La croissance est-elle en danger ? C’est à cette question que tente de répondre cette semaine Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie Politique.
La croissance économique est une variable de premier rang. Ainsi, elle facilite la lutte contre le chômage de masse et parallèlement elle permet d’engranger des recettes fiscales additionnelles, donc de juguler partiellement le niveau des déficits publics.
Autant dire que le très bon millésime de 2017 (+ 2,2 %) reste dans notre mémoire collective à l’heure où des nuages sombres s’accumulent quant à la croissance du PIB en 2020.
Premier élément, la question du coronavirus ne peut être traitée sur un mode mineur par les conjoncturistes. Cet aléa, à valeur de cygne noir pour reprendre la théorie argumentée de Nassim Nicholas Taleb, s’insinue dans plusieurs compartiments de l’activité économique. Ainsi, il vient considérablement perturber les filières de la production mondialisée tout autant qu’il contrarie les transports et la logistique. Femmes, hommes et biens sont concernés par les restrictions de circulation et par l’indétermination de la durée des cantonnements.
De cette incertitude temporelle nait une politique d’attentisme chez de nombreux agents économiques et il est alors aisé d’en déduire qu’un phénomène de frein significatif à la croissance s’autoalimente. La peur est mauvaise conseillère mais il n’en demeure pas moins qu’elle existe bel et bien à travers la planète entière.
Pour la Commission européenne, ce virus devrait générer un repli de – 0,3 % de croissance pour l’année 2020 ce qui me parait en retrait de l’effet domino négatif qu’enregistre la Chine, ce grand mondial. Le tassement des prix du pétrole (autour de 60 $ le baril) par anticipation du recul de la croissance de la demande chinoise est révélatrice du climat général et des chiffres qui en découleront, » à la fin de la foire » pour reprendre un terme cher à l’ancien ministre Montebourg.
Donc, pour l’heure, il est réaliste de considérer que le pic de la pandémie n’a pas été atteint et qu’en conséquence son impact négatif sur la croissance française est probablement sous-estimé.
Pour la Banque de France, dont la rigueur en matière de quantification est connue, le premier trimestre de 2020 devrait voir un essor de notre PIB à hauteur de + 0,3 %. Or celui-ci a baissé, à la surprise générale, de 0,1 % au dernier trimestre de 2019 ce qui n’augure rien de bon.
En effet, deuxième point d’analyse, notre principal partenaire économique, à savoir l’Allemagne, continue de traverser un trou d’air et un besoin de profondes mutations industrielles. Quand tout le modèle de votre grand voisin est dans une sorte de révision de grand carénage, il est illusoire de penser pouvoir atteindre des scores en matière de croissance.
Troisième point, le tassement de la progression du commerce mondial issu de l’unilatéralisme revendiqué des États-Unis a un impact sur notre continent.
Les Américains achètent français (Technip, Latécoère, etc.) plus qu’ils ne consomment. Ils s’intéressent par conséquent bien davantage à nos entreprises vues comme des marchandises qu’à nos biens et services.
Quatrième point, la désorganisation d’une partie de l’appareil de production a été réelle en décembre mais aussi en janvier. Nul ne peut nier que le mouvement social lié à la désormais trop fameuse réforme des retraites a eu une sérieuse incidence sur des secteurs qui vont au-delà du commerce et de l’hôtellerie en région francilienne.
Il est très difficile pour un appareil statistique national de mesurer les annulations de commandes. Or, celles-ci ont foisonné depuis un trimestre ce qui impose d’être prudent quant au chiffre prévisionnel de la croissance en T1 2020.
Quand on examine la situation et le taux d’activité des ports commerciaux français, il apparaît clairement que des embûches trainent face au chiffre de croissance annoncé par la Banque de France.
La notion de croissance potentielle de notre économie est désormais évaluée autour de 0,8 % ce qui nous éloigne de l’objectif de croissance annuelle de 1,1 % pour 2020.
Pour ma part, sauf rebond au deuxième semestre en vertu de l’hypothèse de » différé de croissance » formulée par le Gouverneur François Villeroy de Galhau, je considère que notre situation est plus préoccupante qu’un apparent consensus veut bien le montrer ici et maintenant.
En réalité, le mouvement social a véritablement incisé la dynamique de la production et cela devrait se traduire dans les chiffres. Sauf à imaginer un État fébrile accentuant l’inscription comptable des ventes d’Airbus et sauf à devoir constater que l’agrégat du PIB est imparfait au point d’inclure en croissance les millions de litres d’essence consommés par les automobilistes franciliens lors des journées de grèves ferroviaires.
On serait tenté de chercher à distinguer la bonne croissance de la croissance peuplée d’externalités négatives à l’instar du mauvais cholestérol.
Pour mémoire, si le PIB devait être en recul au T1 de cette année, alors la France serait techniquement en récession (deux trimestres négatifs consécutifs). Autant dire, que dans la sphère publique, on doit avoir plein d’idées pour contrecarrer cette éventualité qui aurait un goût amer et un coût politique dense pour l’Exécutif.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique