Lorsqu’elles retiennent son attention, les institutions chypriotes font principalement l’objet, de la part de la doctrine, d’analyses relatives au système communautaire qu’elles ont prévu, ainsi que, bien entendu, de commentaires relatifs à la situation internationale née de l’invasion turque de l’île en 1974 et conséquemment, de la création de la « République turque de Chypre du Nord », reconnue de la seule Turquie parmi les Etats.
Non que ces deux questions, au demeurant intimement liées -celle du partage communautaire des pouvoirs au sein des institutions chypriotes et de la partition de l’île- ne soient importantes, tant il est vrai que la structure communautaire de la République soit fondamentale et l’est depuis l’indépendance. De surcroît, les circonstances dans lesquelles la Constitution chypriote actuelle fut adoptée portent l’empreinte, faut-il le souligner, de l’intervention de la communauté internationale, à telle enseigne que l’on peut, à son sujet, parler de « Constitution internationalisée1 ». Le fait tenant à ce que ce fût un traité international qui fut à l’origine du régime de la République indépendante de Chypre2 et que la Constitution de cette dernière, elle-même3, posât en principe que certaines de ses dispositions, reprises des stipulations de l’accord international qui lui avait permis de voir le jour, n’est pas étranger à cette spécificité et à l’intérêt que le droit international public a pu lui porter. Et il est certain que depuis l’indépendance du pays, les études de droit international public ont été plus nombreuses que celles relevant du droit constitutionnel4.
Et si l’on se doit de mentionner également des travaux portant sur le système juridique en vigueur à Chypre, pays de common law5, toutefois, est le plus souvent passée sous silence la circonstance tenant à ce que le régime politique chypriote appartienne à la catégorie des régimes présidentiels, à l’image du modèle des Etats-Unis d’Amérique. Et il nous paraît que le droit public chypriote présente une singularité et une originalité supplémentaires, fréquemment occultées.
Cet aspect demeure méconnu et pourtant, nonobstant la crise des institutions intervenue en 1963, qui mit à mal le système communautaire imaginé en 1960, lors de l’adoption de la Constitution, le régime présidentiel de l’île d’Aphrodite fonctionne depuis lors de manière satisfaisante et ce particularisme est suffisamment étonnant par lui-même, lorsque l’on connaît les difficultés d’adaptation du régime présidentiel hors de son berceau d’origine, pour que l’on s’y attarde et que l’on en présente les ressorts.
L’on sait en effet que le régime présidentiel américain est souvent dénaturé lorsqu’il est transposé. Sur une durée probante supérieure à cinquante ans, seuls Chypre et le Costa-Rica offrent ainsi le spectacle d’une adaptation pleinement réussie.
Si la transplantation a, somme toute, bien opéré à Chypre6, il convient d’emblée d’indiquer que ce n’est pas dû à la circonstance selon laquelle ce pays serait institué sous une forme fédérale, qu’il connaîtrait le bicamérisme et qu’il serait régulé par un système de partis bipartisan ou bipolaire, que la greffe aurait pris.
En effet, Chypre est un Etat unitaire centralisé7, monocaméral et son système de partis est multipartisan.
L’on soulignera que, à l’heure où cet Etat est un membre de l’Union européenne, l’intérêt qu’il y a à connaître son système constitutionnel apparaît avec une acuité particulière.
Aussi, la présente étude a-t-elle pour ambition d’en présenter les principaux caractères et ressorts, afin de faire émerger la forte personnalité de ce régime, dont la permanence contraste avec l’instabilité qui règne à ses frontières et dont les conditions de l’avènement ne furent pas caractérisées par le respect de la souveraineté démocratique8, ce qui, d’emblée, n’a guère rapproché la Constitution du peuple chypriote9. La Constitution a, en effet, été octroyée au peuple chypriote, qui ne l’a pas adoptée10.
A cette fin, dans un premier volet, seront présentées les dispositions constitutionnelles qui fondent le régime présidentiel, puis dans un second mouvement, sera abordé son fonctionnement concret à travers ses pratiques les plus saillantes, qui démontrent qu’un tel régime ne peut fonctionner qu’en s’appuyant sur une collaboration entre les pouvoirs constitués, en dépit de la présentation habituelle du régime présidentiel, fondée sur une stricte séparation des pouvoirs.
I. Un régime présidentiel imité des Etats-Unis d’Amérique
Ainsi, la dernière originalité du régime chypriote n’est pas, au sein de l’Union européenne et sur le continent européen même, d’illustrer la catégorie des régimes présidentiels11, dont le modèle est à Washington12.
En effet, malgré une singularité prononcée de la Constitution chypriote, qui, initialement, faisait toute sa part à un système de représentation communautaire entre Chypriotes grecs et turcs, ce dont témoigne la rédaction de son titre premier intitulé « Dispositions générales » et composé de cinq articles, l’organisation des pouvoirs répond à celle du modèle présidentiel13.
La Constitution comporte ainsi un titre III consacré au Président de la république, au Vice-Président de la République et au Conseil des ministres. Ce sont les organes exerçant le pouvoir exécutif.
L’article 36 de la Constitution, en accord avec l’article 1er, institue le Président et le Vice-Président et son article 46 prévoit qu’ils « assument » le pouvoir exécutif. Afin de pouvoir l’assumer, l’article 46 précise qu’ils disposent du Conseil des ministres, dont les membres peuvent être choisis en dehors de la Chambre des Représentants, le Parlement monocaméral chypriote. Bien évidemment, il convient de souligner que le Vice-Président étant choisi par la communauté des Chypriotes turcs, la fonction est neutralisée.
En tout état de cause, les termes employés et les fonctions imparties à chacun de leurs titulaires éloignent assurément le régime chypriote des caractéristiques habituelles d’un régime parlementaire, bien qu’un système comme celui de la France sous la cinquième République, formellement parlementaire, s’accommode de la coutume de nommer des ministres parmi des personnes qui ne sont pas membres du Parlement et cette pratique conventionnelle est poussée jusqu’au choix du Premier ministre, ce dernier n’étant pas obligatoirement un parlementaire14.
Le Président de la République ne dispose pas du pouvoir de dissolution du Parlement, ce qui, à cet égard, également, manifeste l’exclusion de Chypre du nombre des régimes parlementaires, la Norvège exceptée. L’on se doit, toutefois, d’observer que la Constitution du 16 août 1960 prévoit, en son article 67, la faculté pour le Parlement de prononcer son auto-dissolution15.
Dans cet ordre d’idées, l’existence d’un pouvoir de veto présidentiel, prévu par les dispositions combinées du g) de l’article 48 et de l’article 50 de la Constitution, révèle une caractéristique du régime présidentiel américain. Cependant, il échet d’observer que les Présidents de la République, depuis le départ des Chypriotes turcs des fonctions dont l’exercice leur était dévolu par la Constitution, se gardent, volontairement, de faire usage de cette prérogative, qui apparaît ainsi neutralisée.
En outre, d’après l’article 51 de la Constitution, il dispose de la prérogative de demander à la Chambre des Représentants un nouvel examen du budget, d’une loi ou de toute décision prise par le Parlement.
Et l’article 52 lui confère le pouvoir de saisir, avant promulgation, la Cour suprême, d’une loi adoptée par la Chambre de Représentants.
Dans le même ordre d’idées, l’article 55 confère au chef de l’Etat le pouvoir de convoquer le Conseil des ministres, cependant que son article 56 lui accorde le privilège d’en définir l’ordre du jour.
Au surplus, toute décision prise par le Conseil des ministres doit lui être immédiatement transmise conformément aux dispositions de l’article 57 alinéa premier de la Constitution. Et dans les quatre jours suivants cette transmission, le Président de la République peut la renvoyer au Conseil des ministres, ce dernier devant, alors, reconsidérer sa position (cf. article 57 alinéa 2 de la Constitution).
Il apparaît ainsi que le système institutionnel issu de la Constitution du 16 août 1960 s’inscrit dans la lignée d’une assez stricte séparation des pouvoirs, dont le modèle figure dans la Constitution des Etats-Unis d’Amérique.
