La lutte contre les violences faites aux enfants est un défi majeur de notre temps. Les chiffres qui mesurent cette réalité sont alarmants. En effet, en France : 1 enfant sur 10 est victime de violences sexuelles, dont 80 % au sein de la famille ; 1 enfant meurt en France sous les coups de ses parents tous les 5 jours1 ; 1 enfant sur 10 est victime de harcèlement entre enfants, phénomène amplifié par leur présence quasi permanente sur les réseaux sociaux qui fait du cyberharcèlement un fléau national2.
Les violences subies par de trop nombreux enfants et adolescents se situent dans un continuum de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Celles-ci peuvent être le fait d’adultes ou d’autres enfants. Elles peuvent survenir dans les différents lieux dans lesquels les enfants vivent ou participent à des activités scolaires ou de loisirs, ou encore dans l’espace public et les transports.
Une consultation réalisée entre octobre et novembre 2020 auprès d’un groupe représentatif d’enfants parisiens a souligné la présence de violences dans leur vie quotidienne. Ceux-ci ont rédigé une Charte parisienne des droits de l’enfant3 dans laquelle ils ont demandé aux adultes de « défendre leurs droits dans six domaines qui leur paraissent les plus importants pour bien grandir et devenir des adultes épanouis et des citoyens responsables ».
Le sujet qui a émergé avec le plus de force est leur demande d’être protégés contre toutes les formes de violences, celles subies en milieu familial du fait notamment de « parents violents » et celles vécues en milieu scolaire et périscolaire à travers « le harcèlement entre enfants ».
Enfin ils ont demandé à être mieux protégés dans l’espace public, aux abords des écoles et dans les transports en commun.
Le cercle familial
La période de crise sanitaire de la Covid-19 a aggravé cette situation. Le confinement décidé par les pouvoirs publics de mars à mai 2020 a malheureusement entraîné une augmentation des violences dans le huis-clos familial loin de tous les regards, comme le démontre l’étude du Pr Catherine Quantin qui révèle un doublement de la part des hospitalisations d’enfants de moins de 5 ans pour violences subies durant cette période comparée aux mêmes mois des années précédentes4. Par ailleurs, alors que les enfants étaient confinés loin des écoles, les signalements des professionnels, comme les assistantes sociales scolaires, qui permettent d’intervenir au plus vite ont de fait notablement diminué.
Ce constat tragique nous amène à rappeler que la famille, dans laquelle l’enfant est censé être le mieux protégé, est pourtant le lieu dans lequel les violences sont les plus nombreuses, allant des violences éducatives dites « ordinaires », considérées trop souvent comme un mode normal d’éducation, à des violences psychologiques ou physiques récurrentes et aussi des violences conjugales dont l’enfant est témoin ou co-victime ; les violences sexuelles qui concernent 1 enfant sur 10 surviennent à 80 % dans le milieu familial. Ces dernières violences sont les moins faciles pour l’enfant à dénoncer et les révélations récentes de Camille Kouchner dans son livre La Familia Grande suivies du tsunami déclenché par le hashtag #metooinceste ont montré que face à ce crime il n’est pas facile pour l’enfant de parler et de faire entendre sa parole, ni de savoir à qui s’adresser. Grâce au courage de toutes ces victimes, des avancées législatives inédites ont été faites en avril 2021 qui permettront notamment à la Justice de mieux punir à l’avenir l’inceste5, reconnu désormais comme un crime, à la hauteur de la transgression qu’est ce tabou universel. Pour prendre en charge les enfants victimes d’inceste, il faut ouvrir des établissements novateurs – il en existe un seul en France – dans lesquels ils pourront se reconstruire et développer une résilience qui leur permettra le jour venu d’être des parents bienveillants. Mais la question si essentielle de la prévention reste un enjeu majeur que nous devrons relever collectivement de façon déterminée.
Le milieu scolaire et périscolaire
Le milieu scolaire et périscolaire, dans lequel les enfants passent une grande partie de leurs journées, n’est pas exempt de violences. Le harcèlement entre enfants est devenu un fléau national aggravé par du cyberharcèlement dans la mesure où les enfants et adolescents sont extrêmement présents sur les réseaux sociaux et quasiment à 100 % depuis la crise sanitaire. La première semaine du confinement, de mars à mai 2020, a vu une augmentation de 30 % des sollicitations du service national de Net Écoute consacré au cyberharcèlement6.
Tous les pédiatres et pédopsychiatres sonnent l’alarme sur l’aggravation de la souffrance psychique des enfants en général ainsi que des dépressions et tentatives de suicide chez les adolescents.
Si de nombreuses mesures législatives ont été votées ces dernières années pour lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement et si l’Éducation nationale a mis en place de nombreux dispositifs, cela ne suffira pas tant que des actes volontaristes ne seront pas pris au niveau européen pour mieux contrôler les plateformes. En attendant, il y a urgence à réunir des États-généraux sur la parentalité et l’éducation des enfants au temps du numérique tant tous les repères éducatifs sont bouleversés, laissant beaucoup de parents et d’éducateurs en difficulté face à des enfants qui échappent souvent à leur vigilance. Par ailleurs, il est important de développer dans différentes villes de France des lieux pour accueillir, orienter et accompagner les enfants et leurs parents confrontés au harcèlement et cyberharcèlement.
