un quotidien violent.
Un « e » n’y changera rien et c’est une insulte à l’intelligence que de prétendre le contraire.
Ces mêmes personnes, qui mettent en avant le machisme supposé de notre langue, ne s’émeuvent pas en revanche du combat des femmes iraniennes contre le voile ; elles ne s’offusquent contre la condition de la femme dans certains quartiers français.
Ensuite, quand on postule une relation de causalité rendant la langue responsable de l’état de notre société, faut-il encore savoir comment se construit une langue.
L’écriture inclusive est, en France, notamment promue par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Cet élément montre qu’il s’agit surtout du prolongement d’une vision politique de la question, et en aucun cas du fait que la population se serait emparée spontanément de ce sujet et en aurait fait une priorité.
Le qualificatif « inclusif » semble indiquer que l’écriture traditionnelle serait donc porteuse d’exclusion par nature, de cette exclusion qui stigmatiserait socialement la gent féminine. L’écriture n’a pas ce pouvoir, la démarche est donc bien de portée uniquement symbolique, dans un pays où hommes et femmes sont égaux en droit.
Poser comme constat, comme l’affirme le Manuel d’écriture inclusive (MEI) que la langue serait sexiste, illustre une confusion entre langue et discours, confusion qu’un étudiant de 1ère année en communication ne fait plus. C’est un peu comme si l’on pensait pouvoir modifier la coupe d’un vêtement … en changeant la couleur du tissu. On ne modifiera pas la situation en s’attaquant à l’architecture du mot en lui-même mais en s’attaquant au discours, véritable promoteur d’une pensée. C’est bien cette dernière qu’il faut travailler, qu’il faut bousculer pour faire évoluer les choses.
La promotion de l’écriture inclusive passe par cette idée que des « attentions graphiques et syntaxiques vont permettre d’assurer une égalité de représentation des deux sexes ». Cela implique-t-il donc qu’il va falloir la parité aussi dans le dictionnaire ? qu’il va falloir que chaque terme ait sa dualité masculin-féminin ? L’égalité doit-elle aussi passer par le verbe ?
Ainsi le MEI propose-t-il concrètement d’« user du féminin et du masculin, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, l’usage du point médian, ou le recours aux termes épicènes » , encourageant ainsi à renoncer au masculin générique, à l’image de cet extrait : « (le discours) témoigne et participe à la construction et la perpétuation d’inégalités et de stéréotypes de sexe, tel.le.s que nous les observons au quotidien ».
« Tel.le.s », qui renvoie aux termes inégalités et stéréotypes, illustre parfaitement l’approche inclusive, déconnectée du sens d’un mot pour ne mettre en avant que son genre.
Un stéréotype n’est pas plus, par essence, masculin qu’inégalité n’est féminine ! Et pourtant, il va falloir brutaliser les pronoms, et le lecteur au passage, afin de ne pas froisser les susceptibilités de quelques bonnes âmes.
Et, en attendant, les véritables combats, ceux qui ont pour but de permettre aux femmes de prendre « la place » qui leur revient de droit et non plus de fait, sont occultés au profit de véritables dénis de la réalité linguistique et d’une instrumentalisation idéologique du langage.
« Le langage est la feuille de route d’une culture. Il vous indique d’où vient et où va son peuple » considérait la militante féministe et autrice américaine Rita Mae Brown. À ce compte-là, la sortie de route ne va pas se faire attendre pour tous les adeptes de l’écriture inclusive.
Notre culture est riche de sa diversité de ses sources d’inspirations, de ses racines, de ses « Lumières », or les partisans de cette écriture vocifèrent contre les accords de l’adjectif, mettent en avant « les journées du matrimoine » ou créent des barbarismes telles que « membresse ».
Découvrir de faux problèmes pour en devenir le justicier, créer des antagonismes là où il n’y en a pas, faire naître des revendications sur des points qui, au contraire, jouaient le rôle de liants … tout cela relève d’une stratégie bien éprouvée.
« La connaissance des langues est la porte de la sagesse » rappelait Roger Bacon, philosophe du XIIIe siècle. Connaissance et sagesse … nous en sommes bien loin avec ces postures bien-pe(n)santes visant à décréter que tout opposant à l’écriture inclusive ne saurait être qu’un suppôt du machisme rétrograde.
Vous avez dit humanisme ?
Floriane Zagar
Enseignante à l’Université Paris-Est-Créteil – UPEC