La croissance est un paramètre central de notre vie en société. La récession de 2020 a bien montré ce qu’était un univers sans croissance avec, pour ne citer qu’un exemple, plus d’un million de nos concitoyens qui ont sombré en-deçà du seuil de pauvreté. Un million d’êtres additionnels privés d’avoirs et des fruits du développement sociétal. Autant dire que la question de la croissance pour 2021 est une question-clef car elle est un pilier du pacte républicain.
Le chiffre du deuxième trimestre vient de paraître (+0,9 %) et a rendu euphorique l’Exécutif là où il convient de constater posément que l’Allemagne (1,5 %), l’Italie (2,8 % ) et l’Espagne ( 2,7 % ) présentent des taux plus flatteurs et probablement plus pérennes que le chiffre hexagonal.
La France souffre de voir la crise affecter ses secteurs de prédilection tels que l’automobile et l’aéronautique et présente plusieurs paradoxes.
Tout d’abord, elle compte encore 1,3 million de personnes en chômage partiel ce qui est d’autant plus préjudiciable que les différentes fédérations d’employeurs évaluent, au total, à plus d’un million les pénuries de main d’œuvre. Pour celles et ceux qui estiment que le chiffre prévisionnel de 5,7 % de croissance 2021 (sources : Gouvernement et Banque de France ) est totalement réaliste, il est fondé de souligner que le chômage de longue durée ne cesse de s’amplifier : 2,5 % de la population active au premier trimestre 2021 en hausse de 0,4 point par rapport au trimestre précédent (+126.000 personnes).
Puis, la croissance 2021 cumule deux risques de chocs : le choc exogène du retour de l’épidémie de Covid-19 et le choc intrinsèque des pénuries en tous genres qui affectent l’appareil de production.
Ici, on parlera des ruptures d’approvisionnement en semi-conducteurs qui a déjà fait perdre des centaines de millions d’euros à l’industrie automobile. Là, on évoquera les manques de bois, d’acier et autres matériaux requis au secteur de la construction.
Sur ce sujet précis, il est à noter l’analyse de Thomas Courbe qui s’est exprimé via une tribune dans Les Échos (30 juillet 2021) en sa qualité de Directeur général des Entreprises au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance.
“L’objectif de résilience s’impose désormais à nous. Résilience ne veut pas dire autosuffisance. Nous abordons de manière ciblée, avec les filières industrielles, les approvisionnements critiques et les risques de rupture. …/… Nous avons ainsi identifié le titane et les superalliages comme critiques pour l’aéronautique”.
Évoquant fort opportunément une future régulation des plateformes numériques, Thomas Courbe stigmatise à raison “la dépendance des partenaires, l’inefficience des marchés et la capture de l’innovation”.
Comment voulez-vous obtenir une croissance forte dans un pays sino-dépendant et logé péniblement sous le joug numérique de “l’américanosphère” pour reprendre le terme de l’historien Gérard Vincent dans les années 1980 voire l’analyse décapante de Jean-Jacques Servan-Schreiber quinze ans plus tôt.
La France assemble plus qu’elle ne fabrique et ainsi elle se trouve dans l’obligation de céder une large part des marges d’exploitation à ses fournisseurs amont et à ses distributeurs, ce que reflète la dégradation de plus en plus préoccupante de nos comptes extérieurs.
Pour l’heure, une large part de la croissance vient du parapluie, de “la mise sous cloche” (sic Bruno Le Maire) de secteurs protégés par la manne publique. Manne qui se poursuit désormais sous les voies et moyens qu’offre à un pouvoir en campagne pré-électorale le dispositif France Relance.
En patois du Morvan, traiter quelqu’un de “beurdin” revient à le taxer de niais, pour rester correct. Bruno Le Maire a une capacité d’embellir la vie économique en nous prenant pour un collectif de beurdins. Cela devient risible ou inconvenant selon les cas et les lieux d’expression.
Dans une contribution RPP du 21 avril 2021 intitulée “La croissance hélas évanescente” (https://www.revuepolitique.fr/la-croissance-helas-evanescente/), il était indiqué que la configuration de la reprise en K ( donc avec des secteurs gagnants et d’autres à la peine ) résultait de notre analyse.
J’observe bien des ralliements, certes récents, à cette déduction de l’évolution en K tranchant avec l’optimisme de la reprise brutale en V.
Je ne crois plus à la prévision de 5 à 6 % et relève que l’OFCE-Sciences Po table sur un chiffre proche de 4 % du fait du tassement relatif de la consommation escompté au deuxième semestre.
La rentrée financière et sociale sera tonique pour un Gouvernement qui verra les citoyens demander des comptes en matière de pouvoir d’achat (résurgences sporadiques mais significatives de l’inflation, prix des carburants) et chacun n’écarte pas la possibilité d’une convergence des luttes qui entourent le désormais trop fameux pass sanitaire et les craintes fondées face aux tensions sur l’emploi.
Une rentrée sociale qui s’inscrira au moment du déploiement de la quatrième vague sanitaire dont des professeurs de médecine pondérés tels que Patrick Berche ou Bruno Megarbane considèrent qu’elle sera une épreuve significative.
L’éminent éditorialiste du Monde Pierre Viansson-Ponté avait écrit, quelques semaines avant mai 68, “La France s’ennuie”.
A l’automne 2021, pas de risque d’ennui au sens de lassitude mais une flopée d’ennuis au sens de ceux que Jacques Chirac voyait “voler en escadrilles”.
Non, un tel climat sanitaire et social ne saurait être propice à une croissance consistante et la moins inégalitaire possible.
Que nul n’oublie que l’essence des ambulances de réanimation ou la vie survoltée des hôpitaux et cliniques s’inscrivent, en comptabilité nationale, parmi le PIB.
Il y a donc un tri – impossible – entre la bonne croissance et celle qui retrace des productions qualifiables de néfastes voire de toxiques. C’est l’éternel défi consubstantiel à cet agrégat par ailleurs objet de tous les désirs ministériels.
Jean-Yves Archer
Economiste, membre de la Société d’Economie Politique