Si Joe Biden triomphait des accusations de fraude électorale, alors, l’avènement de ce flegmatique modifierait de façon substantielle l’alchimie des relations inter-personnelles entre chefs d’États. Nous verrions alors émerger une nouvelle géopolitique des caractères. Tour d’horizon.
A force d’examiner les manifestations de la puissance à travers l’espace, au seul prisme des échanges matériels et statistiquement quantifiés, nous avons fini par oublier que les acteurs principaux de la géopolitique étaient les hommes. N’en déplaise aux apôtres du technicisme, les caractères propres des chefs d’États et de gouvernements infléchissent de manière sensible les équilibres structurels. Des affinités caractérologiques peuvent rapprocher des chefs d’États géopolitiquement hostiles et ainsi creuser un fossé entre ces derniers et leur propre appareil d’État. Ces affinités sont à l’origine du bicéphalisme diplomatique, ce mouvement schizoïde fort utile à la négociation diplomatique. A l’inverse, les oppositions caractérologiques peuvent fractionner un ensemble régional intégré par des accords géoéconomiques, pour l’affaiblir de manière durable. Voici la raison pour laquelle une élection – surtout au sein de la puissance dominante de la planète – devrait donner lieu à une analyse approfondie sur la structure caractérologique du chef d’État à venir, plutôt que sur sa politique à venir, sujette aux innombrables aléas de l’ordre liquide du monde et surtout aux jeux influences multiples s’exerçant sur son propre appareil d’État. Depuis septembre 2020, Rennes School of Business a doté sa chaire de géopolitique d’un laboratoire de veille. Les recoupements opérés par ses analystes1 mettent en lumière un certain nombre d’inflexions générées par l’avènement de toute personnalité nouvelle.
Le caractère des chefs d’États peut être analysé au prisme de trois critères fondamentaux : l’émotivité, l’activité et le retentissement des émotions2.
L’émotivité est décrite comme la capacité de l’organisme à libérer une certaine quantité d’énergie au contact des événements. Facilement ébranlés par des évènements d’importance minimes, les émotifs pleurent ou souffrent pour une bagatelle, ils usent de mots forts pour un détail négligeable. Portés par leur énergie, ces émotifs sont enclins à l’exagération et même à l’intolérance. Le deuxième critère est celui de l’activité. Le véritable actif est celui qui agit à tout prix. Les événements extérieurs ne sont pour lui que des occasions ou des prétextes. S’il n’y en avait pas, il les chercherait car il vit pour agir. Le troisième critère est le retentissement des émotions. Sous ce rapport, l’on peut opposer le primaire pour lequel le présent l’emporte sur le passé ou le futur au secondaire qui amortit le présent par le passé et le futur. Aux primaires, jugés vifs, mobiles et instables s’opposent des secondaires jugés méthodiques, réfléchis et difficiles à mettre en mouvement. La combinaison de ces trois critères fait émerger huit types de personnalités : parmi les dominants, l’on trouve les passionnés3 guidés par l’œuvre à accomplir et les colériques4, mus par l’action. Dans les caractères de nature plus intellectuelle, l’on distingue les flegmatiques5 attachés à la loi et les sanguins6 aimantés par le succès social. Deux caractères poétiques se détachent : les sentimentaux7, maladivement attachés à l’intimité et les nerveux8 en quête de divertissement. L’on peut enfin identifier deux caractères dominés : les apathiques9, essentiellement soucieux de leur tranquillité et les amorphes10, attachés au plaisir. Si l’on considère les caractères des chefs d’États en 2020, l’on ne s’étonnera pas que la masse des actifs‑émotifs constitue la majorité d’entre eux. Au sein des différentes aires régionales, la puissance se structure autour de ces personnalités fortes. Un rapide tour d’horizon permettra d’en rendre compte.
En Amérique du Nord, la personnalité colérique du président Trump s’oppose au caractère flegmatique du mexicain Andrés Manuel Lopez. Si les juridictions américaines invalidaient les sérieuses accusations de fraude mises en avant par le camp républicain et que Joe Biden était véritablement élu, alors une conjonction caractérologique intéressante aurait lieu puisque Biden et Andrés Manuel Lopez sont tous deux des flegmatiques inflexibles. Il en résulterait plus de difficulté dans la mise en œuvre des accords économiques en vigueur et dans la prise de décision visant au règlement des différends existants. Entre les États-Unis et le Canada l’intégration économique n’est pas véritablement ébranlée par l’écart séparant le secondaire Trudeau – qui agit pour atteindre un objectif lointain – du primaire Trump, impulsif et imprévisible11. En Amérique Latine, le caractère « passionné » est dominant chez les dirigeants. C’est le cas de Mario Abdo Benitez qui est à la fois émotif, actif et secondaire. Au sein de cette zone, les affinités caractérologiques entre les dirigeants ne priment naturellement pas sur les grands rapports de forces géopolitiques : ainsi, Nicolas Maduro a été mis à l’écart par tous les pays appartenant au groupe LIMA alors même que son caractère passionné est partagé par ses opposants.
Au sein de la zone eurasiatique, l’Europe occidentale est d’autant plus facilement structurée par l’Allemagne qu’Angela Merkel s’appuie sur un caractère passionné. Son affinité caractérologique avec son homologue néerlandais Rutte lui a permis de construire une véritable entente : les deux personnalités sont calmes, concises et actives. Les relations sont plus houleuses avec Boris Johnson, imprévisible et emporté ou bien avec Donald Trump, qui partage un caractère similaire. Du côté de la Suisse, le flegmatique Alain Berset est connu pour ses affinités de caractère avec Borut Pahor, président de la Slovénie ou Hans Adam II de Liechtenstein. Sa faible émotivité l’engage à se mettre systématiquement en position de retrait face aux dominants Johnson et Trump. Il est à noter que l’Islande et la Norvège, États situés hors de l’Union Européenne, sont dominés par deux passionnés de nature indépendante : Guoni Johannesson et Erna Solberg. Plus à l’Est, le sanguin Vladimir Poutine s’oppose au colérique ukrainien Zelensky. C’est le degré d’émotivité qui sépare ces deux chefs d’États. Vladimir Poutine a l’esprit clair et réfléchi alors que Zelensky agit en fonction de ses intuitions. De ce point de vue, le président ukrainien partage le caractère de Loukachenko, dirigeant de la Biélorussie. Ceci explique peut-être une partie des tensions entre ces deux États dont les chefs se comprennent trop bien pour ne pas s’opposer.
Au Moyen-Orient, la similarité de caractère entre les colériques Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas ajoute une difficulté supplémentaire aux négociations de paix entre Israël et la Palestine. De même, entre le Qatar et les Émirats Arabe Unies, le fort taux de créativité des deux dirigeants est source de tensions. Parfois, ce sont les complémentarités caractérologiques qui permettent aux alliances de tenir dans la durée : c’est le cas de l’Iran et de la Syrie. Au sein de cette zone, la compétition régionale entre l’Arabie-Saoudite, la Turquie et l’Iran est attisée par le caractère dominant de leurs dirigeants. A l’inverse, des caractères plus faibles permettent d’introduire une certaine liquidité au sein des relations régionales : c’est le cas du Yémen, dirigé par un président de caractère apathique. Plus au sud, les pays d’Afrique orientale et australe sont majoritairement aux mains de passionnés : c’est le cas de l’Afrique du Sud, de la Nabibie, du Botswana, du Zimbabwe et du Mozambique. Ces chefs d’États actifs s’investissent, au moins sur le papier, dans des projets d’intégration régionale. A l’inverse, l’État failli somalien est aux mains de Mohamed Farmaajo, un apathique se caractérisant par son manque d’énergie.
En Asie, le colérique Trump rencontre l’incompréhension du japonais Yoshihide Suga, tacticien de l’ombre. Avec la Corée du Sud, la différence caractérologique entre le flamboyant Trump et le modeste Moon Jae-in joue beaucoup pour maintenir une relation cordiale entre les deux états. La Corée du Sud a pour partenaire privilégié le Kazakhstan. Les liens entretenus sont facilités par la conjonction caractérologique entre ces deux dirigeants passionnés. Kassym-Jomart Tokaïev et Moon Jae-in ont tous deux une image d’homme de l’ombre se projetant à long terme. La Chine du sanguin Xi Jinping entretient un lien étroit avec plusieurs de ses états limitrophes, anciennement tributaires. Le caractère imprévisible du dirigeant chinois génère une forme de méfiance auprès du Vietnam, du Pakistan, du Cambodge, du Myanmar, du Laos, du Népal et de la Mongolie. Les affinités caractérologiques modifient enfin considérablement les équilibres géopolitiques structurels en Océanie. L’Australien Scott Morrison est pris en tenaille entre son allié stratégique américain et son premier partenaire commercial, la Chine. Le sang chaud du dirigeant chinois ne semble pas être en adéquation avec le caractère clame et posé du dirigeant australien. Les deux dirigeants ne se sont pas adressé la parole depuis juin 2019.
Naturellement, l’alchimie des rapports humains entre chefs d’États sera modifiée en cas de validation de l’élection de Joe Biden.
Ce flegmatique est calme, aime le silence et semble indifférent aux événements extérieurs : autant de raisons pour que les autres le jugent souvent insensible, méprisant et lointain. Sa propriété maîtresse, l’axe structurant de son caractère est son sens de la loi. Joe Biden est persévérant jusqu’à l’obstination. Il résistera donc pied à pied aux assauts judiciaires du colérique Trump.
Laboratoire de veille géopolitique de Rennes School of Business
Sous la direction de Thomas Flichy de La Neuville
Photo : Pix_Arena/Shutterstock.com
- Les coordonnateurs de zones sont : Alexis Petitcuenot-Pradal (Afrique Australe), Emma Vacheron (Afrique centrale et Orientale), Elise Barbet (Amérique du Sud), Juliette Mirepoix (Amérique du Nord), Maella Cornic (Moyen-Orient), Pierre Rouet (Asie), Alice Christiaens (Europe orientale), Clémence Laroque (Europe occidentale). ↩
- Lire à ce sujet : René Le Senne, Traité de caractérologie, 1945 ↩
- Émotif, actif, secondaire : exemple Bonaparte ↩
- Émotif, actif, primaire : exemple Murat ↩
- Non-Émotif, actif, secondaire : exemple Condorcet. ↩
- Non-Émotif, actif, primaire : exemple Talleyrand ↩
- Émotif, non-actif, secondaire : exemple Vigny ↩
- Émotif, non-actif, primaire : exemple Châteaubriand ↩
- Non-émotif, non-actif, secondaire : exemple Louis XVI ↩
- Non-émotif, non-actif, primaire : exemple Louis XV ↩
- En juin 2018 lors du sommet du G7 à La Malbaie, Trump était tellement en colère contre Trudeau qu’il avait demandé directement à la Maison Blanche que Trudeau soit attaqué verbalement lors de ses prochaines entrevues à la télévision. ↩