Dans cette entrevue avec la Revue Politique et Parlementaire, Thierry Damerval, Président-directeur général de l’ANR, partage des perspectives approfondies sur le programme LabCom et son impact au cours des dix dernières années.
Revue Politique et Parlementaire – Pouvez-vous nous expliquer le principe qui a présidé au lancement du programme LabCom ?
Thierry Damerval – LabCom, créé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche), est un instrument de soutien à la recherche partenariale public/privé qui s’inscrit dans le cadre des projets de recherche collaboratifs que nous finançons. Chaque année, nous soutenons, à travers l’appel à projets générique, plus de 150 projets collaboratifs impliquant des entreprises. Parallèlement, le dispositif Carnot, lancé en 2005, labellise de grands centres de recherche. Actuellement, 39 centres détiennent ce label, représentant 20% de la recherche publique.
Les centres labellisés Carnot attirent plus de la moitié (58%) des contrats de recherche industrielle en France, et nous contribuons financièrement pour préserver leur attractivité et compétitivité.
Grâce à la loi de programmation de larecherche, nos moyens ont augmenté, faisant passer l’abondement au programme Carnot de 62 millions d’euros en 2020 à 107 millions d’euros aujourd’hui.
Par ailleurs, LabCom intervient en visant à établir des liens durables entre les entreprises et les laboratoires de recherche publics, en complément des Chaires industrielles, qui concernent principalement de grands groupes et impliquent également des actions de formation. Les LabCom sont avec des TPE, PME et ETI. Sur les plus de 220 LabCom que nous avons soutenus entre 2013 et 2022, 71% impliquent des PME. L’ANR apporte un soutien financier sur une période de 4ans et demi, visant à créer des liens durables. Notons que 70% des LabCom soutenus ont abouti à des structures pérennes, témoignant de liens durables entre les entreprises et les laboratoires académiques. Ce dispositif permet à certaines entreprises ayant investi relativement peu dans la recherche d’accéder à un niveau de recherche significatif. Près des trois quarts des entreprises bénéficiaires déclarent que cela a eu un impact positif sur leur R&D. Ainsi, LabCom, en place depuis 10 ans, continue de jouer un rôle crucial dans le renforcement des partenariats entre le secteur public et privé.
RPP – 10 après son lancement quel premier bilan vous en tirez ?
Thierry Damerval – Les premiers bilans indiquent que dans 70% des cas, des liens structurés et durables sont établis entre l’entreprise et le laboratoire académique. Cette collaboration se traduit par des impacts concrets sur le développement de la Recherche et Développement (R&D). Pour les dix ans des LabCom, nous présentons non seulement les résultats lors de sessions plénières, mais nous proposons également des démonstrations et une session d’affiches. Ces initiatives offrent une plateforme au laboratoire, fruit de la collaboration entre l’entreprise et le laboratoire public, pour exposer les développements et les résultats obtenus.
RPP – Quelles sont les exemples les plus significatifs de cette logique de partenariat ?
Thierry Damerval – Quelques exemples concrets illustrent les résultats fructueux de ces partenariats. Dans un cas, une collaboration a permis au laboratoire académique de développer des technologies de filtration d’eau de haut niveau, entraînant une innovation majeure dans la création de filtres totalement nouveaux. Cette avancée a considérablement boosté le chiffre d’affaires de l’entreprise, enregistrant une hausse significative de 50%. Ces succès s’étendent à divers domaines, comme le montre un autre exemple impliquant un laboratoire à Montpellier. En partenariat avec une entreprise, ce laboratoire a conçu des dispositifs de mesure de l’ADN dans l’environnement, offrant une solution non invasive et plus précise pour évaluer la biodiversité et l’évolution des ressources halieutiques en mer.
Un autre domaine d’innovation concerne l’utilisation de l’Intelligence Artificielle pour le tri sélectif, résultant d’une recherche de haut niveau se concrétisant par des applications pratiques. Cette logique partenariale ne se limite pas seulement à des avancées technologiques, mais elle joue également un rôle crucial dans le recrutement de talents tels que des étudiantes et des étudiants en thèse, des post-doctorantes et des post-doctorants, des ingénieures et des ingénieurs. Par le biais de l’Association Nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT), des thèses CIFRE sont également mises en place dans le cadre des LabCom. Une annonce particulièrement notable lors de la célébration des 10 ans de LabCom a été l’instauration d’un processus simplifié et accéléré pour l’obtention de thèses CIFRE, renforçant ainsi davantage le lien entre la recherche académique et l’industrie.
RPP – Quels sont les freins qui persistent encore et quelles sont les pistes d’amélioration du programme ?
Thierry Damerval – Un point important à souligner est que 74% des entreprises participant aux LabCom ont été informées de l’existence du dispositif par leurs partenaires académiques. Bien que cela témoigne d’une communication efficace entre les partenaires, il est crucial de noter que 74% n’ont pas été informées par nos propres canaux de communication. C’est un aspect que nous cherchons activement à renforcer, car une meilleure visibilité du dispositif est essentielle pour toucher un public plus large.
Afin d’atteindre cet objectif, nous avons instauré les « Rendez-vous de l’ANR », une initiative visant à rencontrer des institutions, des établissements de recherche, ainsi que des associations.
Participent également à cette journée l’AFPC (Association Française des Pôles de Compétitivité), l’ANRT, le Réseau C.U.R.I.E, le Réseau SATT (Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies) et l’Association Carnot. Cette interaction avec divers regroupements et associations est cruciale pour une diffusion plus étendue de l’information.
Par ailleurs, bien que de nombreux LabCom opèrent dans les domaines de la technologie et de la biologie, quelques-uns se situent également dans les sciences humaines et sociales, l’économie et l’innovation sociale. Toutefois, il est important de souligner que le développement de LabCom dans les sciences humaines et sociales, encore trop peu nombreux aujourd’hui, constitue également une priorité pour nous.
Cette journée célébrant les des 10 ans des LabCom a enfin été l’occasion d’annoncer l’ouverture du dispositif aux start-up.
RPP – Comment ont évolué les partenariats avec les entreprises au cours des dix dernières années, et quelles transformations ont été observées dans les demandes des entreprises au fil du temps ?
Thierry Damerval – Effectivement, il y a eu une augmentation significative. Auparavant, on évoquait parfois des freins ou des réticences au sein de la recherche publique concernant les partenariats avec les entreprises. Honnêtement, cette perception a considérablement évolué.
Actuellement, des laboratoires, qu’ils appartiennent à des organismes de recherche ou à des universités, sont engagés dans des LabCom.
Cette proximité et cette interaction se développent activement. Comme mentionné précédemment, nos ressources ont connu une augmentation grâce à la loi de programmation de la recherche de 2020. L’objectif fixé est ambitieux : doubler le nombre de LabCom d’ici à 2027. Nous sommes actuellement en phase de développement pour atteindre cet objectif
RPP – Toutefois existe-t-il des réticences encore du côté des chercheurs à s’impliquer dans des partenariats publics/privés ?
Thierry Damerval – Honnêtement, très peu. Bien que certaines personnes puissent ne pas le souhaiter, ce qui est respectable, la très grande majorité s’engage activement dans ces actions. Comme mentionné précédemment à travers les différents dispositifs, il est clair que l’importance accordée à maintenir un niveau de recherche élevé, en particulier sur le plan fondamental, est évidente. De plus, il y a une volonté marquée d’assurer la valorisation et le transfert de ces avancées vers différents types d’entreprises, qu’elles soient technologiques, innovantes sur le plan social, ou économiques.
RPP – Selon vous, l’État investit-il suffisamment dans la recherche ?
Thierry Damerval – Notre financement provient entièrement du secteur public.
En ce qui concerne cette question, il est évident que la France n’a pas encore atteint l’objectif des 3% du PIB consacré à la recherche.
Cependant, il est important de noter que le déficit provient davantage de l’investissement industriel que de l’investissement public, notamment en comparaison avec d’autres pays de l’OCDE. Nos dispositifs, tant à travers notre plan d’action et notre budget annuel que via les initiatives de France 2030, soulignent la nécessité non seulement de soutenir la recherche fondamentale comme les partenariats avec l’industrie, mais également d’encourager l’augmentation de l’investissement en recherche de la part des industriels.
Thierry Damerval
Président-directeur général de l’Agence nationale de la recherche
Propos recueillis par Paul Lusseau