Depuis des mois, la France subit le choc exogène de la pandémie résultant de la Covid-19. Ce choc a pris plus de 100.000 vies, désorganisé l’économie et incité l’État à réagir par le truchement d’une politique fortement interventionniste. Comme l’ont écrit, un peu benoîtement et trop rapidement, certains éditorialistes : « L’État a fait le job ! ».
En fait, la sphère publique a réagi de manière décousue, au coup par coup sans bien anticiper la charge budgétaire que générait son flux d’initiatives et de soutien à l’économie. Songez qu’il y a moins de 15 jours que l’on a appris que le futur PLFR ( projet de Loi de finances rectificative ) qui sera présenté ce mercredi en Conseil des ministres comportera un volet de 15,5 Mds de crédits additionnels à titre de nouvelle tranche de mesures d’urgence (Fonds de solidarité, etc).
A ce stade, un point d’Histoire peut s’avérer utile. Bien des auteurs nord-américains ont écrit sur les cycles électoraux et le lien avec la dépense publique.
Le prix Nobel 2018 William Nordhaus a démontré avec succès que les Exécutifs sont fréquemment tentés d’augmenter les dépenses avant les élections au détriment explicite des équilibres budgétaires.
S’agissant de la France, le Président Macron suit objectivement un cap nordhaussien. Ainsi, le déficit budgétaire pour 2021 sera supérieur à celui de 2020 et va atteindre 9,4% contre 9,0% précédemment.
Alors que le Gouvernement persiste à afficher des prévisions de croissance (un peu plus de 5%) que la réalité actuelle dément (- 0,1% réalisé en T1 contre +0,4% prévus mordicus) on a du mal à concevoir que ce soit le seul effet Covid qui signe la dérive des comptes publics. Quel rapport avec les 700 millions du Plan Blanquer pour les enseignants ? Loin de moi l’idée de contester son bien-fondé mais dans la dernière année d’un mandat présidentiel heurté et au bilan contrasté, qui ne voit la belle manip’ préélectorale.
Ce quinquennat et ses petits arrangements de fin de parcours vont nous coûter un « pognon de dingue » pour le profit d’un homme qu’André Bercoff persiste à nommer « le stagiaire ». En 2017, on attendait Kennedy et on débouche désormais sur Harold Wilson et une gestion déficiente.
Ce n’est pas la première fois que la France est en froid avec le chiffre.
L’éminent doyen Georges Vedel enseignait en 1977 que notre pays avait raté sa réponse à la crise de 1973. Il soulignait à raison que l’Allemagne avait édicté un plan de rigueur là où la France vivait autrement et allait même se lancer dans l’absurde plan de relance Chirac-Fourcade de 1975.
Georges Vedel soulignait que la France ne mettait pas « en concordance » l’économie et les sujétions politiques. En ce doux Printemps 2021, son analyse mérite d’être transposée d’autant plus que les plans de relance (européen et national) tardent à se déployer comme si un magicien avait compris qu’il serait heureux que ce retard permette de garantir des fruits électoraux pour le rendez-vous démocratique de 2022.
La France va donc porter un déficit de 220 Mds en 2021 soit plus de 45 Mds que l’année précédente. Notre pays est amoureux de la dépense publique avec une telle fougue que l’on omet un point-clef : les impôts.
Comment voulez-vous financer 220 Mds de déficit alors que les recettes de TVA sont en net repli au point d’atteindre moins de 85 Mds ? Attaché à la constance de mon analyse, je répète ici qu’il est enfantin de rapporter le montant du déficit budgétaire au PIB du pays. Il convient, pour avoir une vision sincère, de rapporter la dépense publique totale, puis le déficit budgétaire pris spécifiquement, aux recettes fiscales.
Un exemple ? notre impasse de trésorerie (220 Mds) que l’aggravation de la dette viendra compenser représente près de 3 fois le montant de la TVA perçue en temps de crise ! Près de 4 fois le montant de l’I.R.
Rapportée à notre potentiel fiscal, l’impasse budgétaire de 2021 sera une vive escarre.
Pour celles et ceux qui considèrent que l’équipe Macron est au top – et c’est leur droit le plus élémentaire à condition d’afficher loyalement leur pavois en cas de prise de parole médiatique – il convient de rappeler que le déficit budgétaire de 2020 s’est élevé à 182 Mds. Là on trouve bien l’effet Covid puisque ce déficit était deux fois plus élevé que son homologue de 2019.
Si la modération du jugement s’impose en 2019, rien ne vient faire accepter la glissade de 2021 comme le montrera, sans doute ni illusion, un futur Avis du Haut Conseil des Finances Publiques (HFCP).
Le temps court et il existe certainement, dans l’Administration de Bercy, des femmes et des hommes du calibre de Jean Choussat (https://data.bnf.fr/fr/12390692/jean_choussat/) pour s’attaquer aux multiples effets d’aubaine que l’ouverture des vannes publiques n’a pas manqué d’induire. Il suffit de voir le seul cas du travail partiel indemnisé et les travaux des collaborateurs de la ministre Borne qui font face à des fraudes manifestes.
Le Président Macron a pris des décisions dans un contexte souvent solitaire et surtout loin d’une juste appréciation de la complexité de l’État. La lecture de récents travaux du Rapporteur Général du Budget au Sénat, à savoir Jean-François Husson (Meurthe-et-Moselle) le démontre.
En fait, il faut repartir à la théorie des systèmes et à la loi du cybernéticien Ross Ashby (https://modules-iae.univ-lille.fr/M23/cours/co/chap02_02.html) qui permet de conclure que la loi de variété requise a débordé le fonctionnement élyséen.
C’est une chose de décider de dépenser, c’est un autre défi que de contrôler le système qui se met ainsi « en marche »…
Par sa dette publique explicite et implicite (engagements hors-bilan), par son impasse de trésorerie au regard de son potentiel fiscal, par le déséquilibre croissant de ses comptes extérieurs, la France serait bien inspirée de trouver, dans son vivier respectable de hauts fonctionnaires financiers une épée digne de celle que fût Guillaume Guindey (https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_Guindey) afin de tracer des pistes et axes de progrès pour casser la dynamique mortifère de la dépense publique.
Pour ma part, je demeure interdit face à l’ampleur des vertiges que génère notre situation budgétaire. Et pour le dire clairement, je ne partage pas l’approche radieuse que veulent nous faire gober les membres de l’Exécutif.
Au rythme où nous allons, l’échéance électorale suprême sera vite prolongée par un délicat calendrier financier dont nul ne peut préfigurer la violence intrinsèque.
Jean-Yves Archer
Economiste, membre de la Société d’Economie Politique