Toutefois, la comparaison entre les deux régimes, éclairée à l’aune de l’examen du texte de la Constitution américaine du 17 septembre 1787, révèle que la Constitution chypriote contient davantage que sa devancière, ce qui pourrait former une amorce en direction du régime parlementaire.
En effet, selon les termes de l’article 42 de la Constitution du 16 août 1960, le Président de la République est investi par la Chambre des Représentants. Cette procédure d’investiture n’a pas son équivalent dans la Constitution des Etats-Unis d’Amérique.
L’on a précédemment évoqué l’auto-dissolution dont disposent les parlementaires chypriotes.
De surcroît, l’article 57 de la Constitution, qui permet au Président de la République de demander au Conseil des ministres de revenir sur une position qu’il a adoptée, laisse également au Conseil des ministres, en sa qualité d’organe propre et autonome, la latitude de persister dans sa manière de voir initiale, nonobstant les remontrances présidentielles et dans ce cas de figure, sa décision s’impose au Président.
Il y a donc, dans le texte constitutionnel, une possibilité d’émancipation du Conseil des ministres à l’égard du chef de l’Etat.
En outre, les ministres, en vertu de l’article 79 de la Constitution, ont accès aux séances de la Chambre des Représentants, ainsi qu’aux travaux de ses commissions. L’article 79 distingue, au demeurant, sur ce point, deux cas. Dans l’un d’eux, les ministres sont les émissaires du Président de la République auprès des parlementaires ; tel est le cas prévu par le premier alinéa de l’article 79 et dans le second, ils assistent eux-mêmes aux séances et peuvent y prendre la parole.
L’initiative des lois, qui fait l’objet de l’article 80 de la Constitution, est partagée entre les ministres et les parlementaires, étant précisé que les parlementaires ne peuvent émettre de proposition qui aurait pour effet de provoquer un déséquilibre budgétaire. Il y a lieu de souligner que ce sont les ministres en tant que tels qui sont mentionnés par cet article et non le Président de la République.
Et l’article 58 de la Constitution donne compétence à chaque ministre pour « diriger » son ministère.
Représentant de l’Etat dans les relations internationales, le Président de la République est l’un des quatre chefs d’Etat de l’Union européenne qui puisse représenter son pays au Conseil européen16.
Ainsi, en dépit de ferments d’un possible développement d’un organe gouvernemental que la Constitution eût autorisé, le régime chypriote obéit aux lignes dégagées par le modèle du régime des Etats-Unis.
II. Une séparation des pouvoirs atténuée par les nécessités du fonctionnement institutionnel
A cet égard, il convient immédiatement d’indiquer que, contrairement au modèle du régime des Etats-Unis d’Amérique, le système chypriote n’est pas rythmé par le même mode de scrutin utilisé pour l’élection des parlementaires. En effet, à Chypre, la proportionnelle a cours et non pas le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour et le système de partis en découle.
En outre, il y a lieu de noter que l’élection du Président de la République est directe. Le filtre des grands électeurs n’existe pas, comme il en est ainsi aux Etats-Unis.
Par surcroît, les élections des membres de la Chambre des Représentants ne coïncident pas avec l’élection présidentielle. De la sorte, le lien entre les deux majorités populaires, celle ayant permis l’élection du chef de l’Etat et celle ayant donné lieu à l’élection du Parlement, est moins direct.
Il ressort de ces caractéristiques que la notion de « majorité » à la Chambre des Représentants est revêtue d’une signification plus aiguë encore qu’elle peut l’être dans le régime américain.
Sans évoquer la « parlementarisation » possible du régime chypriote, car le régime présidentiel ne paraît pas dénaturé de quelque manière que ce soit, il est certain que la « majorité présidentielle » a une acception plus complexe qu’elle n’en possède aux Etats-Unis d’Amérique.
Ce propos préalable posé, il convient de souligner que le régime chypriote actuel répond aux caractéristiques dominantes dans les démocraties contemporaines, selon lesquelles le pouvoir exécutif exerce un rôle suréminent dans le processus législatif.
