Trump fait son grand retour à la Maison-Blanche dans un monde très différent de celui qu’il a laissé en 2021 à la fin de son premier mandat à la tête des États Unis. En effet, de profondes fractures marquent l’environnement géopolitique actuel. Entre la souveraineté des nations, les tensions internationales et les conflits entre partis politiques, Éric Cerf-Mayer, à travers cette analyse, nous offre une réflexion sur une scène politique occidentale qui cherche encore sa place dans cette redistribution des cartes.
Le 21 janvier 1793, Louis XVI gravissait les marches de l’échafaud pour être guillotiné, une mort affreuse qu’il ne méritait pas en tant qu’homme de bonne volonté, voulue par les révolutionnaires pour rompre à tout jamais avec l’Ancien Régime et marquer l’entrée dans une ère nouvelle soi-disant porteuse de tous les progrès et d’émancipation générale pour le peuple de France. Des mythes fondateurs de la République – un des fruits du siècle des Lumières- à la réalité, il y a eu beaucoup de désillusions et déconvenues, des avancées et progrès indéniables aussi. Aujourd’hui nous devons vivre avec cet héritage dont il faut parvenir à tirer le meilleur, en gardant toutefois à l’esprit que la France n’a pas commencé à exister à partir de la Révolution, une tâche pas toujours évidente dans l’état actuel déplorable du « cher et vieux pays »… Une chose demeure certaine : Louis XVI est pour beaucoup dans la naissance des États-Unis d’Amérique, car c’est de par sa volonté de monarque, en lutte sourde d’influence contre son homologue britannique George III pour redonner à l’hexagone sa prééminence perdue à la signature du Traité de Paris en 1763, et sur ses ordres de participation française à la guerre d’indépendance, que l’on peut en 2025 reprendre la célèbre formule de Paul Claudel pour rappeler que » C’est au bras de la noblesse de France que la démocratie américaine a fait son entrée dans le monde. ».
Que pensait réellement notre dernier Roi d’Ancien Régime du combat des insurgés des treize colonies contre la Couronne d’Angleterre, lui qui lisait John Milton dans le texte ? Souscrivait-il à l’axiome de Benjamin Franklin – « Là où réside la liberté, là est ma patrie »- ? Probablement pas, en héritier fidèle d’une très longue lignée de Souverains, ses prédécesseurs sacrés en la cathédrale de Reims, son credo marqué d’une foi très profonde était ailleurs dans la préservation d’une conception d’un ordre du monde de longue tradition où les devoirs primaient sur le libre-arbitre. Eut-il connaissance de la phrase flatteuse de Thomas Jefferson, troisième Président des États-Unis d’Amérique – » Pour tout homme, le premier pays est sa patrie, et le second c’est la France »-, une marque de reconnaissance qu’on a du mal à imaginer possible aujourd’hui tant notre voix est devenue inaudible dans les grands bouleversements mondiaux qui se dessinent et dans la lutte entre les Empires du moment ?
Par un très froid lundi 20 janvier 2025, au sein du Capitole, qui dans l’assistance, lors de la cérémonie d’investiture du 47e Président des États-Unis, aura eu une pensée fugace pour notre dernier Roi d’Ancien Régime dont l’aide fut si déterminante pour accoucher d’une démocratie autant au centre de la marche du monde ? Sans doute personne, c’est ainsi et c’est dans l’ordre naturel des événements. Le retour à la Maison-Blanche de Donald John Trump est en soi un fait exceptionnel que chacun interprétera en fonction de sa chapelle politique, idéologique voire religieuse mais c’est avant tout le résultat du vote des Américains en toute liberté et conformité avec leurs remarquables institutions.
Les États-Unis d’Amérique sont le fruit d’une lutte originelle, constante pour la liberté, sur la base d’une conception des droits du citoyen inscrits dans une Constitution communément admise et rarement contestée depuis son adoption en 1787.
Le régime présidentiel qu’elle a institué est un socle solide pour mettre en œuvre le programme majoritairement choisi par les électeurs tous les quatre ans.
Il faut garder cela à l’esprit pour décrypter la cérémonie d’investiture du 20 janvier 2025 et comprendre la force du discours présidentiel prononcé par Donald Trump après sa prestation de serment sur la Bible. Ce discours et les décisions qu’il annonce correspondent à ses engagements de campagne, sans aucune surprise. Le 47e Président des États-Unis entend redonner à son pays la place qu’il estime lui revenir, c’est à dire la première, en utilisant tous les leviers à sa disposition et sans état d’âme particulier par rapport aux conventions usuellement affichées dans le domaine des relations internationales.
Il faudra bien que les dirigeants en Europe et dans le reste du monde se réhabituent à cette réthorique puissante et sans fards où la recherche des résultats à obtenir en fonction des objectifs poursuivis et affichés ouvertement est la ligne directrice de l’action.
Donald Trump vient du monde des affaires et des entrepreneurs, pas d’une caste d’administrateurs, de technocrates ou de bureaucrates formatés sur un même moule comme c’est trop souvent le cas en Europe, et il agira et négociera dans une démarche où le pragmatisme délimite le champ des rapports de force. On peut aussi appeler cela le retour d’une forme instinctive de bon sens face aux dérives de la doxa occidentale dominante qui entame peu à peu son déclin. C’est ce que les Américains qui ont voté massivement pour lui attendent de leur 47e Président. Il ne faut pas oublier qu’ils ont aussi effectué ce choix en toute connaissance de cause à l’issue d’un mandat démocrate dont ils ont clairement sanctionné le bilan décevant en reconduisant à la Maison-Blanche celui qui avait officié à leur tête en tant que 45e Président.
