Venus de bords différents, la droite, la gauche, le centre, comment aurions-nous pu imaginer de signer la même tribune ? Certes nous partageons au moins l’accablement à l’idée de la paire de visages qui se dessineront sur les écrans au soir du premier tour. Nous avons voté LR, PS, Centre… puis pour beaucoup Macron. Souvent nous ne votons plus, à moins d’être tentés par les extrêmes.
A droite nous votions pour la prospérité économique, la sécurité des biens et des personnes, la limitation ou la baisse des impôts, l’Etat régalien, une France forte sur la scène européenne et internationale. Nous enrichir humainement, et matériellement, par notre travail, être libres de créer, d’innover et de transmettre à nos enfants valeur et…valeurs.
Qu’avons-nous obtenu, le plus souvent même des élus de NOTRE camp ? Une économie atone, dévoyée, des prélèvements obligatoires et une bureaucratie qui font de cette liberté d’entreprendre une course d’obstacles, dont seuls les grands groupes peuvent sauter les barrières ou changer les règles. Les défis insoutenables d’une mondialisation sans limites, la pression sur la rentabilité à court terme des capitaux propres font du lieu de travail un environnement souvent toxique. Plus personne n’est à l’abri du chômage. Les salariés comme les indépendants voient de plus en plus leur prélèvements sociaux grimper et leur protection diminuer.
La dégradation du système éducatif comme l’explosion de l’immobilier font que nos enfants auront besoin de beaucoup de chance, et d’un grand soutien de notre part, si nous en avons les moyens pour habiter là où ils ont grandi, et ne pas tout simplement dégringoler dans l’échelle sociale. A moins de partir à l’étranger !
A gauche nous avons voté pour une société plus juste, l’emploi, la justice sociale et économique, une économie mieux régulée, un service public et un système de santé accueillants, équipés, efficients, et accessibles à tous, du logement digne, un service public de l’éducation facteur d’égalité, de civisme et d’intégration, une société plus accueillante, le respect des minorités…
Ici encore ce sont NOS élus qui ont fait peu de cas de nos attentes : une société encore plus cloisonnée entre ceux qui sont protégés par leur statut, ou leur fortune, et les autres. Les inégalités à la source sont en hausse, les revenus en stagnation ou en baisse, et l’inflation prétendument jugulée s’exprime dans l’immobilier, renvoyant une part croissante d’entre nous vers les files d’attente du logement social.
Il faut de plus en plus payer de sa poche pour accéder à un enseignement de qualité, faire face à des problèmes de santé chroniques, et même vivre en sécurité !
Les services publics se raréfient dans les territoires, déshumanisés au nom de la numérisation.
Confrontés depuis plusieurs décennies à une désindustrialisation qu’ils contemplent, au mieux, avec fatalisme, NOS dirigeants de gauche ont fait le choix d’abandonner la classe ouvrière ainsi diminuée au RN/FN, pour recruter électoralement d’autres clientèles auprès de « minorités identifiées » auxquelles ils font bien volontiers des concessions, sur la liberté d’expression, la laïcité, l’égalité hommes-femmes, la bioéthique et toutes les valeurs universalistes qui ont fait l’honneur de leurs combats du passé.
Déçus de la droite, déçus de la gauche, pas convaincus par les « centres » qui ont tous servi de canal de recrutement pour l’une ou l’autre des clientèles, beaucoup d’entre nous se sont cantonnés dans l’abstention, et se sont fait à l’idée qu’il ne fallait compter que sur soi-même, que le jeu politique n’offrait aucune perspective, et que seul l’associatif pouvait permettre de réaliser un projet collectif porteur de sens.
En 2017 surgit un candidat jeune aux initiales mobilisatrices : EM = « en marche » : sortir du marasme, dépasser les vieux clivages, relancer une dynamique économique, moderniser le pays pour lui faire rejoindre le camp des gagnants de la mondialisation ! Une économie plus prospère, des entreprises « libérées », un état modernisé, une écologie volontariste et pragmatique.
Qui plus est, des comités citoyens voient le jour dans les quartiers et villages, qui réveillent l’espoir d’une démocratie locale et responsable !
Très vite, nombre d’entre nous deviennent marcheurs, et nos leaders de droite, de gauche et du centre se rallient à cet étendard aux pouvoirs électoraux magiques.
Les Républicains sont écartelés, grignotés par Agir et le RN ; Les Socialistes sont désintégrés. Le MoDem en fusion-acquisition.
Epris de démocratie et de progrès, nous recevons le « progressisme » : ce n’est pas ce qu’on nous a vendu ! Une économie de plus en plus financiarisée, dévoyée, déshumanisée. La solidarité coûte un « pognon de dingue » et laisse dans la rue une pauvreté de fous.
Les institutions européennes de notre incroyable continent sombrent dans une bureaucratie dont seuls les lobbies comprennent les verrous, une inflation normative, des simulacres démocratiques. L’Europe institutionnelle, toute puissante envers nos Etats, se montre impuissante devant les défis de l’environnement, comme devant les menaces géopolitiques internationales.
Plus puissants que l’Europe, des monopoles supranationaux ont forgé les outils d’un pouvoir régalien supranational : données personnelles, régulation et contrôle de l’information, définition de la bienséance, commerce mondial et même monnaie (bitcoin et autre libra..) tout en échappant à l’impôt sur ses marchés les plus lucratifs, dont la France, grâce à une présence dématérialisée !
Macron nous a vendu promis le meilleur des deux mondes : on en reçoit le pire.
Alors on fait quoi ?
Trahis par la droite républicaine, voter carrément Le Pen, malgré cet ADN fasciste et dictatorial que nos parents ont combattu, en essayant de croire à la version dédiabolisée, fille ou nièce ? Ou Zemmour ? Et aller vers un isolement européen, un effondrement économique, des affrontements fratricides, des guerres avec les banlieues qui se termineront, comme toutes ces guerres par des armistices sans paix, des lignes de démarcation, des Gaza intérieurs.
Oubliés par la gauche caviardisée, pour une vraie politique de gauche, sociale, souveraine, voter Mélenchon ? Après tout sa retraite est proche. Il a 70 ans. Les visages souriants de son entourage suffiront-ils à gommer un ADN marxiste et néo totalitaire, et ce qui transpire de cette nébuleuse de groupes intolérants et indigénistes, en mode UNEF, qui pactisent avec un islam clientéliste décomplexé. Sans parler d’un programme économique qui lui aussi fera rapidement de notre pays un Venezuela du Nord.
On peut voter Vert : on les savait dogmatiques dans l’opposition. Au pouvoir on les découvre remarquables dans l’apprentissage de la rouerie politicienne, et rompus à l’exercice d’un pouvoir sans concertation. Qui tout en défendant des non-sens écologiques, se concentrent sur la déconstruction (écriture inclusive, sapins de noël), se moquent des conséquences sociales de leur politique, et s’allient à la gauche extrême là où ils devraient s’en distancier.
On peut aspirer au gaullisme : mais est-il encore représenté par ce parti aujourd’hui fracturé qui en a dilapidé l’héritage, après en avoir oublié la fibre sociale ?
Alors s’abstenir, renoncer ? C’est devenu le choix d’une majorité ! Et pourtant, comment renoncer à l’exercice d’un droit qui fonde la démocratie ?
Nous aussi nous avons des convictions ! Au nom desquelles nous avons voté !
Nous sommes lassés de ce cette culture de l’affrontement, de ces faux dilemmes (prospérité ou justice, disparition de l’Etat ou impôts élevés, travail ou solidarité, liberté ou sécurité, efficacité ou démocratie, le collectif ou l’individuel, la nation ou l’Europe, l’identité ou l’ouverture, l’écologie ou l’économie, …. )
Beaucoup parmi nous sont d’une classe qui, si elle n’accède pas aux privilèges de l’élite, sombrera dans une précarité croissante (santé, revenus, emploi, logement, vieillesse)
La course folle de ce système va vite menacer notre avenir, celui de nos enfants, de notre planète et de notre civilisation.
Il est temps de retrouver une espérance. Et sans renier nos valeurs, pour au contraire les défendre, nous devons nous émanciper de camps qui nous ont déçus ou trahis, identifier d’autres groupes très différents mais avec qui on peut construire sur des fondements communs :
- Justice économique, dignité du travail et cohésion sociale
- L’humain au cœur de la santé, de l’enseignement, de la sécurité et de la protection des plus fragiles, que ces services soient rendus par des acteurs privés ou publics.
- Les solidarités naturelles au service du logement, de l’éducation, de la santé, de l’emploi
- Une idée renouvelée de nation, au sens du vécu, de l’appartenance à des lieux qui ne s’excluent pas mais s’additionnent : quartier ou village, commune, région, pays, Europe, monde…
- Ni statu quo ni fanatisme, par exemple sur les questions d’environnement dont le traitement actuel se fait trop souvent au détriment des gens
- Une éthique de vie dont les limites ne sont pas celles des techniques : la nature comme l’être humain ne sont pas des marchandises.
- L’ancrage de la politique dans le vécu, le quotidien avec des mesures phares concrètes, afin de s’éloigner du technocratisme.
- Et sur le lieu de travail, participation civique et citoyenne dans les entreprises et les administrations.
C’est bien de réanimer ces collectifs qui constituent une nation en effet qu’il s’agit : « seul on va vite, ensemble on va loin »
L’impulsion, l’unité, les repères et le sens doivent néanmoins être incarnés : c’est ainsi dans l’histoire politique de notre « cher et vieux pays » et dans l’esprit fondateur de nos institutions.
Nous devons laisser de côté l’illusion de « l’homme providentiel » venu d’appareils politiques qui ont perdu jusqu’au sens du pays réel. La bonne personne, celle qui se mettra au service d’une refondation, viendra sans doute de ce pays réel, et, tel un entraineur, plutôt que de dire au pays ce qui est bon pour lui, catalysera des énergies pour lui permettre de donner à nouveau le meilleur de lui-même.
Dominique Mounier
Elu Local, adjoint au Maire, Rhône