Pour s’en tenir à l’exemple fourni par la législature de la Chambre des Représentants courant de 2007 à 2012, les proportions respectives d’initiatives législatives entre le Conseil des ministres et le Parlement ont été les suivantes : 1215 projets ont émané du Conseil des ministres et 350 ont trouvé leur origine dans des propositions de parlementaires ; sur ces totaux, 1115 des projets du pouvoir exécutif sont devenus des lois, cependant que 166 propositions des Représentants sont parvenues au même aboutissement.
Cet exemple montre que le pouvoir exécutif exerce davantage la prérogative de proposer des textes de loi, que ne le font les Représentants.
De surcroît, le pourcentage de lois adoptées ayant pour origine des projets du Conseil des ministres par rapport au nombre de textes déposé par ce dernier est bien supérieur au taux de lois adoptées sur propositions de parlementaires.
Toutefois, un regard plus aiguisé permet de constater que tous les projets déposés par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire, en pratique, par le Président de la république, ne rencontrent pas systématiquement l’aval des parlementaires.
8,22 % des projets de loi élaborés par le pouvoir exécutif ne sont pas adoptés par le Parlement.
En outre, il faut relever que les partis soutenant le Président de la République à la Chambre des Représentants votent généralement en bloc les textes que le pouvoir exécutif demande à cette dernière d’adopter.
Lorsque ces partis forment une majorité absolue à la Chambre des Représentants, cela ne soulève pas de difficulté particulière.
En revanche, des négociations sont nécessaires dès lors que les partis soutenant le pouvoir exécutif ne détiennent pas une telle majorité.
C’est ainsi qu’en 2014, année marquée par de graves difficultés financières issues de la crise qui avait frappé les banques chypriotes, à deux reprises, la majorité à la Chambre des Représentants faillit au soutien du pouvoir exécutif.
A ce moment, l’actuel Président de la République, Monsieur Anastasiades était déjà en fonction, ayant été élu en 2013. Il appartient au parti conservateur « DISY ».
Au lendemain de son élection, il était soutenu au Parlement par une coalition composée de son parti, ainsi que du principal parti libéral « DIKO » et du parti européen « EVROKO », ce qui lui assurait 31 sièges sur 56, soit la majorité absolue.
Cependant, lors de l’examen, en mars 2014, d’un important plan de privatisations de services publics (télécommunications, énergie, ports), le soutien du parti libéral « DIKO » vint à manquer et l’exécutif se retrouva minoritaire au Parlement. Ce ne fut qu’au prix d’âpres négociations que ce plan, largement amendé, put être adopté le 4 mars 2014, par 30 voix contre 26, les représentants communistes, socialistes et verts votant contre et après que, le 27 février précédent, le texte de la loi fut refusé, lors d’un premier vote, par 25 voix contre 25, 5 parlementaires s’abstenant d’y prendre part. Ce furent les députés du parti libéral « DIKO », qui venaient d’abandonner leur attitude de soutien au pouvoir exécutif, qui, finalement, permirent cette adoption.
Ce scénario se répéta lorsqu’un projet de loi fut déposé le 31 juillet 2014 au Parlement aux fins de permettre aux banques de procéder à la saisie des biens immobiliers des débiteurs. Le texte autorisait la mise aux enchères publiques de leurs biens.
Le pouvoir exécutif dut trouver des accords particuliers avec les formations représentées au Parlement, pour que le 6 septembre 2014, le texte soit adopté et nonobstant l’avis défavorable du Conseil des ministres, en contrepartie de l’adoption d’un autre texte, d’origine parlementaire sur l’insolvabilité des débiteurs, aux fins de compensation des effets sévères du texte voulu par le pouvoir exécutif sur la situation des débiteurs.
Et l’on se doit de rappeler que dès le mois de mars 2013, juste après son élection, Monsieur Anastasiades dut affronter une fronde générale des parlementaires, faisant écho aux manifestations sans précédent qui secouèrent l’île, lorsque le chef de l’Etat entendit faire adopter par le Parlement un train de mesures dicté par la Banque Centrale Européenne, l’Union européenne et le Fonds Monétaire International et qui se serait traduit par la taxation des dépôts bancaires.
