Pendant près de quarante ans, les occidentaux se sont habitués à une croissance économique soutenue en Chine. Mais, depuis la crise sanitaire, ils perçoivent soudainement que ce pays se trouve face à de nombreuses difficultés, dont certaines, couvant depuis des années, étaient pourtant restées inaperçues. Ainsi, après plusieurs décennies de développement ininterrompu, qui avait amené la Chine à devenir à la fois « l’atelier du monde » et la première économie mondiale, le pays inquiète aujourd’hui les investisseurs internationaux.
Comment expliquer ce retournement de conjoncture, en apparence si brutal ?
Sur le plan économique, de nombreux indicateurs sont passés au rouge. D’abord, la crise immobilière est de très grande ampleur, le marché ayant chuté d’environ 30% en moyenne. La faillite retentissante de grands groupes du secteur (Evergrande, Country Garden et consorts), dont le service de la dette cumulé, atteint 290 milliards de dollars, rien que pour l’année 2023, et représentent à eux seuls près de 30 % du PIB chinois, a un impact négatif évident sur l’activité. Ensuite, la hausse du chômage des jeunes est inquiétante, au point que les autorités ont décidé de ne plus publier les statistiques… Certains économistes estiment que le chômage des 16 à 24 ans atteint actuellement 30%, un niveau évidemment trop élevé pour garantir la confiance des jeunes dans l’avenir. Enfin, on assiste, dans ce contexte d’incertitude, à une contraction de la consommation des ménages. Autant de facteurs pour expliquer la baisse significative de la croissance du PIB qui devrait avoisiner 5% en 2023, le plus bas niveau depuis 1990, si l’on exclut la période du confinement.
Aux problèmes économiques, s’ajoute l’effondrement démographique, qui va impacter la Chine sur une période longue.
Si l’on en croit les Nations-Unies, la population chinoise devrait régresser de manière spectaculaire à moins de 800 millions d’individus d’ici la fin du siècle, par rapport à 1.5 milliard aujourd’hui. Le phénomène est tel, qu’il faut remonter aux époques médiévales des grandes famines et épidémies pour y constater des pertes de population de cette ampleur.
Au niveau géopolitique, les tensions sino-américaines croissantes sur les questions commerciales pèsent sur le niveau des investissements directs étrangers (« IDE »). Ils se détournent de la Chine pour se rediriger vers d’autres nations émergentes, au premier chef l’Inde ou d’autres voisins, comme le Vietnam.
Ainsi, les prévisions des entreprises américaines en Chine quant aux perspectives économiques du pays pour les années à venir sont tombées à leur plus bas niveau historique. De plus, au premier semestre 2023, le Mexique a dépassé la Chine en tant que principal partenaire commercial des États-Unis. Et, c’est la première fois depuis 2005, que Pékin n’occupe pas la première place de ce classement.
Politiquement, enfin, le gouvernement chinois actuel, plus arbitraire et oppressif que ses récents prédécesseurs, affiche une certaine passivité, face à des risques qu’il avait pourtant lui-même anticipé, comme la crise de la dette du secteur immobilier.
Le pouvoir en place n’a néanmoins pas réussi à empêcher leur avènement, soit par incompétence, soit par aveuglement idéologique.
La Chine était le moteur économique du monde, mais serait-elle arrivée au bout du chemin dans son rattrapage incroyablement rapide des économies développées, notamment depuis son entrée dans l’OMC à la fin de 2001 ?
La question fait l’objet d’analyses contradictoires et il convient d’éviter les conclusions hâtives.
Il faut commencer par rappeler que les chaînes d’approvisionnement mondiales sont étroitement liées à la Chine depuis plusieurs décennies. En conséquence, les récentes politiques occidentales de « réduction des risques », impulsées par les Etats-Unis, n’entraîneront pas, même à moyen terme, une réduction sensible de la dépendance à l’égard des intrants et des fournisseurs chinois. Surtout que dans le même temps, les usines chinoises poursuivent leur montée en gamme : elles ne veulent plus être de simples maillons asiatiques de la chaîne d’assemblage globale et cherchent à devenir des producteurs à part entière. Ainsi, les excédents commerciaux chinois restent colossaux : près de 900 milliards de dollars en 2022, dont 84 milliards avec l’Allemagne et 50 milliards avec la France.
