Depuis près de 15 ans, Eurogroup Consulting[1] évalue les perspectives et le moral des chefs d’entreprise à travers son Baromètre des Dirigeants français. Pour La Revue Politique et Parlementaire, son président, Gilles Bonnenfant, revient sur les principaux enseignements du dernier Baromètre.
Revue Politique et Parlementaire – Pourquoi ce baromètre de la confiance des dirigeants ? Et comment est-il constitué ?
Gilles Bonnenfant – Depuis près de 15 ans, Eurogroup Consulting évalue les perspectives et le moral des chefs d’entreprise à travers son Baromètre des Dirigeants français. Cette étude permet d’analyser les dynamiques à l’œuvre dans les entreprises et les priorités opérationnelles de leurs dirigeants. Elle fournit des prévisions concrètes en matière d’activité, de rentabilité, d’investissements et d’évolution des effectifs et met ainsi en perspective leur état d’esprit avec leurs projections pour l’année à venir.
Pour la première année, le baromètre Eurogroup Consulting a été réalisé en partenariat avec le réseau des Conseillers du Commerce extérieur de la France, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI France et CCI France International) et BFM Business, auprès de plus de 1000 chefs d’entreprises français interrogés sur leurs perspectives en France et à l’étranger.
Pour la première fois, ce baromètre interroge également des dirigeants français basés à l’étranger, en complément du panel historique de dirigeants basés en France.
RPP – Quels sont les grands enseignements que vous en tirez avec la dernière livraison ?
Gilles Bonnenfant – Après une année marquée par l’ampleur des crises géopolitiques et économiques et une forte instabilité institutionnelle, la majorité des dirigeants français affichent leur volontarisme, signe d’une énergie et d’une résilience qui ne tarissent pas. Et ce, malgré les défis qui se présentent à eux.
Quels principaux enseignements en tirer ?
- Incertitude et volontarisme : malgré l’instabilité croissante, plus de la moitié des dirigeants se déclarent neutres, confiants ou optimistes pour 2025. Seulement 8% se montrent pessimistes. En revanche, ils sont désormais 41% à se déclarer incertains, soit une hausse de 6 points par rapport à l’an dernier.
- Des prévisions meilleures à l’étranger : que ce soit en termes d’activité, de rentabilité, d’investissement ou d’évolution des effectifs, les prévisions marquent une amélioration significative à l’international.
- Les défis et les risques : la préservation des marges (73%) et l’adaptation à l’évolution du marché (51%) sont les priorités des dirigeants cette année, loin devant le numérique et l’IA. En parallèle, le risque géopolitique (74%) est désormais le premier risque perçu, suivi de l’aspect économique (68%).
- Des ambitions à l’international : plus d’un dirigeant sur trois (34%) prévoit de se développer dans un nouveau pays en 2025, avec un intérêt marqué pour les ETI (47%).
- Les leviers de compétitivité : Si 61% des dirigeants jugent la souveraineté économique essentielle pour leur compétitivité, 82% estiment que les mesures actuelles en France et en Europe sont insuffisantes.
RPP – Quelles sont les points de différenciation que vous en retenez au regard par exemple des grandes vagues de mesure de l’opinion ? En quoi le regard et les perceptions des dirigeants se distinguent de la moyenne générale de l’opinion ?
Gilles Bonnenfant –
Les mesures d’opinion s’adressent généralement au grand public.
Notre Baromètre sonde l’état d’esprit des dirigeants français et cible ainsi des chefs d’entreprise exclusivement. Il permet de mesurer les perspectives des décideurs pour l’année à venir.
De plus, cette édition 2025 recèle une dimension internationale, complémentaire de celle des dirigeants français basés en France.
La perception des dirigeants et leur état d’esprit pour l’année à venir fait écho à un adage bien connu (recontextualisé ici) : « Quand je regarde la situation globale, je me désole. Quand je regarde mon entreprise, je me console. » Une maxime qui illustre l’écart entre une vision macroéconomique préoccupante et la réalité, souvent plus dynamique, des entreprises au quotidien. Si les préoccupations ressenties à l’échelle globale sont compréhensibles, nombreux sont les dirigeants qui maintiennent leur confiance et sont résolus à faire face à l’incertitude en se recentrant sur ce qu’ils maîtrisent : leur entreprise.
RPP – Comment plus généralement se construit la confiance d’un dirigeant ?
Gilles Bonnenfant – La confiance des dirigeants repose avant tout sur des réformes, des mesures concrètes favorables à leur activité, à leur développement et à leur croissance. Les dirigeants attendent des mesures concrètes, notamment en matière de simplification administrative et de sécurité juridique. Ils sont par ailleurs sensibles à la non-rétroactivité des réformes (notamment fiscales).
La confiance des dirigeants se mesure aussi à travers leur perception de l’attractivité d’un pays.
34% des dirigeants envisagent de se développer dans un nouveau pays en 2025 (cette proportion atteint même 47% pour les dirigeants d’ETI). Les facteurs déterminant le choix d’un pays pour se développer reposent sur les parts de marché potentielles d’une part (les dirigeants sont sensibles aux mesures de soutien à leur compétitivité dans un nouveau pays) et la sécurité d’autre part. Le contexte géopolitique et les risques associés sont en effet en tête des préoccupations des dirigeants pour l’année à venir.
On notera néanmoins le volontarisme pragmatique des dirigeants français : Ils savent que, même si les crises sont profondes, leur entreprise est un espace où ils peuvent encore décider et construire. Si regarder la situation globale peut être source d’inquiétude, se concentrer sur ce qui est tangible et local – l’entreprise, ses équipes, ses projets – permet de renouer avec une forme de neutralité voire de confiance nécessaire pour se projeter. Ce pragmatisme est sans doute l’une des grandes forces des dirigeants français. Il leur permet non seulement de surmonter les crises, mais aussi de construire les fondations de l’économie de demain.
Regarder l’entreprise plutôt que le monde, c’est aussi une manière de retrouver une perspective constructive et traduit la confiance des dirigeants français.
RPP – En fonction de l’activité du dirigeant et de la taille de la structure qu’il dirige pouvons-nous observer des éléments de différenciation ?
Gilles Bonnenfant – Le panel interrogé est représentatif des entreprises françaises, en taille, secteurs d’activité ou implantations géographiques. Les résultats ont démontré peu d’éléments différenciant les dirigeants entre eux.
On notera néanmoins une dynamique plus importante des dirigeants d’ETI dont les prévisions d’activité sont les plus élevées et résistent le mieux en 2025.
Les prévisions de rentabilité et d’investissement sont plus importantes pour les grandes entreprises (4,7 en France et 5,9 à l’étranger) contre 3,6 pour les TPE en France (et 5 à l’étranger). Les petites entreprises sont par ailleurs plus nombreuses à prévoir une baisse de leurs effectifs en France (21% des dirigeants de PME et TPE contre 18% pour les grandes entreprises et ETI).
En termes de développement à l’international, les grandes entreprises ont déjà réalisé leur expansion et les ETI suivent désormais : 47% des ETI interrogées (contre 34% en moyenne pour l’ensemble des dirigeants) souhaitent se développer dans un nouveau pays en 2025.
Enfin, les priorités économiques immédiates prennent le dessus sur les défis des transitions et transformations de moyen-long terme, et ce particulièrement pour les dirigeants de PME et TPE. Le défi de la transition écologique et énergétique est passé du podium en 2024, à la dernière place en 2025 et celui-ci préoccupe davantage les grandes entreprises (29% contre seulement 8% pour les TPE). Le défi du numérique et de l’IA ne préoccupe que 29% des dirigeants en moyenne mais davantage les PME et TPE (respectivement 29% et 33%) que les dirigeants d’ETI (24%) et de grandes entreprises (28%), ces derniers ayant déjà amorcé leur transformation numérique. Cette approche témoigne d’un pragmatisme qui privilégie la résistance à court terme tout en gardant en ligne de mire les enjeux structurels à plus long terme.
Gilles Bonnenfant
Président d’Eurogroup Company
Propos recueillis par Arnaud Benedetti.
[1] Eurogroup Consulting est le 1er cabinet de conseil en stratégie et transformation français et 100% indépendant. Créé en 1982, il compte 400 collaborateurs en France et développe son rayonnement à l’international depuis plusieurs années. Eurogroup Consulting est fondateur du réseau international Nextcontinent. Présent dans 30 pays, avec plus de 3000 consultants, il est reconnu auprès des dirigeants des entreprises de tous les secteurs d’activités privés et publics. Dans un contexte d’accélération des grandes transitions, les équipes d’Eurogroup Consulting s’engagent aux a côtés des femmes et des hommes qui font les organisations, pour générer des transformations positives et durables. Eurogroup Consulting est la filiale principale d’Eurogroup Company, qui regroupe les entités spécialisées de conseil du groupe, en France et à l’international.