La France sera donc restée sans gouvernement durant 67 jours – situation inédite sous la Vème République, et déjà se pose la question de savoir quelle sera la durée de vie du nouveau gouvernement dirigé par Michel Barnier. Celui-ci survivra-t-il à la déclaration de politique générale, à l’adoption du projet de budget ? La censure plane d’ores et déjà sur la tête du Premier ministre – qui sait sans doute, mieux que quiconque, que ses jours (au mieux semaines) sont comptés à Matignon.
Depuis juillet dernier, notre pays est entré dans une profonde crise politique, que l’on peut appeler au choix « crise de régime » ou « crise institutionnelle », peu importe. Pour la résoudre, l’application du « système D », évoqué en titre, semble inévitable.
Pour le politologue, toutes les options doivent être mises sur la table, même les plus improbables, même les plus (démocratiquement) désagréables. On peut en distinguer quatre. Trois relèvent de la volonté présidentielle : la dissolution, la démission et, ce que nous appellerons la mesure de « désaffiliation démocratique » par excellence, le recours à l’article 16. La quatrième en revanche serait imposée au Président : la destitution.
Regardons chacune de ces options légalement possibles.
La dissolution, c’est fait ! Et plutôt mal fait. M. Macron, avec elle, dit avoir voulu une « clarification ».
Traduisons : la transformation de sa majorité relative en majorité absolue pour revenir à la situation de 2017.
Car c’était bel et bien le projet. C’est raté ! Lui, Président, qui, au demeurant, avait dit à plusieurs reprises qu’une dissolution ne résoudrait rien, sinon de ramener à l’Assemblée des blocs minoritaires et donc une ingouvernabilité du pays s’est tout de même lancé dans l’aventure avec les résultats que l’on sait. On doit rapporter ici le précédent de 1995 quand le président Jacques Chirac, sur le conseil peu avisé de son Premier ministre, Dominique de Villepin, avait lui-même décidé de renvoyer les députés dans leurs foyers. Dissolution fort inutile, le chef de l’Etat ne manquant pas de majorité pour conduire sa politique [mais l’on dit – de mauvaises langues sans doute – que la seule motivation de Jacques Chirac à l’époque était de remplacer une majorité trop balladurienne à son goût par une majorité plus chiraquienne].
Ce parallèle des deux dissolutions est en tout cas intéressant car il s’agit, dans l’un et l’autre cas, de ce que l’on pourrait appeler des « dissolutions de confort », donc contraires à la lettre et à l’esprit de la Constitution faisant de la dissolution une arme pour résoudre une crise en cours (et pas pour la provoquer). D’ailleurs, le président Chirac lui-même, lors de sa campagne présidentielle de 1995, rappelait que cette mesure ne pouvait être mise en œuvre que si « la République était en danger ». Ce n’était manifestement pas le cas en 1997, ce n’était pas le cas non plus en juin dernier.
En revanche, il est clair qu’une dissolution en juillet prochain (passée la période de latence d’un an) apparaîtrait parfaitement légitime si crise politique majeure il y avait (même si aujourd’hui M. Macron semble l’exclure).
La démission du président de la République est une deuxième option. Mais elle paraît peu conforme au caractère « mégalothymiaque » d’Emmanuel Macron – qui a d’ores et déjà fait savoir qu’il irait au terme de son mandat. Mais il avait aussi dit, nous l’avons vu, qu’il ne dissoudrait pas. En revanche, ici, il pourrait être contraint de changer d’avis, si les circonstances politiques étaient d’une gravité telle qu’elles rendraient cette décision inévitable.
Le recours à l’article 16 – rarement évoqué – est pourtant une option. Nous avons longtemps déjà évoqué cette question dans les colonnes de la revue pour ne pas avoir à y revenir longuement. Retenons juste que – contrairement à ce qui est dit – cette mesure est facile à mettre en œuvre puisqu’elle relève du seul bon vouloir du chef de l’Etat, lequel n’a pour seule obligation que d’informer son Premier ministre, les présidents des Assemblées et le Conseil constitutionnel. Il lui suffit alors, dans la foulée, d’acter une « interruption du fonctionnement régulier des institutions » pour déclencher cet article qui lui confère, pour le temps qu’il juge nécessaire, les pleins pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire (la menace d’un péril extérieur ne semblant pas une seconde condition indispensable à réunir si l’on en juge par le précédent de 1961 où, soit dit en passant, il n’y avait en réalité aucune des deux conditions réunies). La seule difficulté du Président serait alors de faire accepter par l’opinion une mesure, certaine constitutionnelle, mais, cependant, très, très peu démocratique ! Crier à la dictature n’aurait alors rien d’inconvenant.
La destitution est la quatrième option, initiée par La France insoumise, conformément à l’article 68 de la Constitution. Cette proposition, on le sait, sera prochainement présentée en commission qui déterminera si elle doit ensuite être mise au vote de l’Assemblée ou pas.
Il est clair que, si elle était retenue, la réunion en séance plénière, pour son adoption, de deux tiers des députés et deux tiers des sénateurs, relèverait littéralement des « coulisses de l’exploit politique ».
Mais, quoi qu’il en soit, l’initiative de la gauche radicale n’est pas contestable dans sa légalité.
Une chose est sûre, l’on ne voit pas comment, dans le chaos institutionnel issu de la dissolution, notre pays pourrait échapper à terme à l’une ou l’autre de ces quatre options de notre Système D – voire à une combinaison concomitante ou successive de plusieurs d’entre elles.
Michel FIZE, sociologue et politologue,
Auteur de « Un président a -normal : essai sur la mégalothymia d’Emmanuel Macron » (à paraître aux Editions Perspectives libres, dernier trimestre 2024)
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