Trois filières apparaissent aujourd’hui comme de nouveaux moteurs pour les exportations chinoises : les panneaux solaires, les batteries au lithium, et, bien sûr, les véhicules électriques.
En outre, la Chine possède toujours tous les atouts liés à sa taille : par exemple, le pays forme 1,4 million d’ingénieurs par an, ce qui stimule naturellement l’innovation. D’ailleurs, le pays est également le leader mondial du dépôt de brevets et représente près de 46% du volume mondial.
La Chine a aussi fortement investi hors de ses frontières, avec une vraie vision stratégique à long-terme, pour sécuriser ses approvisionnements en matières premières.
Ensuite, la Chine est le membre dominant des BRICS, un regroupement économique qui compte aussi le Brésil, la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud. L’élément central de leur stratégie est de contrebalancer la domination occidentale du monde sur les échanges internationaux et de s’assurer des débouchés à l’export. Il s’agit notamment pour les BRICS d’utiliser davantage leurs monnaies nationales, plutôt que le dollar pour régler leurs échanges commerciaux, afin de réduire leur vulnérabilité aux fluctuations du taux de change et d’augmenter le volume d’échange entre membres.
Enfin, sur le plan financier, la Chine se porte bien : le ratio de la dette souveraine chinoise ramenée au PIB n’est que de 77%, les réserves de change du pays s’élèvent encore à plus de 3.000 milliards de dollars, tandis que la valeur de ses réserves d’or atteint 135 milliards de dollars.
La Chine, qui diminue ses encours, reste encore le deuxième détenteur de bons du Trésor américain, après le Japon, avec un montant supérieur à 800 milliards de dollars.
Alors, de quelles marges de manœuvre la Chine dispose-t-elle pour contrer les urgences macroéconomiques actuelles ?
Comme ses homologues à l’Ouest, face à une conjoncture économique défavorable, la banque centrale chinoise, a choisi de baisser ses taux directeurs et d’injecter des liquidités, via des mesures fortes de stimulation du crédit, notamment pour le secteur des PME.
L’objectif est, bien sûr, de relancer la demande générale de crédit et d’essayer de sauver ce qui peut encore l’être du secteur immobilier en plein naufrage. Cette politique n’est pas sans effets, et les données récentes ont montré les premiers signes de stabilisation.
Par exemple, les nouveaux prêts bancaires ont dépassé les attentes en quadruplant au mois d’août par rapport au niveau de juillet. La décision de la Banque populaire de Chine de réduire ses taux directeurs, alors même que le renminbi s’approchait d’un plus bas de plusieurs années par rapport au dollar américain, a laissé entrevoir une inflexion idéologique et une tolérance plus grande du gouvernement à l’égard de la faiblesse de sa monnaie, pour soutenir la croissance dans un contexte de faible demande, à la fois intérieure et étrangère.
Au total, le scénario le plus probable est qu’il faudra des années aux économies avancées pour atteindre les objectifs de leurs politiques de « réduction des risques ». La diversification se produira sans doute plus rapidement dans les secteurs jugés sensibles compte tenu des enjeux de souveraineté (semi-conducteurs, santé, nouvelles technologies). En revanche, dans les secteurs moins stratégiques et qui nécessitent néanmoins des compétences et des équipements de pointe, l’attractivité persistante de la Chine en tant que pôle manufacturier continuera de freiner les efforts de diversification. Après un véritable tsunami de mauvaises nouvelles économiques, plusieurs indicateurs (consommation privée, production industrielle) devraient se redresser en fin d’année 2023. Cela suggère que les récentes mesures de soutien à l’économie commencent à porter leurs fruits, même si la crise économique actuelle n’est pas encore terminée, car la forte détérioration de l’investissement immobilier continuera de peser sur la croissance des prochains mois. Donc, au-delà des difficultés actuelles, dont certaines sont majeures, la Chine reste structurellement forte, mais devra s’adapter, dans les années à venir, face à la baisse inexorable de sa population.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance
Senior Advisor chez Kingsrock