Dimanche 28 février, les 5,4 millions d’électeurs salvadoriens sont appelés aux urnes. Il s’agit d’élire les 84 députés du Parlement national, les 262 maires et conseils municipaux et les 20 représentants au Parlement centraméricain, dans des conditions sanitaires strictes1. Tandis que Président Nayib Bukele, élu en 2019, travaille à obtenir une majorité à l’Assemblée législative, l’opposition désunie, espère malgré tout, parvenir à conserver un poids qui lui permette de conserver un rôle de contre-pouvoir. Ces élections sont inédites car les partis, qui ont organisé la vie politique salvadorienne depuis les accords de paix de 1992, ARENA pour la droite et le FMLN pour la gauche, sont en passe de perdre leur place prépondérante dans la vie du pays. Plus que jamais, tandis que cette campagne électorale s’est déroulée dans un climat de violences, El Salvador s’apprête à tourner une nouvelle page de son histoire. |
Un Parlement monocaméral élu à la proportionnelle intégrale
La République du Salvador est politiquement organisée par la Constitution de 1983, amendée en 2003. Le système politique est un régime présidentiel, dominé par un président qui est à la fois chef de l’État et chef du gouvernement, et qui, à ce titre, nomme et révoque les ministres. Il est assisté d’un vice-président.
Le Parlement est formé d’une seule chambre, l’Assemblée législative (Constitution, art. 121), composée de 84 députés (Code électoral, art. 13) élus pour un mandat de trois ans (Constitution, art. 124). Au contraire, le Président de la République est élu pour un un mandat de cinq ans non renouvelable (Constitution, art. 154). Contrairement à la plupart des pays de la région, les élections présidentielles et législatives ne sont donc pas couplées.
Le système électoral de la chambre est basé sur un scrutin proportionnel (Constitution, art. 79) plurinominal à listes ouvertes (donc panachage possible) et au plus fort reste. Les circonscriptions électorales législatives sont les 14 départements du pays et pourvoient de 3 à 24 sièges en fonction de leur démographie (Code électoral, art. 13). Pour être élu député, il faut être salvadorien de naissance et avoir 25 ans (Constitution, art. 126).
L’Assemblée sortante compte 31 % de femmes et est dominée depuis 2018 par les deux principaux partis politiques : l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA) avec 37 sièges et le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN) avec 23 sièges. Le parti qui a soutenu le candidat Bukele lors de l’élection présidentielle de 2019, Grande alliance pour l’unité nationale (GANA), ne dispose que de 10 sièges.
El Salvador, le bon élève d’une transition démocratique réussie…
Ce pays d’Amérique centrale de 21 000 km² est situé entre le Guatemala et le Honduras. Dans les années 1980, une guerre civile oppose la guérilla marxiste du FMLN et les gouvernements successifs : ceux des juntes militaires et civiles (1979-1984) et ceux du démocrate-chrétien Napoléon Duarte (1984-1989) et de la droite-ARENA d’Alfrédo Cristiani (1989-1994). Les accords de Chapultépec le 16 janvier 1992 mettent fin à douze ans de conflit et permettent une transition démocratique réussie2. Pendant 25 années, les deux plus grands partis politiques du pays, l’ARENA (droite) et le FMLN (gauche), lequel est la traduction politique de l’ancienne guérilla marxiste, se partagent le pouvoir3.
Le Salvador est le seul pays ayant réussi à intégrer dans le jeu politique national une guérilla démobilisée conformément à un accord de paix négocié4.
Le succès de cette transformation d’un mouvement armé en formation politique légalisée se traduit par des résultats électoraux en constante progression au fur et à mesure des scrutins : en 2009, l’ancien journaliste Mauricio Funes, soutenu par le FLMN, devient Président et, en 2014, et que celui élu en 2014, un ancien commandant de la guérilla, Salvador Sánchez Cerén, lui succède5.
Mais en 2019, l’élection surprise de l’outsider de 37 ans Nayib Bukele à la présidence de la République, sur fond de critiques virulentes contre les partis traditionnels, bouleverse l’échiquier politique6. Résolument moderne dans ses tenues vestimentaires et dans sa communication sur les réseaux sociaux, l’ancien maire de la capitale San Salvador séduit, dès le premier tour, un électorat déçu par le manque de résultat des partis au pouvoir dans la lutte contre la corruption7, la pauvreté et la criminalité organisée qui gangrènent le pays depuis longtemps. Le jeune Président doit gouverner depuis deux ans avec un Parlement qui ne lui est pas acquis. Il compte sur le nouveau mouvement politique qu’il a créé, Nouvelles Idées (Nuevas ideas), et dont il a confié la direction à son cousin, pour emporter les élections législatives du 28 février.
