En 2019, nous expliquions le déclin économique de la France depuis 40 ans par une surévaluation du franc puis de l’euro franc sur longue durée, avec des hauts et des bas, mais qui a pesé sur la croissance française entre 0.5 et 1 % en moyenne chaque année.
Ainsi, brièvement à la fin des années 90, la France était compétitive, le franc était légèrement sous-évalué et la croissance française était satisfaisante tandis que la France faisait des excédents commerciaux. Or, deux chocs se sont produits simultanément au tournant du siècle : les 35 heures payées 39, mesure socialiste et étatique phare de nos élites de gauche à laquelle ne se sont pas opposées les élites de droite. Dans le même temps, les Allemands baissaient leurs salaires et coûts horaires avec l’agenda Schröder.
Les 35 heures payées 39 été l’équivalent d’une hausse du salaire horaire de 12 %, tandis que les salaires allemands baissaient d’un peu moins. Soudainement, l’Allemagne est devenue ainsi beaucoup plus compétitive que la France, ces changements de salaires horaires ne pouvant être compensés par une dévaluation du franc ou une réévaluation du mark puisque nous venions d’entrer dans l’euro. Dès ce moment, la France est rentrée dans une spirale destructrice de perte d’emplois industriels et de hausses des charges (souvenez-vous des impôts Hollande par exemple) pour compenser les pertes d’emplois ou la non croissance de l’emploi à mesure que la population française augmentait et financer l’assistanat croissant.
Il faut comprendre qu’une perte de compétitivité ne se solde pas uniquement par une perte de revenus. Elle place l’économie française sur une spirale de déclin irréversible, qui a tendance à s’auto entretenir si la politique économique ne change pas de cap.
Ainsi, l’emploi a stagné et le non emploi a augmenté considérablement depuis 20 ans, le non emploi étant financé par les charges croissantes qui pèsent sur les actifs qui ont un travail. D’où le sentiment réel de dépossession, de perte de pouvoir d’achat et de paupérisation d’un très grand nombre de Français et l’émergence de la révolte des Gilets jaunes. Dans notre note de l’Institut Thomas More en novembre 2019, nous estimions le coût pour les travailleurs des 6.5 millions de chômeurs réels (personne ne travaillant pas et qui devraient travailler en comparaison avec les autres pays) à 250 milliards d’euros par an, soit autant que le coût de la santé ou le coût des retraites qu’il faut financer en sus de cet assistanat.
Ce coût supplémentaire, que ne financent ni les Danois, ni les Allemands ni les Suisse ou les Hollandais, qui a cru ces 40 ans dernières années avec une moyenne de l’ordre de 6 milliards par an est le responsable de la perte de pouvoir d’achat des Français sur cette période. Les Français se posent souvent cette question ingénue : nous payons de très lourds impôts mais nous avons les plus mauvais services publics du monde. Où part l’argent ? Cet argent finance une population de 6.5 millions de personnes aidées par l’Etat (en sus par rapport aux autres pays) et leur familles, soit environ 15 millions de personnes qui devraient être autonomes financièrement et vivre du travail des adultes considérés et qui ne vivent que de transfert sociaux et financiers pour la totalité de leurs besoins. Cette population non employée et qui aurait dû l’être par comparaison avec les autres pays n’existait pas en 1975 et a cru en moyenne chaque année depuis de l’ordre de 150 000 personnes par an.
Ceci est le résultat de la spirale destructrice que la France a connu depuis 1975 (la fameuse crise, qui n’existe pas dans les autres pays et a été chez nous la conséquence d’une mauvaise politique décidée par nos dirigeants) et qui s’est considérablement aggravée depuis l’euro. Des profits en baisse pour les entreprises, moins d’investissement, plus de chômage et plus de charges et des profits qui continuent à baisser. La baisse récente du chômage officiel de catégorie A n’a pas changé cette dynamique négative.
