Le macronisme montre combien l’aventure politique passe désormais par une personnalité, un leader, bien plus que par une inscription dans l’histoire politique longue du pays. On peut certes ranger le macronisme dans la catégorie d’une droite « orléaniste » qui gouverne par intermittence, de Louis-Philippe à Giscard d’Estaing ; on peut aussi aller chercher ses racines dans le saint simonisme, ce technocratisme préhistorique.
Mais l’histoire des idées politiques nous fait passer à coté de la singularité politique de notre époque dont le macronisme est un dérivé: il s’inscrit comme l’expression la plus parfaite, au point d’en signer la fin, de la Vème république bis, celle ouverte il y a 20 ans par l’instauration du quinquennat et du calendrier électoral qui l’a accompagné. Ve Rep bis qui aura fait converger gauche et droite, au point d’effacer leurs caractères propres aux yeux de beaucoup, dans la réforme permanente, à visée économique et financière, de la France au sein de l’Union européenne et de la zone euro.
Plus de corde de rappel électoral
La Vème république bis, qu’est-ce à dire ? Plus qu’un simple raccourcissement du mandat présidentiel, le quinquennat a surtout mis fin à ce que G. Carcassonne et O. Duhamel, leurs concepteurs, avaient appelé « l’arythmie électorale française » : du fait du décalage temporel entre mandats présidentiels et législatifs (5 et 7 ans), des périodes de deux à quatre ans seulement s’ouvraient entre deux scrutins décisifs. Inconvénient : ce rythme désynchronisé rendait difficile la gouvernance du pays, soumis à des élections à répétition, avec des risques de cohabitations devenus bien réels dans les années 90 .
Pour éviter cette « mal gouvernance » en accordéon, pourtant plus démocratique que notre « bonne » gouvernance actuelle, on a donc gravé le calendrier des législatives quelques semaines après le 2ème tour de la présidentielle, dans le marbre constitutionnel : les électeurs allaient sans barguigner (mais en s’abstenant de plus en plus) donner une majorité législative au président. Afin de ne pas se contredire à un mois d’écart par une cohabitation, et lui offrir ainsi 5 ans à l’abri de cette majorité – fut-elle relative, le parlementarisme rationalisé aidant, et le conseil constitutionnel restant gardien intransigeant des prérogatives du gouvernement, comme l’ont montré ses décisions sur la réforme des retraites et la loi immigration, voire lors de l’épidémie de la Covid.
Mais l’effet pervers de la réforme est qu’il n’y a plus de corde de rappel électoral entre deux scrutins présidentiels : pendant 5 ans, pas de retour prévu devant le peuple, pour redistribuer le pouvoir, seulement des élections locales et européennes, avec de moins en moins de participation, puisque sans grandes conséquences. Et ce mécanisme a été bien verrouillé par la tombée très volontaire en désuétude du référendum depuis 2005 (les Français sont des gaulois bien trop réfractaires…) et du droit de dissolution depuis 1997 (les Français adorent faire souffrir leurs chefs d’État). Deux initiatives perdantes de J. Chirac qui ont refroidi les ardeurs de ses successeurs. A l’abri de cette Vème bis, sans arbitrage populaire en cas de conflit, à l’inverse de la Ve République initiale, on en profita aussi pour ne plus jamais céder devant la rue, comme l’avaient fait la plupart des présidents du septennat, De Gaulle compris.
Fini donc les référendums et les cohabitations en cours de mandat : vous ne respirerez plus que tous les 5 ans, et encore, seulement pour faire barrage à Mme Le Pen ! Place à la réforme : on tient bon dans l’impopularité jusqu’à la prochaine présidentielle, qu’on perd évidemment avec fracas, ou qu’on gagne sans souffle ni mandat avec une guerre en Ukraine.
L’Europe comme salut, le lepénisme comme repoussoir
Or qu’est-ce que le macronisme ? Un produit dérivé de cette Vè rep bis ! Une alliance de hauts fonctionnaires de centre droit et de centre gauche, qui ont circulé au sein de la classe dirigeante, appuyé sur des échappées des grands partis en ruines, socialistes et gaullistes, accompagné d’ « amateurs fiers de l’être », et guidé par le « meilleur d’entre eux », un jeune et brillant inspecteur des Finances, pour adapter enfin et vraiment la France à la globalisation libérale et à l’Union européenne. Au fond, le macronisme, sous la façade d’un nouveau monde, s’est construit avec des héritiers des mandats de N Sarkozy et de celui de F. Hollande, ses prédécesseurs. Les premiers ont simplement pris le pas sur les seconds au fil du temps et de la droitisation de l’opinion, le centre gauche ne pesant plus que sur les réformes dites « sociétales » – de la PMA et l’IVG à la fin de vie.
Quelle était leur conviction commune, et leur ennemi commun, à cet aréopage moins nouveau qu’il n’y paraissait ? La nécessité absolue, l’ardente obligation, de l’Union européenne comme salut ultime, et l’efficacité du marché, en gardant une protection sociale, comme adaptation pragmatique, voilà pour la conviction ; le lepénisme, ce populisme identitaire et national comme repoussoir, voilà pour l’ennemi.
On se gausse souvent des changements de pieds ou des revirements opportunistes du macronisme sur nombre de sujets – l’école, l’islamisme, l’immigration, la sécurité, la souveraineté… – en oubliant le noyau invariable de son économisme européiste. En négligeant surtout que les mandats d’E. Macron ont rencontré les crises répétées de ce à quoi il voulait seulement s’adapter dans le bonheur de l’émancipation : la globalisation, avec ses accélérations foudroyantes de « serious break down », sanitaires, migratoires, climatiques, économiques avec l’inflation, et même guerrières, avec leur importation immédiate sur notre sol.
Un nouveau monde de l’identité et de la souveraineté
Le macronisme n’avait pas été programmé pour un monde où les questions de souveraineté et d’identité sont si décisives – son logiciel initial n’était pas configuré pour cela. Le manager de la globalisation a dû se muer plus d’une fois en urgentiste, avec de la dépense publique « quoi qu’il en coûte » et du régalien à la rescousse, voire même du culturel (la « fierté nationale » est redevenue à la mode). Ces temps derniers, on s’improvise même chef de guerre en Ukraine, au risque d’insécuriser plutôt que de rassurer. L’économisme européiste prépare mal à ces changements subis de costumes… Passer du manager à Clemenceau ou Churchill, cela sonne un peu faux et surtout, cela nuit à la cohérence des discours, au point de décrédibiliser. Pendant que la parole antisystème, celle qui est sécuritaire et identitaire en particulier, devient de plus en plus audible.
Les crises de la globalisation et les réponses erratiques du pouvoir, ne l’obligent même plus à beaucoup s’exprimer, encore moins à beaucoup proposer.
La fin du macronisme et celle du 2ème mandat du président éponyme coïncideront-ils ? E. Macron ne pouvant se représenter, le macronisme, s’il perdure, changera forcément de nature, plus encore que le gaullisme et le socialisme mitterrandien, qui avaient, eux, des partis structurés et enracinés pour persévérer. Et encore faut-il un successeur, quand De Gaulle avait Pompidou et Mitterrand Fabius et Jospin. D’ « En Marche » à « Renaissance », les mouvements macronistes ne sont plus des partis au sens classique : ils ont échoué dans l’ancrage local, ils n’existent que dans l’ombre du leader et dans son bureau.
Et les successeurs potentiels de Macron au sein de son propre camp, n’en sont même pas membres, à l’exception de B Le Maire.
Mais la question la plus profonde est de savoir si notre Ve Rep bis vielle de 20 ans, celle du verrouillage démocratique, conçu pour gouverner sans le peuple, et donc bientôt contre lui, peut survivre au macronisme, qui en a été son point d’aboutissement, sinon son point final. Gauche et droite déconsidérées ont accouché d’un produit dérivé pour temps calme et mondialisation heureuse, et pour quinquennat sans à coups. Las, le temps tourne à l’orage, et la mondialisation ressemble au choc des civilisations. Il va falloir qu’un nouveau leader invente autre chose, faute pour E. Macron de ne s’être jamais « réinventé ». Sans quoi notre trop bel équilibre institutionnel finira à la rue, sinon dans la rue.
Philippe Guibert