Dans le prolongement de ce bras-de-fer entre les pouvoirs exécutif et législatif, caractérisé par la défection même du parti du chef de l’Etat, au mois de septembre 2013, deux projets de loi, l’un tendant à permettre à la Banque centrale de superviser les banques coopératives et l’autre visant à recapitaliser la « Hellenic bank », furent rejetés une première fois, le 5 septembre 2013, alors qu’il s’agissait de mesures incluses dans le plan imposé par lesdites organisations internationales à Chypre ; elles furent adoptées le lendemain, à la suite d’un second vote sollicité par le pouvoir exécutif.
Ce projet, présenté par le Conseil des ministres fut repoussé par 36 députés, c’est-à-dire tous ceux n’appartenant pas au parti conservateur du Président, alors même que sa « majorité » incluait les membres des partis « DIKO » et «EVROKO », cependant que les 19 députés membres de son propre parti s’abstenaient.
Certes, les conditions qui entourèrent, durant les premières années du premier mandat du Président Anastasiades, l’adoption de mesures fortement impopulaires et décriées, ont été et restent exceptionnelles.
Il n’en demeure pas moins que si l’on a égard à la situation parlementaire à laquelle les Présidents de la République chypriotes ont été confrontés depuis 2003, il est loisible de constater la variabilité des alliances conclues.
Ainsi, Monsieur Papadopoulos, chef de l’Etat de 2003 à 2008, membre du parti « DIKO » put compter sur une coalition insolite pour qui n’est pas familier du régime chypriote, formée de son parti, libéral, du parti communiste « AKEL », du parti social-démocrate « KISOS » né de « l’EDEK », soit 33 sièges sur 56, lors de son élection et 34 après le renouvellement de la Chambre des Représentants survenu en 2006 ; néanmoins, en 2007, le parti « AKEL » quitta cette coalition qui ne recueillit plus, de la sorte, que l’aval de 16 Représentants sur 56.
De 2008 à 2013, la Présidence de la République fut occupée par Monsieur Christofias, membre du parti communiste « AKEL », auquel le soutien des Représentants de son parti, du parti libéral et « DIKO » et du parti social-démocrate était assuré, soit 34 sièges sur 56 jusqu’en 2011, date des élections législatives, ce soutien passant alors à 33 sièges.
Depuis 2013, Monsieur Anastadies, membre du parti conservateur « DISY » est chef de l’Etat.
Ainsi qu’il a été vu supra, il put compter, dans un premier temps, sur une majorité absolue de son parti, du parti « DIKO » et du parti « EVROKO ». Mais, dès 2014, le parti « DIKO » lui ayant retiré son appui, les parlementaires le soutenant en vertu d’un accord politique furent minoritaires.
Au surplus, de 2016 à 2021, durant toute la durée de l’avant-dernière législature, ce fut un gouvernement « minoritaire », expression empruntée à certains régimes parlementaires qu’il mena, en quelque sorte, puisque son parti était seul, au Parlement, à soutenir l’exécutif et il ne représentait que 18 sièges sur 56. Et il se pourrait qu’à la suite des élections des Représentants tenues le 30 mai 2021, cette situation perdure, le parti « DISY » ne détenant, depuis, que 17 sièges sur 56.
Ce tableau indique que, si l’institution présidentielle est la figure chypriote qui oriente l’axe de la vie politique nationale, cependant, le parti présidentiel n’est pas, par lui-même, apte à assurer au chef de l’Etat un soutien stable au Parlement et le Président de la République doit alors œuvrer à l’image d’un chef de gouvernement d’un régime parlementaire, soit, en concluant une coalition majoritaire, soit, en s’assurant de « majorités de projets », au cas par cas. Et l’on pourrait presque parler de « cohabitation » lorsque le Président se retrouve face à une majorité de Représentants appartenant à un parti autre que le sien.
En conclusion, il apparaît que le régime institutionnel et politique chypriote actuel, né dans des circonstances peu favorables à son épanouissement en raison de la greffe qui en marqua l’origine comme de son absence de légitimité populaire et affecté, dès ses débuts, par des soubresauts internes et extérieurs qui auraient pu avoir raison de son existence, a su s’accommoder de ces handicaps en constituant un des rares exemples de régime présidentiel viable. Ce paradoxe peut être perçu comme un lointain écho à la fondation, par un chypriote phénicien de naissance, Zenon de Kition, d’une école, le stoïcisme, représentative au travers des siècles, d’un courant intellectuel grec.
Edwin MATUTANO
Docteur en droit
Avocat à la cour
Enseignant à l’Université de Lille
1 MAZIAU (N.), Les Constitutions internationalisées, Aspects théoriques et essai de typologie, ww3.unisi.it/dipec/dottorato/maziau.doc ; CERDA-GUZMAN (C.), Repenser les Constitutions internationalisées, Revue du droit public, 2015, n°6, p.1567.
2 L’accord de Zurich du 11 février 1959 sur la structure de base de la République de Chypre, complété par l’accord de Londres du 17 février suivant.
3 En son article 182.
4 TENEKIDES (G.), La condition internationale de la République de Chypre, Annuaire français de droit international, 1960, vol.6, n°1, p. 133 ; CAHIN (G.), Limitation du pouvoir constituant : le point de vue de l’internationaliste, Civitas Europa, 2014/1, n° 32, p.55.
5 HATZIMAIL (N.E.), Cyprus as a Mixed Legal System, Journal of Civil Law Studies, volume 6, Issue 1, Summer 2013.
7 AGAPIOU-JOSEPHIDES (K.) in Les démocraties européennes, Institutions, élections et partis politiques, BRACK (N.), DE WAELE (J-M.), PILET (J-B.), dir., Paris, 2015, Armand Colin, coll.U, chapitre 5, p. 79.
8 VLACHOS (G.), L’organisation constitutionnelle de la République de Chypre, Revue internationale de droit comparé, 1961, n°13-3, p. 525 ; AZEBAZE-LABARTHE (D.), A la recherche d’un patrimoine constitutionnel européen de la révision constitutionnelle : la révision de la Constitution dans les Etats européens, Revue française de droit constitutionnel, n° 2016/4 (n°108), p. 769.
9 Ce dont témoigne le peu d’enthousiasme observé pour célébrer son soixantième anniversaire.
10 PAPASAVVAS (S.), Chypre, Annuaire international de justice constitutionnelle, 1995, 10-1994, p.59.
11 Cf. l’article 1er de la Constitution du 16 août 1960.
12 BERTRAND (G.), République de Chypre : les élections législatives de 2016 en perspective historique. Entre hausse de l’abstention et déclin des partis historiques, Pôle Sud, 2017/2, n° 47, p.149.
13 BERTRAND (G.), République de Chypre : l’élection présidentielle de 2018 en perspective historique, Pôle Sud, 2018/1, n°48, p.162.
14 C’est ainsi que Messieurs Pompidou, Barre, de Villepin et Castex n’étaient pas membres du Parlement au moment de leur nomination.
15 Le seul recours à l’auto-dissolution est partagé par des régimes qui sont, pourtant, parlementaires : cf. Article 63 dernier alinéa de la Constitution du 17 novembre 1991de la Macédoine du Nord en vigueur, ainsi que la version initiale de la Constitution autrichienne actuelle du 1er octobre 1920 ; parmi les exemples issus du passé, l’on peut également mentionner la version initiale de la Constitution estonienne de 1920 ou la Constitution portugaise de 1911 : Luc Heuschling «Le concept de dissolution, l’histoire des dissolutions de la Chambre des députés du Luxembourg et la coutume (Première partie) », Jus Politicum, n° 13, note 92 [http://juspoliticum.com/article/Le-concept-de-dissolution-l-histoire-des-dissolutions-de-la-Chambre-des-deputes-du-Luxembourg-et-la-coutume-Premiere-partie-901.html]
16 RUSU (G-A.), La justice constitutionnelle au renfort de l’institution présidentielle : l’exemple roumain, Revue du droit public, 2015, n°3, p. 707 ; BERTRAND (G.), République de Chypre : l’élection présidentielle de 2018 en perspective historique, Pôle Sud, 2018/1, n°48, p.162.