… mais qui reste encore fragile face au défi de la présidence Bukele
Les sondages laissent présager une large victoire de Nuevas Ideas. La question se pose même de savoir si le parti présidentiel ne pourrait pas atteindre à lui seul les deux tiers de l’Assemblée législative (56 sièges) : fort de cette majorité qualifiée, le Président de la République serait alors en mesure de nommer des sympathisants à tous les postes clefs de l’État qui constituent en principe autant d’institutions indépendantes de l’exécutif et de contre-pouvoirs8 : les présidents et magistrats de la Cour suprême de justice, du Tribunal suprême électoral et de la Cour des comptes, le procureur général, le défenseur des droits et les membres du Conseil national de la magistrature (Constitution, art. 131, 19°).
Mais, Nayib Bukele est accusé, par ses adversaires et certains observateurs de la vie politique salvadorienne, de contourner les règles démocratiques et d’avoir des penchants autoritaires. En témoigne son intrusion dans l’hémicycle parlementaire il y a un an avec des soldats en armes pour faire pression sur les députés qui hésitaient à voter un de ses projets de loi : un acte qui avait ému la communauté internationale9. De même, le chef de l’État est accusé d’attiser les tensions pendant la campagne électorale avec une « rhétorique incendiaire » et d’être en partie responsable du meurtre de deux militants du FMLN abattus en plein cœur de la capitale le 31 janvier10 ; plusieurs syndicats et fédérations d’entreprises ont appelé au calme, craignant que ces violences fassent revenir le pays 30 ans en arrière : le président de l’Association nationale des entreprises privées, Javier Simán, a même regretté que Nayib Bukele soit « le principal incitateur de haine et de violence » alors que sa fonction devrait le conduire à « être le premier à donner l’exemple de la tolérance et du respect »11.
Le chef de l’État a aussi nié un évènement historique fondateur du pacte social salvadorien actuel en qualifiant de « farce » les accords de paix de 199212. Par ailleurs, le 25 février dernier, le Tribunal suprême électoral a ouvert une procédure contre le président Nayib Bukele, après avoir inauguré une nouvelle autoroute en violation de l’article 178 du code électoral qui interdit au gouvernement, pendant les 30 jours précédant un scrutin, de louer des espaces de communication publicitaire et d’inaugurer des infrastructures nationale : le Tribunal a également interdit aux médias de relayer les images correspondantes.
Avec les accents d’un populisme trumpien indéniable, le Président Bukele et son parti Nuevas Ideas appellent les Salvadoriens à aller voter pour choisir le « ni-ni » (ni de droite, ni de gauche ) et pour contrer une probable fraude : des allégations lancées sans aucune preuve et démenties par le Procureur général et le Tribunal suprême électoral13. Face au raidissement du discours présidentiel et à la hausse de la violence, les oppositions, ARENA à droite et le FMLN à gauche, tentent donc de convaincre les électeurs de voter pour elles et de ne pas remettre tous les pouvoirs entre les mains du Président.
Pendant ce temps, les sujets sociétaux qui intéressent aussi la population, comme le droit d’accès à l’eau14, les avancées du système de santé15 ou l’interdiction de l’avortement16 par exemple, ne sont pas développés.
Le climat de cette campagne électorale inquiète jusqu’aux universitaires et ONG dont certaines ont appelé l’armée à rester dans le strict cadre de la Constitution et ont demandé à la police d’assurer la sécurité de tous les votants17. El Salvador subit en outre, depuis un an, les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire : la note du pays a ainsi été dégradée, avec en 2020 une récession d’environ 6 % et une chute de 63 % du tourisme et de 14 % des exportations18. De son côté, la nouvelle administration Biden montre des signes d’agacement face à la dégradation du climat politique salvadorien : elle pourrait bien jouer un rôle de contre-pouvoir extérieur en étant plus exigeante sur le respect des droits de l’Homme19. Autant d’éléments qui soulignent l’importance des élections législatives salvadoriennes de l’année 2021 qui vont marquer l’ouverture d’une nouvelle page de la vie politique de ce pays centraméricain.
David Biroste
Docteur en droit, Vice-président de l’association France-Amérique latine, LATFRAN (www.latfran.fr)
- Tribunal suprême électoral, Guide des élections 2021 El Salvador: Délégations à l’Assemblée législative, au Parlement centraméricain et aux membres des conseils municipaux, 19 novembre 2019 (consulté le 26/02/2021) ↩
- P. Drouhaud, « Salvador : la construction de la paix », Défense nationale, n° 538, janvier 1993, pp. 121-130 (consulté le 26/02/2021) ; P. Drouhaud, « El Salvador : la longue marche vers la paix », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 177, janvier 1995, pp. 185-194 (consulté le 26/02/2021). ↩
- D. Garibay, « De la lutte armée à la lutte électorale : itinéraires divergents d’une trajectoire insolite. Une comparaison à partir des cas centraméricains et colombien », Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 12, n°3, 2005, pp.283-297 (consulté le 26/02/2021). ↩
- F. Massé, « De la violencia a lo político, una reconversión lograda ? El caso de El Salvador », Análisis Político, n°36, janvier 1999, pp. 40-57 (consulté le 26/02/2021). ↩
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- « El Salvador elections could give Bukele control », RFI (avec AFP), 26/02/2021 (consulté le 26/02/2021). ↩
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