Depuis des années, Emmanuel Macron sensible aux approches issues de Bruxelles, veut réaliser une réforme des retraites. Après avoir échoué avec son architecture de système à points, le voilà soumis au bon vieux tango paramétrique. Hélas, le projet dévoilé par la Première ministre est lourdement antisocial.
Juridiquement, il convient d’attendre l’examen en Conseil des ministres du 23 janvier 2023 pour être en mesure d’appréhender l’intégralité du texte en amont de la discussion parlementaire.
S’agissant de celle-ci, elle se déroulera sous l’égide d’un PLFSS rectificatif qui verra, une fois encore, la piètre tenue des comptes sociaux. Et le fort probable recours à l’article 49-3 car il n’est pas impossible que les parlementaires LR descendent du train en marche.
La France se trompe de cible
Selon les prévisions du Conseil d’Orientation des Retraites, dont nous savons qu’il faut les consulter avec prudence depuis le temps où René Teulade – ministre en 1992 – avait influencé ses travaux, près de 13 Mds de déficit sont attendus à court terme. À rapporter aux 320 milliards de pensions servies.
Pour prendre un terme en vogue à Bercy, c’est dans l’épaisseur du trait.
Il n’en est pas de même pour les comptes de l’État qui présente 508 Mds de dépenses dont 155 Mds de déficit auquel il faudra rajouter le quelque 40 Mds engagés depuis l’automne (boucliers).
Le défi de la France réside dans la gestion de l’État bien davantage que dans la question des retraites que la réforme Touraine permet de contenir.
Pour le président de la République, il est plus facile de jouer le Père fouettard des retraites que le pater familias de la gestion de l’État.
La nouvelle société au goût amer
En septembre 1972, Jacques Chaban-Delmas finement épaulé par le regretté Simon Nora et par Jacques Delors avait prononcé son fameux discours sur la nouvelle société.
Celle que nous propose Madame Borne porte un terrible goût amer.
Si l’on peut comprendre – et donc admettre – que le choc démographique impose de fixer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, il est en revanche hors de l’épure d’une société développée de fixer à 43 ans le nombre de durée de cotisations obligatoires.
De plus en plus de jeunes diplômés entrent en vie active à 25 ans (voire plus) : ainsi 25 + 43 = 68 ans pour prétendre pouvoir partir à taux plein.
Comme dans bien des cas, les futurs retraités cesseront le travail avant, cela signifie que des millions d’entre eux verront leurs pensions affectées d’une décote rapidement significative.
La réforme Macron est l’organisation de la baisse inéluctable du futur montant des retraites servies.
C’est une nouvelle société plus rude qui rompt un pacte social pour des motifs de pointillisme budgétaire que l’État ne s’applique pas à lui-même.
Les 43 annuités sont une dague dans le flan des travailleurs là où la digue de 64 ans était déjà un effort conséquent.
Le front social pourrait devenir sociétal.
Face à ce projet de loi, l’intersyndicale ne restera pas inerte et, sur un tel sujet, la mayonnaise peut prendre et ainsi déployer la vigueur d’un refus sociétal.
Puisse Laurent Nunez avoir le doigté du célèbre préfet Maurice Grimaud de 1968 car rien n’est prévisible quand un peuple gronde.
La farce des 1 200 euros de retraite minimum
Madame Borne est malicieuse et a su agiter un hochet pour donner un semblant de volet social à sa réforme.
Hélas, c’est une farce.
Tout d’abord, il s’agit de 1 200 euros bruts.
Puis, il faut avoir » eu une carrière entière « . Allez hop, à la trappe tous ceux qui ont eu des carrières hachées.
Enfin, l’incertitude plane sur l’éligibilité des bénéficiaires. Si l’on se contente de verser cet avantage aux nouveaux retraités, cela induit un coût de 400 millions. Si on l’applique aux retraités, cela coûte près de 3 Mds sur une réforme qui devrait présenter 8 Mds d’économies.
Pour aller plus loin
Je vous recommande les travaux rondement menés par l’économiste de l’OFCE : l’estimé Vincent Touzé.
Scalper les retraités nantis ?
La dernière idée en vogue que le Pouvoir doit garder pour ses députés afin de donner un peu de relief social à la discussion parlementaire consiste à faire le constat que des retraités sont nantis.
En cela, il est confondu le montant des pensions avec l’ensemble des revenus qui incluent souvent des avoirs immobiliers.
Là encore, ce gouvernement qui affectionne l’erreur risque d’omettre que les donations transgénérationnelles vont contrecarrer les idées de France Stratégie et autres officines.
La réforme des retraites présentée ne résout pas les inégalités public/privé : 6 derniers mois de carrière contre 25 meilleures années et le fait que la retraite représente 75 % du dernier traitement contre 50 % du dernier salaire pour le privé.
Enfin, last but not the least, on ne détecte pas d’avancée sociale en direction des femmes.
Le projet Macron orchestre la régression. Le reste est littérature ou plan sur la comète à partir de prévisions nimbées d’incertitudes paramétriques.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique