Ils sont déterminés, courageux, résistants aux pressions potentielles, ils veillent, avertissent d’un danger, d’un risque éventuel ou d’un scandale préjudiciable, adressent un signal à la société, ils sont les « gardiens de la liberté »… ce sont les lanceurs d’alerte. Ils interviennent au nom de l’intérêt général dans de nombreux domaines tels que la santé, l’environnement, l’éducation, la justice, le nucléaire et la finance. Ils sont les rouages précieux de nos systèmes démocratiques en crise. Systèmes, en décalage par rapport aux préoccupations vé- cues dans la société à un moment où s’accumulent de nouveaux défis (réchauffement climatique, crise sanitaire…). Ils sont des acteurs précieux dans le processus décisionnel et la formulation de politiques éclairées.
Comment agissent-ils au niveau de chaque secteur socio-économique et politique ? Sont-ils suffisamment protégés ? Comment renforcer leur satut pour relever un grand défi : celui d’inventer une nouvelle façon de gouverner ?
Cet ouvrage collectif, sous la direction de Aurélie Bayen-Poisson, Maître de conférences en sociologie, chercheuse à l’EHESS et de Arnaud de Raulin membre de l’Académie des sciences d’outre-mer, professeur émérite des universités, engage une série de réflexions pluridisciplinaires sur la nécessaire contribution active de citoyens responsables, de lanceurs d’alerte pour revivifier une démocratie en crise.
Aurélie Bayen-Poisson rappelle qu’une gouvernance démocratique saine repose sur la transparence et la responsabilité des décideurs, tandis que l’État de droit garantit le respect des droits et des libertés individuelles et collectives ainsi que la primauté du droit sur le pouvoir politique. « Il n’est plus question pour les citoyens des sociétés démocratiques d’accepter que l’intérêt public soit pensé « d’en haut » via des institutions rigides excluant la négociation, le partenariat ou la coopération » insiste-t-elle. Promoteurs d’une citoyenneté novatrice, les lanceurs d’alerte constituent le moteur d’une gouvernance participative et d’une démocratie innovée. Elle illustre son étude par le modèle délibératif taïwanais. Un exemple édifiant : en effet, elle démontre comment par le biais des « civic tech », les étudiants taïwanais ont réussi par un système d’alerte technologique à moderniser la gouvernance politique et répondre ainsi à la détermination de l’île d’être reconnue par la communauté internationale, comme une démocratie pluraliste exemplaire. « Se démarquant ainsi de son puissant voisin au régime autoritaire de la Chine continentale ». À travers cet exemple, elle souligne la nécessité de recourir aux technologies numériques pour sécuriser nos systèmes démocratiques, « en interne en restaurant la confiance d’un peuple en son gouvernement par une politique de transparence et d’inclusion numérique, et en externe en se défendant des attaques exercées par l’expansionnisme des régimes autoritaires dans le monde (fake news, cyberattaques et surveillance) ».
Arnaud de Raulin met en avant la place prépondérante occupée par le problème du réchauffement climatique dans les systèmes d’alerte ; en juriste confirmé, il fait valoir l’importance de l’aspect juridique de la gouvernance écologique et de la lutte contre le réchauffement climatique. Il souligne l’originalité du nouveau droit du climat qui se construit dans un cadre dépassant les frontières, pour une période de longue durée. Ce nouveau droit intègre les anciens concepts du droit de l’environnement (principe de précaution, de pollueur-payeur) en ajoutant des nouveaux principes comme celui de neutralité carbone, les principes d’atténuation, d’adaptation et de résilience. L’analyse des tenants et aboutissants de l’accord de Paris du 12 décembre 2015 et son évolution démontre l’ambition de ce traité de bâtir un nouvel ordre international autour de deux axes principaux : la défense de la planète et le prin- cipe d’humanité puisqu’il conduit finalement à une société de partage et de « biens communs ».
Au même titre que le réchauffement climatique, les systèmes d’alerte dans les autres secteurs constituent aussi des enjeux majeurs de nos sociétés fait remarquer Arnaud de Raulin. De ce fait, le renforcement du statut du lanceur d’alerte devient de plus en plus indispensable. « Avec le droit d’alerte, c’est la relation entre l’État et l’individu qui se transforme. Ce dernier devient le porteur d’un intérêt général qui révèle la violation d’un droit portant préjudice à l’ensemble de la société ». Arnaud de Raulin prend soin de relever la difficulté de trouver le « degré de fiabilité et de légitimité de l’information fournie pour éviter tout signalement qui aurait un caractère calomnieux ». Par ailleurs, il reconnait une dualité des règles quand, pour davantage de prévention, de transparence et de liberté d’expression, deux principes s’opposent : la sécurité d’État et le principe de la liberté d’expression. Nous assistons dès lors aux conséquences de l’exercice de lanceur d’alerte et à la complexité de son statut. L’affaire J. Assange en est une illustration vivante. « Dans le cas de ce procés, l’extradition de J. Assange de la Grande Bretagne vers les États-Unis est un mauvais message aux lanceurs d’alerte… » reconnait Arnaud de Raulin qui ne désespère pas pour autant de l’avenir du statut des lanceurs d’alerte, son évolution démontre le cheminement de la législation vers une plus grande protection. « Cette notion d’alerte en mouvement annonce un renforcement de la vigilance face à des situations de crise et une plus grande stabilité pour la société. La dynamique est lancée par la loi du 21 mars 2022, il faudra attendre un peu pour juger de l’efficacité de cette nouvelle structure » souligne- t-il.
Certains auteurs de l’ouvrage collectif des Systèmes d’alerte et la démocratie rénovée reprochent aux démocraties occidentales de ne pas prendre au sérieux les alertes qui leur ont été envoyées par différents canaux. Elles sont restées sourdes aux demandes des peuples. Il en va de même pour les avis émanant d’autorités sanitaires, économiques, diplomatiques ; ce qui a suscité un mouvement de rejet du système représentatif et un grand nombre d’abstentionnistes au moment des élections. Le manque d’un dialogue constructif et d’écoute ont conduit à mettre en doute l’avenir de l’universalité tant promise du modèle démocratique qui n’arrive pas à se réformer. Nombre de chercheurs préconisent un encadrement, une culture d’alerte et des débats de société.
Cet essai pluridisciplinaire, bien documenté, pédagogique, élaboré par des chercheurs et universitaires de haut niveau, a l’avantage de cerner dans toutes ses dimensions un thème d’actualité qui touche tout un chacun. Promouvoir des systèmes d’alerte est un combat de longue haleine, il n’est pas gagné d’avance face à des lobbies puissants œuvrant sans relâche et des fake news qui brouillent les pistes. Un combat qui mérite néanmoins d’être mené avec mesure, responsabilité et persévérence pour sauver une démocratie en crise et la revivifier.
Katia Salamé-Hardy