
Il faut que les peuples oublient, se purgent, s’abandonnent quand bien même cet enthousiasme ne serait qu’un artifice passager.
Il y a des joies éphémères où la communion semble l’emporter sur la discorde. C’est tant mieux après tout, même si c’est in fine assez relatif au regard de la gravité du monde.
Le foot a ses raisons que la raison ignore, il dit peut-être une part de vérité des hommes dans ce qu’ils expriment de leur volonté parfois d’être en accord, ne serait-ce que l’espace de quelques minutes, avec un ordre aussi instantané qu’indéfinissable. Sentiment d’unanimité, sensation d’adhésion, suggestion d’une identité retrouvée sur la crête d’un duel incertain… Incertaine est aussi la signification de la séquence… et finalement très française comme si cette défaite au goût amer était plus belle qu’une victoire à partir du moment où elle avait frôlé celle-ci, en déployant une combativité inattendue là où tout semblait perdu.
D’où cette impression que la ferveur s’est plus cristallisée pour l’échec de 2022 que pour le sacre de 2017 : Waterloo plus qu’Austerlitz , « la garde qui meurt mais qui ne se rend pas », les légionnaires de Cameron et ceux qui à Diên Biên Phu en 1954 se firent tués sur place plutôt que de céder la moindre motte de terrain… La dramaturgie évidemment n’est pas la même, ce serait là confondre l’essentiel et le superflu, la tragédie et le spectacle, et seuls des inconséquents sans mémoire, ni mesure s’y risqueraient.
Pour autant, le sport opère comme une métaphore en ce sens qu’il peut dévoiler la nature profonde des peuples dans le rapport qu’ils entretiennent avec ce que notre ami Stéphane Rozès désigne sous le vocable d’ « imaginaire »1.
La France, souvent au bord du gouffre, et ce depuis des siècles la scène n’a cessé de se répéter, y trouve les ferments d’un redressement pour contre toute attente et malgré l’apparente apathie générale se régénérer. Au moins cette défaite sportive sur le fil a valeur d’une pédagogie à rebours de toutes lés résignations. A condition toutefois de disposer d’un messager qui rétablisse l’énergie nationale et restaure le pays dans son être, c’est-à-dire dans sa volonté de demeurer souverain.
Depuis la nuit des temps, l’histoire de France regorge de ces époques où « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » pour reprendre le mot du poète romantique allemand Hölderlin. Loin des pesanteurs du quotidien, reste à trouver une voix qui lève le grain de la révolte contre nous-mêmes, contre les fatalités de nos conforts qui ne sont rien d’autres que l’antichambre funéraire de notre disparition, contre les artisans de la banalisation du politique. C’est peut-être ce qu’il faut nous souhaiter à quelques encablures d’une fête qui nous annonce depuis plus de deux millénaires le retour de l’espérance. Très beau Noël.
Arnaud Benedetti
- Stéphane Rozès et Arnaud Benedetti, Chaos – Essai sur les imaginaires des peuples, Cerf, 2022. ↩