Les élections législatives anticipées avaient été décidées par le Premier ministre Pedro Sánchez Pérez-Castejón, un geste regardé à la fois comme courageux mais aussi comme très risqué. Les élections locales et régionales du mois de mai avaient en effet vu l’opposition composée du parti populaire et de l’extrême-droite Vox remporter neuf régions sur douze. Dans plusieurs d’entre elles, le parti de la droite modérée n’avait pas eu d’états d’âme pour s’allier avec ce parti néo-franquiste pour former des coalitions.
La remontada in extremis du parti socialiste
Pratiquement tous les sondages, jusqu’à la veille des élections, donnaient le Premier ministre sortant perdant. Au début même de la soirée électorale, la télévision espagnole montait les enchères jusqu’à donner 150 sièges pour le parti populaire. Il obtient au final 136 sièges seulement. De surcroît, le parti d’extrême droite Vox enregistrait une baisse considérable passant de 52 sièges aux élections législatives de 2019 à 33 dans la nouvelle législature.
Non seulement, le parti socialiste de Pedro Sánchez a largement résisté, mais il obtient deux sièges supplémentaires par rapport aux élection de 2019 soit 122 au lieu de 120.
Certes, la situation est aujourd’hui confuse et il sera très certainement difficile de constituer un gouvernement stable. On pourrait aussi s’orienter vers un gouvernement minoritaire, certains estimant que l’Espagne pourrait devenir « la Belgique du Sud » en référence à ce pays qui détient le record d’un pays sans gouvernement.
Aucun des deux partis n’obtient donc la majorité de 176 sièges nécessaires à la chambre des députés pour assoir une majorité gouvernementale même avec leur allié principal à savoir la coalition Sumar pour le parti socialiste emmenée par la vice-Première ministre et ministre du travail Yolanda Díaz Pérez, et Vox pour le parti populaire dirigé par Santiago Abascal Conde.
Une chute spectaculaire de l’extrême-droite
Mais les leçons de ce scrutin sont très intéressantes voire vitale non seulement pour la suite des évènements en Espagne, mais aussi et surtout pour les droites en Europe
Tout d’abord, l’extrême-droite Vox a enregistré une chute spectaculaire.
Ce parti qui compte de nombreux nostalgiques du dictateur Franco mort en 1975 a, lors de cette campagne, montré ce comme partout en Europe, son vrai visage : celui d’un parti intolérant, défendant une vision réactionnaire de la société et porteur de haine.
Son programme vise ainsi à revenir sur les droits qui protège la communauté LGBTQ+ comme le fait aujourd’hui la Première ministre italienne Giorgia Meloni, défend vison rétrograde de la femme, envisage même de sortir des accords de Paris sur l’environnement. Avec un regain de mobilisation en milieu de journée d’élections, malgré une chaleur étouffante et de nombreux électeurs en congés (bien que beaucoup ont choisi le vote par correspondance), les électeurs ont clairement voulu dire non à cette vision réactionnaire. Depuis le retour de la démocratie dans ce pays, l’Espagne est un des pays les plus tolérants sur les sujets de la société. Malgré la présence de nostalgiques du franquisme, les électeurs vont clairement vouloir stopper cette dérive autoritaire.
Les graves erreurs du parti populaire
Le chef du parti populaire, Feijo Alberto Núñez Feijóo, a quant à lui commis de graves erreurs bien qu’il soit aujourd’hui, avec 136 sièges, le premier parti de la chambre des députés. D’une part, il a laissé son parti s’imbiber des idées de l’extrême-droite. D’autre part, il a fait une très mauvaise campagne. Il n’a pas participé au dernier débat de la campagne électorale. Il a été montré en photo avec un trafiquant de drogues qui était l’un de ses amis lorsqu’il exerçait les fonctions de président de la junte de Galice, même s’il fait valoir qu’il ne soupçonnait pas les activités de ce dernier. Enfin, il a commis des fautes dont celle de critiquer la cheffe de la coalition Sumar (qui obtient 31 sièges, en baisse) non sur le fond de son programme politique mais sur son maquillage, faisant revivre un fond de machisme qui est encore vivace en Espagne.
Ces résultats sont aussi en phase avec les principales préoccupations qui étaient celles des électeurs lors de cette campagne.
L’économie arrivait largement en première place secondée par le chômage puis la santé en troisième position.
L’immigration ne venait en tête des préoccupations que pour 2% des électeurs. La « victoire » du parti populaire s’explique donc uniquement par ces considérations d’ordre économique et social, malgré une situation financière et économique globalement satisfaisante mais reflétant une peur de déclassement des classes moyennes.
Une droite modérée tentée par une alliance avec l’extrême-droite
Mais la principale leçon à tirer est celle qui concerne la droite. Depuis plusieurs années, la droite modérée et classique ne sait plus comment faire face à la montée du populisme et à la surenchère sur l’immigration. De plus en plus de dirigeants de ces partis modérés se sont laissés contaminer par le langage, la rhétorique et le programme de l’extrême-droite. Le journal espagnol El Pais estimait ainsi au lendemain de ces élections que le bleu foncé de partis modérés devenait de plus en plus noir, couleur des partis fascistes. C’est un fait incontestable.
Face à la montée de l’extrême-droite partout en Europe, la droite modérée est donc tentée de pactiser avec elle sur le plan national afin de parvenir au pouvoir et obtenir une majorité parlementaire, comme en Suède et en Finlande par exemple.
Avec de nouvelles élections législatives sans doute au mois de novembre prochain aux Pays-Bas, ce pays n’est pas non plus à l’abri d’une telle alliance.
En Allemagne, le chef du parti chrétien démocrate CDU Friedrich Merz, vient de provoquer une importante polémique en déclarant que son parti devrait accepter de collaborer avec l’extrême-droite AfD dans le cadre des scrutins locaux, ce parti ayant récemment remporté une élection locale dans un district à Schwerin, ville de Thuringe.
Les élections européennes de 2024 en ligne de mire
En opposant un désaveu cinglant à cette stratégie d’alliance, les électeurs espagnols ont montré le chemin.
La droite modérée doit rester elle-même et ne pas tenter de s’allier avec des partis dont l’idéologie est aux antipodes des valeurs qu’ils défendent et qui sont celles aussi de l’Union européenne.
Cette leçon est primordiale dans la perspective de l’élection européenne du mois de juin 2024.
Il en va de même pour la gauche social-démocrate. Pedro Sanchez est un vrai chef politique qui a du charisme et la droite a échoué à mettre un terme au « sanchisme ». Les gauches démocratiques en Europe ne doivent pas oublier pourquoi elles existent : développer une vision progressiste de la société, défendre les classes populaires et militer pour une Europe politique et sociale. Elle doit éviter de se laisser guider par une gauche radicale qui propage souvent des messages violents et radicaux, aux antipodes d’une société tolérante et démocratique.
Ces quinzièmes élections des Cortes Generales sont une vraie leçon de démocratie. Puisse les autres pays en Europe s’en inspirer.
Patrick Martin-Genier