La publicité n’a jamais rencontré d’aussi fortes turbulences. La crise de la Covid-19 aura lourdement fait chuter les investissements publicitaires estimés, dans le scénario le plus optimiste, à -13 % pour 2020. Cette baisse globale dissimule d’importantes disparités car si les médias numériques ont réussi à tirer leur épingle du jeu, les recettes des médias classiques (télé, presse écrite, radio, affichage et bien sûr cinéma) connaitront un effondrement de l’ordre de -22 %, du jamais vu, souligne Thierry Libaert.
Cette crise ponctuelle cache toutefois un phénomène plus profond et vraisemblablement plus durable, celui d’une remise en cause de la fonction publicitaire elle-même. Certes, la critique publicitaire est presque aussi ancienne que la naissance de la publicité, datée le plus souvent de la création du journal La Presse par Emile de Girardin en 1836. Celui-ci ayant eu l’idée d’y introduire une pleine page d’annonces, ce qui eut pour effet de pouvoir diviser par deux le prix de vente du journal.
René Etiemble stigmatisait les publicitaires comme des « décerveleurs professionnels », Georges Duhamel décrivait la publicité comme « une formidable entreprise de contrainte et d’abêtissement ». Paul Valéry affirmait que « la publicité, un des plus grands maux de notre temps, insulte nos regards, falsifie les épithètes, gâte les paysages ». Au début des années 2000, la critique a évolué avec la généralisation du numérique et l’explosion des contacts non sollicités. La publicité fut d’abord ressentie comme intrusive, voire omniprésente, et l’on occulta le fait qu’elle était précisément une des conditions de la gratuité d’accès à Internet.
La critique actuelle prend un angle différent.
Elle s’attaque aux fondements mêmes de l’activité publicitaire, l’incitation à la vente.
Le mouvement a vraiment émergé en 2018 après que l’ADEME porta plainte contre une publicité C-Discount parue au moment des soldes et incitant au renouvellement d’appareils électriques ou électroniques, même en parfait état de marche. L’ADEME, bras armé du ministère de la Transition écologique et solidaire, reçut une fin de non-recevoir de la part du Jury de Déontologie de la Publicité et les controverses s’enchaînèrent. En ce mois de juin 2020, un collectif de 25 associations publièrent un rapport « Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique », un rapport rédigé par l’auteur de ces lignes et par Géraud Guibert, conseiller maître à la Cour des comptes, fut remis à Brune Poirson, Secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire. La Convention Citoyenne sur le Climat termine ses travaux le week-end du 19 au 21 juin et l’on sait déjà qu’elle proposera des mesures très radicales, notamment en matière d’interdiction ou d’alourdissement des mentions. Enfin, début juillet, plusieurs parlementaires conduits par Matthieu Orphelin déposeront une proposition de loi à l’Assemblée nationale « pour faire de la publicité un levier au service de la transition et de la sobriété heureuse ».
D’importants débats devraient suivre. Pour avoir rencontré dans le cadre de mon rapport plus d’une centaine d’interlocuteurs de toutes origines, mon sentiment est que la publicité doit accomplir sa mutation.
Elle ne peut rester à l’écart de cette dynamique générale de transformation de notre modèle économique.
Par ses stimulations constantes, mais surtout par l’idéal d’un bonheur exclusif par la consommation, elle réduit les efforts de sensibilisation à un comportement plus responsable.
La publicité ne doit pas pour autant devenir le bouc émissaire idéal, son rôle est de vendre et donc de permettre la croissance et l’emploi. La mobilisation pour la planète peut venir de l’Etat, de l’éducation, des ONG, de la famille, mais évitons de faire reposer cette responsabilité exclusivement sur la publicité. La marge est étroite, mais les publicitaires se sont pour la plupart rendus compte, par prise de conscience ou intérêt bien compris, que la publicité ne pouvait être la seule activité à ne pas s’engager plus fortement face aux nouveaux enjeux sociétaux.
Professeur des universités
Président de l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible
Membre du Comité Économique et Social Européen