Les milieux sportifs ou culturels auxquels les parents confient leurs enfants en confiance ont montré qu’ils n’échappent pas aux violences, notamment sexuelles, comme l’ont dénoncé avec force dans leurs livres la patineuse Sarah Abitbol et Sébastien Boueilh le rugbyman international7. Sensibiliser les professionnels et les enfants dans les clubs sportifs, les conservatoires etc. aux droits de l’enfant et leur donner les numéros d’urgence qui leur sont destinés en cas de problème est indispensable.
Il ne faut pas oublier le cas plus particulier des enfants vivant en établissements sociaux et médico-sociaux (enfants handicapés, enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance, enfants vivant en centres d’hébergement d’urgence). Les études montrent que ces enfants, qui ont des vulnérabilités supérieures aux autres, doivent être sensibilisés à la connaissance de leurs droits fondamentaux et qu’il est essentiel de mettre en place des instances participatives au sein de ces établissements pour faire baisser les violences entre enfants ou avec les éducateurs ; ces derniers devant être tous formés à la gestion du stress notamment dans les établissements accueillant les enfants et adolescents en urgence ou des enfants à troubles importants du comportement. Sur la question spécifique des violences sexuelles, il a été souligné que les enfants handicapés ont une vulnérabilité accrue à ces violences et n’ont pas toujours la capacité de se rendre compte qu’ils en subissent. Concernant les enfants vivant avec leurs familles en centres d’hébergement ou en hôtels sociaux, ils grandissent dans des conditions de promiscuité avec les parents, subissant souvent en direct des violences conjugales. Une attention particulière doit être portée à la sensibilisation de ces enfants à la connaissance de leurs droits et à une meilleure formation des travailleurs sociaux sur la protection de l’enfance.
L’espace public
Enfin, la parole des enfants concernant leur vécu sur l’espace public et les transports confirme la nécessité de mieux les protéger lorsqu’ils se rendent à l’école ou dans leurs autres lieux d’activité. Des marches exploratoires peuvent aider à mieux adapter les villes aux enfants et adolescents, et des sensibilisations spécifiques des agents se trouvant sur la voie publique, notamment les polices municipales, peuvent permettre de porter une attention particulière aux enfants présents dans l’espace public.
Un enfant informé est un enfant protégé
Aujourd’hui la parole se libère et favorise les prises de conscience sur la nécessité d’intervenir au plus tôt pour informer et protéger les enfants des violences subies ou susceptibles de l’être. Toutes les victimes adultes qui ont témoigné de ce qu’elles ont subi dans l’enfance le disent « un enfant informé est un enfant protégé ».
C’est pourquoi il est indispensable que les pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau local, s’attachent à faire connaître à tous les enfants leurs droits fondamentaux inscrits dans la Convention internationale des droits de l’enfant, en allant à leur rencontre dans les établissements scolaires, les centres de loisirs, les clubs sportifs, les établissements de l’aide à l’enfance, les établissements pour enfants handicapés, les centres d’hébergement et hôtels sociaux accueillant des familles avec enfants etc. De même, il est important de leur transmettre tous les numéros et tchats qui leur sont dédiés en cas de danger (le 119 Allo enfance en danger, le 3020 Non au harcèlement, le 3018 en cas de cyber harcèlement) ainsi que les contacts des lieux et personnes ressources auxquels ils peuvent s’adresser en confiance lorsqu’ils se trouvent en difficulté. À cet effet, Paris a créé en 2020 une mission parisienne des Droits de l’Enfant composée de Jeunes Volontaires des Droits de l’Enfant, jeunes en service civique, chargés d’aller à la rencontre des enfants et des adolescents dans tous les arrondissements parisiens. De même un Plan parisien de lutte contre les violences faites aux enfants co-construit avec l’ensemble des partenaires du territoire a été voté à l’unanimité du Conseil de Paris en juin 2021.
Notre responsabilité collective est de tout faire pour protéger les enfants victimes d’aujourd’hui et empêcher qu’il y en ait d’autres à l’avenir.
Pour cela, il est essentiel d’aller plus loin et de développer un réseau de Collectivités françaises et étrangères résolument engagées dans la défense des droits de l’enfant et la lutte contre toutes les formes de violences.
Dominique Versini
Maire-adjointe de Paris en charge des Droits de l’Enfant et de la Protection de l’enfance
Ancienne Défenseure des enfants
- Mission sur les morts violentes d’enfants au sein des familles, Mission conjointe Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale de la justice, Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, mai 2018. ↩
- Enquête de victimation et climat scolaires auprès d’élèves du cycle 3 des écoles élémentaires, réalisée par l’Observatoire international de la violence à l’école pour l’Unicef France, mars 2011. ↩
- Cette Charte a été signée par la Maire de Paris et les enfants le 20 novembre 2020, journée internationale des droits de l’enfant. ↩
- En France, chez les 0 à 5 ans durant la période du premier confinement lié à l’épidémie de Covid-19 : Augmentation alarmante des enfants maltraités physiquement parmi les hospitalisations, Pr Catherine Quantin, Biostatistiques et Informatique Médicale, CHU Dijon, CESP Inserm Paris-Saclay, COST Action européen 19106 ↩
- Le législateur a créé un crime spécifique pour l’inceste, puisque désormais toute relation incestueuse avec un mineur de moins de 18 ans est qualifiée de viol : « Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue un viol incestueux qualifié d’inceste tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait. » ↩
- Estimation du nombre de saisies par les services de l’association E-enfance via son numéro 3018 et son tchat sur netecoute.fr ↩
- Sarah Abitbol, Un si long silence, Plon, 2020 ; Sébastien Boueilh, Le Colosse aux pieds d’argile, Michel Lafon, 2020. ↩