Et si Donald Trump, par sa présidence extraordinairement chaotique, violente à maints égards populistes, comportait au final un point positif : celui de consacrer une avancée du droit constitutionnel américain en ouvrant une brèche dans un sens favorable à la démocratie et la protection des libertés publiques ? Par Patrick Martin-Genier.
Une attaque en règle contre la démocratie américaine
Donald Trump avait, dès son discours inaugural de prestation de serment le 20 janvier 2017, annoncé la couleur. Sa politique « America first » ( l’Amérique d’abord ») serait en réalité plus qu’une politique destinée à favoriser l’emploi aux États-Unis, mais une véritable régression sociétale et politique, une agression permanente contre le droit national et international. Il signait ainsi une série d’« ordres exécutifs » (sorte de décrets destinés à donner des ordres aux services gouvernementaux) tel celui, très médiatisé, destiné à construire un mur entre le Mexique et les États-Unis pour prévenir toute immigration illégale. Cette politique a, hélas, eu un impact immédiat catastrophique, conduisant des dizaines d’enfants à être séparés de leurs familles avec des parents renvoyés seuls au Mexique, pays dans lequel certains n’avaient même pas la nationalité.
Plusieurs mois après, des enfants n’avaient toujours pas retrouvé leurs parents, révélant une atteinte sans précédent à l’intérêt supérieur des droits de l’enfant au sens de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant entrée en vigueur en 1990. Les juridictions américaines ont relevé la tête et non seulement condamné cette politique mais aussi et surtout annulé la décision de Trump de mettre un terme à une loi votée sous l’administration Obama (dite loi DACA Deffered Action for Childhood Arrivals) qui, de fait, interdisait aux autorités de renvoyer de manière immédiate un migrant arrivé mineur sur le sol des Etats-Unis, et donnait à ces personnes un délai pour repartir dans ce pays et offrait également une possibilité de régulariser leur séjour grâce à l’obtention d’un permis de travail. Ce fut une première manifestation de la solidité des institutions judiciaires américaines.
La solidité des institutions judiciaires
La Cour suprême, dont on pensait qu’elle était devenue aux ordres de Donald Trump grâce à la nomination des trois juges très conservateurs durant son mandat, orientant ainsi pour une trentaine d’années une future et hypothétique jurisprudence, a refusé de donner libre cours aux tentatives de remettre en cause la sincérité du scrutin présidentiel après que des dizaines de recours ont été rejetés dans les principaux Etats, notamment en Pennsylvanie et Géorgie.
Le Congrès des Etats-Unis a aussi voté deux fois l’« empêchement » (« impeachment ») du président des Etats-Unis même si le Sénat, où la majorité des deux tiers est requise, ne l’a pas condamné, ce qui eut conduit à sa destitution. Le vote d’un deuxième empêchement par la chambre des représentants dans la foulée du siège du Capitole du 6 janvier 2021 – date qui sera incontestablement regardée comme une date historique dans l’histoire des États-Unis – est aussi un évènement institutionnel unique et majeur qui fera, pour le pire sans doute, que Donald Trump aura marqué de son empreinte l’histoire de son pays sans doute beaucoup plus que de nombreux autres présidents américains.
Une condamnation ex post pour une destitution virtuelle ?
Le chapitre qui s’ouvre aujourd’hui s’aventure aussi dans un espace constitutionnel encore jamais exploré : le président des Etats-Unis peut-il être condamné par le Sénat et contraint à la démission virtuelle alors qu’il a quitté le pouvoir ? Si, vu du côté européen, la réponse peut sembler évidente, elle ne l’est pas du tout du côté américain. Il est vrai qu’en pratique, déclarer coupable un président pour le forcer à démissionner n’aura aucune portée. Mais l’objectif politique est double : d’une part, il s’agit clairement de condamner une attitude qui a été regardée comme incitant à la prise d’assaut du Capitole, soit une atteinte sans précédent contre le temple de la démocratie américaine assiégé par une foule dont il est avéré qu’elle avait préparé minutieusement cette attaque, encouragée non seulement par le président mais aussi par certains policiers qui n’ont pas vraiment fait opposition à cette intrusion, mais aussi par une dizaine de sénateurs républicains situé à l’extrême-droite de l’échiquier politique.
Mais, d’autre part et surtout, l’objectif pour les démocrates et aussi pour certains républicains modérés est d’empêcher Donald Trump, si sa culpabilité était reconnue, de se représenter à l’élection présidentielle de 2024, mais aussi à tout emploi public.