Le résultat est un sous-dimensionnement de l’économie française, taillée aujourd’hui comme si nous étions 50 millions d’habitants alors que nous sommes 67 millions d’habitants.
D’où le sentiment chez les classes populaires d’être constamment sous pression, de devoir tout compter et de n’avoir aucun espoir d’économiser pour améliorer son existence pour un grand nombre de Français. Ce sentiment s’ancre dans des chiffres précis et un sous dimensionnement de notre économie par rapport à ce qu’elle devrait être. Personne dans la classe politique n’a pris conscience de ce décrochage.
La population française a cru de 30 % en 40 ans, mais il a manqué 30 % de croissance économique à la France pour accompagner cette croissance, tandis que les coûts de santé et de retraite augmentaient encore plus que ce taux démographique.
Que pouvaient faire nos dirigeants ? Avec le recul, le mieux aurait été de ne faire ni les 35h, ni le SME, ni même l’euro dans sa dimension actuelle. L’autre option, aurait de contraindre fortement les salaires pour qu’ils augmentent moins vite qu’en Allemagne, que l’inflation soit plus faible en France qu’en Allemagne afin de restaurer la compétitivité française. Ceci est lent, prend beaucoup de temps et dépend aussi de la politique allemande. Les Allemands peuvent décider à tout moment de contraindre fortement l’augmentation des salaires à leur tour pour empêcher la France de redevenir compétitive.
C’est – avec du retard – cette politique de contrainte sur les salaires que nos dirigeants ont adoptée depuis qu’ils ont compris les problèmes de compétitivité, il y a environ une douzaine d’années. Les Français en connaissent les conséquences, pensons aux enseignants dont les salaires aujourd’hui sont beaucoup plus bas qu’il y a 30 ans, notamment rapportés au smic, et la dévalorisation de cette carrière qui en résulte. Néanmoins, tout le monde est touché, et c’est la politique de désinflation compétitive, sur laquelle les pays européens sont en concurrence, qui est inhérente à l’euro et à la politique allemande et qui a pour inconvénient d’entraîner une sous-croissance globale de l’économie européenne par rapport à celle des Etats-Unis par exemple.
Avons-nous eu des effets de cette politique, malgré les déceptions des Français ?
La réponse est oui. Après des années d’efforts de la part des Français, de souffrances même pour certains ou de désespérances envers un avenir meilleur, la France est redevenue compétitive semble-t-il. Nous disons semble-t-il car il s’agit de quelque chose de difficile à mesurer sur le court terme, tout particulièrement lors des périodes troublées que nous connaissons avec la crise du covid puis l’agression russe en Ukraine. Néanmoins, on peut le voir à l’arrêt de la destruction d’emplois industriels depuis quelques années et l’amorce d’une très lente remontée, ou plutôt d’un faux plateau légèrement croissant. Mais le changement par rapport à la dégringolade continuelle de 2000 à 2014 est clairement visible. On voit cette remontée compétitive aux profits des entreprises françaises, en forte hausse ces dernières années.
Il faut avoir à l’esprit que les profits sont les investissements d’aujourd’hui et les emplois en nombre croissants de demain, donc les baisses de charges et les hausses de revenus de demain.
On le voit également à la hausse de la catégorie A des employés ces deux dernières années, de plus d’un million de salariés. Donc on peut observer que la politique de désinflation compétitive peut fonctionner. Néanmoins, comme nous le disions, la remontée est très lente. L’effet n’est pas aussi puissant que le serait celui d’une hausse de 20 % des salaires et des retraites en Allemagne sur 5 ans que nous préconisions dans notre note de 2019, ou encore plus spectaculaire et puissant que serait l’effet d’une baisse massive de notre fiscalité. On peut aussi observer que cette croissance de l’emploi se fait surtout dans la gamme des emplois peu qualifiés, ce que l’on peut mesurer par la croissance économique qui reste modérée et accompagnée d’une légère baisse de la productivité. Mais cela est mieux que la continuation de la stagnation de l’emploi accompagnée d’une baisse en gamme de la qualification que nous avions connu précédemment.