C’est sans doute en cela que réside la force de cette seconde investiture mais aussi sa contrainte : ne pas décevoir les attentes d’un peuple lassé par les excès imbéciles d’un wokisme débridé et en divorce total avec ses « élites » dites progressistes, déconnectées des difficultés et réalités dans lesquelles il a dû évoluer pendant les quatre dernières années.
Quatre ans pour forger un nouvel Âge d’or « Une nation fière, prospère et libre bien plus exceptionnelle qu’auparavant… », restaurer la prospérité économique en jugulant l’inflation, planter un jour la bannière étoilée sur la surface de Mars, tenir en lisière les autres Empires, Chine et Russie, peser de tout son poids pour mettre un terme à la guerre en Ukraine et ramener la paix au Moyen-Orient en y annihilant l’hydre terroriste, vaste et ambitieux programme certes, mais pour autant qui sont ceux qui persiflent aujourd’hui de ce côté ci de l’Atlantique et se moquent d’une ambition dont ils sont bien incapables et quels sont leurs propres accomplissements à mettre en balance face à celui qui par son retour à la Maison-Blanche a démenti tous leurs pronostics et invalidé leur vision des évolutions du monde ?
Faut-il compter sur « ces hommes en qui finissent des mondes » pour reprendre cette formule du Général de Gaulle, tout empêtrés dans leurs « tambouilles partisanes au coin du réchaud » où ils oublient la médiocrité de leurs ambitions limitées, pour répondre à ce qui est foncièrement un défi lancé à l’Europe – retrouver elle-même une ambition et une vision partagées pour demeurer un partenaire respecté des États-Unis ?
Ils peuvent se moquer de l’invocation de Martin Luther King, de l’appel à la primauté de la méritocratie sur les considérations de couleur ou de genre, refuser de voir que dans les provocations calculées de Donald Trump sur le Groenland ou le canal de Panama, il y a de vraies questions qui se posent en termes de souveraineté ou de maîtrise de la liberté d’accès à des routes commerciales cruciales, cela n’infléchira pas le cap pris le 20 janvier 2025 par le successeur de Joe Biden. Ils seraient bien avisés de réfléchir aux échecs prévisibles de leur stratégie s’ils persistent dans une diabolisation stérile de leur interlocuteur sans introspection sur leurs propres contradictions et défaillances en matière de contrôle de l’immigration, de sécurité, d’urgence énergétique ou de respect de leur autonomie de décision en tant que nation libre…
Bien loin du Capitole et de la signature symbolique par Donald Trump de 200 mesures exécutives, décrets et autres instructions, immédiatement après sa cérémonie d’investiture – l’action primant sur le verbe- dans notre « cher et vieux pays », l’opinion publique n’aura vraisemblablement pas retenu grand chose du discours de politique générale du nouveau locataire de Matignon, en dehors du terme de conclave utilisé pour recouvrir la réouverture de discussions sur la réforme des retraites Borne, totem de la macronie, obsolète avant l’heure et ne résorbant aucun déficit, et l’adoption ou non du budget de 2025 en gestation laborieuse scellera le sort du gouvernement Bayrou dans une ambiance surannée de retour vers le passé de la IVe République. La lutte contre les influenceurs algériens constitue la ligne de front principale avec son lot d’effets d’annonces tonitruantes sans beaucoup de résultats face aux autorités d’Alger qui détiennent toujours notre compatriote Boualem Sansal en otage d’une manière inique et arbitraire. Elon Musk est le nouveau diable et son réseau X, le chaudron où l’internationale « réactionnaire » prépare le retour du fascisme en Europe.
Les utilisateurs de ce réseau sont tous des imbéciles incapables de voter convenablement et de faire la part des choses dans cette vision éminemment méprisante que s’en fait la chevalerie du « deux poids, deux mesures » à l’œuvre dans les médias et dans les partis de gauche et alliés de la macronie en France pour préserver une liberté d’expression dont elle n’a cure au fond quand elle ne va pas dans son sens et ose s’affranchir de la vision qu’elle se fait du monde… Triste mois de janvier dans un pays qui s’enfonce en absurdie et glisse dans les ornières de l’impuissance jusqu’à quand ?
Le monde va célébrer dans quelques jours le 80e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. L’image glaçante des terroristes du Hamas tout de noir vêtus comme des SS pesant sur celle des 3 premières otages revenant de l’enfer des tunnels de Gaza comme une menace non encore éradiquée, devrait nous mettre en garde contre une mauvaise interprétation des luttes à mener pour sauvegarder notre liberté. Le mal hideux est toujours là, rampant et prêt à frapper à nouveau. Il importe plus que jamais de ne pas se tromper d’adversaire et de bien reconnaître le diable et plus encore nos propres démons là où ils prospèrent avant de jeter l’anathème sur qui que ce soit.
Et surtout il est sage de juger sur leurs actes plus que sur leur rhétorique les dirigeants de ce monde quand nous avons la chance de pouvoir les choisir librement, comme c’est le cas en ce qui concerne le retour à la Maison-Blanche du Président d’un grand pays qui doit en partie sa naissance à la décision d’un de nos monarques trop souvent injustement mal jugé par ses contemporains et la postérité.
Eric Cerf Mayer
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