Un débat constitutionnel délicat
Est-ce possible ? La question n’a évidemment jamais été tranchée. Les constitutionnalistes américains sont partagés à ce sujet. Certains estiment que Trump, très clairement, a incité les séditieux à prendre le contrôle du Capitole dans une ultime tentative de remettre en cause l’élection de Joe Biden comme président des Etats-Unis et donc de garder le pouvoir, une sorte de putsch institutionnel.
Ils s’appuient sur la Constitution qui dispose que « le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».
Cet article 2 de la section IV prévoit que l’objectif est de destituer le président. C’est d’ailleurs pour éviter cette humiliation que Richard Nixon avait préféré démissionner avant d’être destitué le 9 août 1974, une semaine après le début de la procédure d’impeachment. Richard Nixon avait aussi préféré partir de lui-même pour éviter de perdre tous les privilèges matériels et financiers attachés au statut d’ancien président des Etats-Unis. Ceci irait donc dans le sens de l’inopérance d’une poursuite du procès au Sénat et donc d’une inconstitutionnalité de la procédure.
La liberté d’expression en cause ?
Pour d’autres, la question est plus complexe. Ces juristes s’appuient sur une autre disposition de la Constitution américaine : l’amendement n°1. Promulgué le 15 décembre 1791, il dispose : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs ». Si un tel amendement a toujours, dans l’histoire américaine, été utilisé pour protéger les citoyens des Etats-Unis contre une atteinte à cette liberté par les institutions politiques, selon des constitutionnalistes, pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle de ce pays, cet amendement pourrait être utilisé par les avocats de Donald Trump pour protéger leur client. Pourquoi un tel droit, qui s’applique aux citoyens ordinaires, ne s’appliquerait-il pas à la personne du président des Etats-Unis ? Il s’agira donc de se prononcer sur la phrase prononcée par le président en exercice des Etats-Unis le 6 janvier 2021 : « nous allons nous rendre au Capitole (…) ; On ne reprendra jamais notre pays par la faiblesse. Il vous faut montrer votre force et vous devez être fort ». Il s’agira, pour les juristes, avocats et au final les sénateurs, de décider si ces propos doivent être interprétés comme un appel à la sédition et au renversement des pouvoirs publics constitutionnels ou si, au contraire, ils rentrent dans le cadre de la liberté d’expression protégée par le premier amendement de la Constitution. Doit-on imputer au président les violences qui ont eu lieu au Capitole alors qu’il n’a jamais dit formellement qu’il fallait le prendre d’assaut avec les armes ? Tel sera le débat à la fois juridique et politique. Enfin, une éventuelle condamnation pourrait-elle conduire à la fin des privilèges de Donald Trump ? Il y a de fortes probabilités que ces débats finissent à la Cour constitutionnelle où le basculement en faveur d’une majorité conservatrice pourrait lui être favorable.
Plusieurs autres débats constitutionnels
La décision aura une portée considérable dans le droit constitutionnel américain. Plusieurs autres débats constitutionnels sont en cours. Si la pratique du pardon présidentiel est une pratique usuelle et constitutionnelle, y compris dans les dernières heures d’un mandat, elle n’est pratiquement jamais intervenue dans de telles conditions institutionnelles et politique : à la veille de son départ, il a ainsi gracié plus de soixante-dix personnes dont Steve Bannon l’idéologue de l’extrême-droite suprématiste, de nombreux hommes d’affaires ayant financé la campagne de Donald Trump et des généreux donateurs du parti républicain. Si une telle pratique existe, les conditions dans lesquelles ce pardon a été utilisé pourrait susciter un certain nombre de tentatives de recours vu qu’elles auraient été très chèrement monnayées…
Au-delà des péripéties et soubresauts de l’administration Trump, peut-être le débat sera-t-il relancé sur plusieurs points : le collège électoral par Etat pour la désignation du président des Etats-Unis ou bien encore la composition de la Cour suprême des États-Unis, la durée du mandat des juges, sans oublier le deuxième amendement de la Constitution qui prévoit qu’une « milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ». Cet amendement avait été utilisé par Donald trump lors des émeutes raciales et la prise d’assaut de certains bâtiments officiels dans les états fédérés par des hommes et des femmes armés. Les auteurs de l’assaut contre le Capitole étaient, pour beaucoup d’entre eux, armés.
Aussi, avec la présidence Trump, le droit constitutionnel américain a-t-il amorcé une nouvelle étape essentielle qui ne fait que débuter.
Patrick Martin-Genier
Essayiste, spécialiste des questions européennes et internationales