Néanmoins, les résultats sont fragiles. Cette situation, qui voit la position de la France améliorée grâce aux efforts très durs des Français, est-elle menacée ?
La réponse est oui lorsque l’on regarde les réformes des retraites dans les autres pays, Allemagne, Italie notamment. On voit que l’âge de la retraite y est reculé jusqu’à 67 ans d’ici 2030, ce qui va apporter à ces économies un nombre important de personnes actives supplémentaires, tandis que la France prévoit de le reculer à 64 ans seulement en 2035. Les choix faits par les autres pays vont donc améliorer la compétitivité de ces pays par rapport à celle de la France. En l’état, avec le report à 64 ans en France et 67 ans dans les autres pays, l’effet de cette disparité sur les 7 à 12 prochaines années sera de réduire les coûts unitaires de 7 % environ dans ces pays par rapport à la France, et de 12 % si nous abandonnons cette réforme. La France redeviendra moins compétitive que ces pays, notamment l’Allemagne et rentrera à nouveau dans la spirale infernale qui a suivi les 35h en France et les lois Schröder en Allemagne. À nouveau, une dévaluation pour compenser cela sera impossible puisque notre monnaie est l’euro.
Nous ne disons pas ici que la réforme des retraites est bien conçue dans tous ses aspects ou que l’euro est une bonne chose. Nous disons que la France doit être cohérente.
Etant dans l’euro, elle n’a pas d’autre choix que de faire cette réforme et sans doute d’aller au-delà très rapidement, par exemple en faisant appel à la capitalisation. Sinon, tous les efforts lourds, difficiles et douloureux faits par les Français en termes de contraction des salaires pour que la France redevienne compétitive depuis 10 ans l’auront été en vain. Le fruit de ses efforts sera perdu, la France entrera à nouveau dans une spirale destructrice avec des pertes annuelles d’emplois industriels de plusieurs dizaines de milliers voire davantage. Compte tenu que nous n’en avons plus que 3 millions contre 4.5 millions il y a 30 ans, il est inutile de dire que cette fois-ci l’économie française rentrera en phase terminale, aucune mesure de désinflation compétitive ultérieure ne pouvant parvenir à restabiliser l’économie comme nous l’avons fait ces dix dernières années. On ne peut pas réduire encore nos salaires de 30 % comme nous l’avons fait depuis 30 ans dans une vaine quête de compétitivité régulièrement réduite à néant par des fautes politiques majeures.
Nous devons donc soutenir la réforme des retraites, aussi imparfaite soit-elle. C’est la condition sine qua non de la conservation de la compétitivité française et de la poursuite du retour de notre industrie. Il reste toujours d’actualité comme nous le proposons dans notre note d’exiger des Allemands et des Néerlandais des hausses de salaires et du montant des retraites chez eux afin d’enclencher une spirale positive de croissance en Europe. Mais nous n’aurions aucun espoir d’y parvenir sans réforme. A contrario, nous devons agir en Europe pour que cette réforme des retraites soit accompagnée d’un plan de relance européen afin que les personnes actives en nombre croissant trouvent effectivement un emploi, et que la qualification des emplois en France monte progressivement en gamme afin de redresser le revenu des Français. Ce sera aussi le cas dans tous les pays d’Europe. Cette politique de croissance peut se faire par une hausse des salaires et des retraites dans les pays aux forts excédents commerciaux, mais aussi sous l’impérieuse nécessité de réarmer nos pays dans un monde chaque jour plus dangereux et instable.
La France doit choisir la voie de l’avenir, celui de l’emploi et de la croissance et pas celle de la spirale mortelle du déclin.
Sébastien Laye, Chef d’entreprise et économiste et Didier Long, physicien. Il ont publié ensemble en 2019 et 2021 une série d’analyses sur le sous dimensionnement de l’économie française dans Le Figaro.