En France, la prochaine échéance présidentielle arrive à grand pas. Emmanuel Macron sera selon toute probabilité candidat à sa propre succession, mais il abordera cette candidature avec un tout autre jeu en main que lors de la précédente élection.
Après avoir été secrétaire général, ministre, puis président, il ne pourra plus jouer la carte de la nouveauté. La tierce de la mondialisation heureuse, des accommodements raisonnables et de l’humanisme bienveillant a grandement perdu de son lustre. L’as du réformateur sera nécessairement joué, mais devant le sentiment de plus en plus prégnant dans la société d’un déclin français, l’idée du changement, voire de la rupture, sera nécessairement portée tout autant par les autres candidats. Le parfum de la séduction sera nécessairement éventé par ces cinq années d’exercice et la martingale de l’achalandage idéologique, via la revendication de la pensée complexe, commence grandement à égarer, voire agacer, une part des français. Enfin la déception inéluctable qui a suivi une arrivée quasi messianique aux yeux de certains, et un mandat marqué par de grands troubles sociaux et le drame de la pandémie, ne pourront que faire douter les français de lui confier à nouveau aveuglément leur destin, sur sa seule personne. Il restera bien sur son joker, celui de l’élection par défaut, face à Marine Le Pen, mais cela ne saurait constituer une stratégie positive.
Emmanuel Macron serait donc a priori dans l’obligation de se définir plus en avant, de proposer un cadre, un horizon idéologique pour son nouveau mandat, que tout à chacun pourrait comprendre et s’approprier.
Mais lequel ? Il n’est pas socialiste et ne soutient pas l’eschatologie de l’égalitarisme, via la lutte des classes. Il n’est pas non plus conservateur, et il ne défend pas l’héritabilité, les rentes et la transmission. Il est productiviste tout en tentant d’en soustraire la dimension de prédation, ce qui définit en creux la place qu’il donne à l’écologie. Il est surtout individualiste, mais tout en voulant préserver la solidarité. Il cultive une affinité multiculturaliste, tout en étant lui-même profondément français. Culturellement, enfant de son siècle, il est américain dans son amour du pragmatisme, de l’initiative individuelle, et de la décontraction, mais sans en adopter le matérialisme et la vénalité. Il est français dans le lyrisme, l’orgueil et la prétention, mais sans non plus sombrer dans l’idéologie et l’égotisme. Il est souvent rapproché du St-Simonisme, de par sa culture technocratique et son projet libéral d’une exploitation heureuse des richesses du monde, via une société hiérarchisée, solidaire et harmonieuse, où l’inégalité monétaire se trouve justifiée par la compétence et les responsabilités. Il lui en manque toutefois certaines composantes, en particulier la transcendance (la déification de la science et des lois physiques) et l’instinct d’effacement qui en découle. Son lyrisme fourre-tout, aux accents évangélistes, tout autant que son haut niveau d’expression orale, cherche avant tout à séduire et impressionner, et n’exprime sincérité et déférence qu’en surface. Enfin, bien que de culture technocratique, on voit qu’il reste ouvert à toutes les compétences, qu’elles qu’en soient leurs provenances, et qu’il ne cultive pas l’esprit de caste. Il n’y a pas non plus chez lui d’esprit de collégialité et il reste toujours le seul centre, en surplomb, de la décision. Ce qui reste contraire à la confraternité et à la dépendance mutuelle des sectes St-Simoniennes.
Les français semblent de plus en plus égarés dans la marche du siècle et probablement qu’ils n’accepteront plus de n’être guidés que par la vista d’un imperator républicain.
Viendra inévitablement le besoin d’un projet commun, dans lequel ils pourraient se projeter et se reconnaitre. Néanmoins, Emmanuel Macron ne sera jamais un homme de programme et d’idéologie. L’indifférence qu’il cultive envers son parti est la preuve qu’il ne cherche pas le legs et la structuration politique. La grande arnaque de l’horizontalité et de la démocratie participative, vendue pendant sa première campagne, est elle la preuve qu’il n’a que faire des projets collectifs. Son abord est de toujours viser une synthèse guidée par sa raison, et le marketing politique, sans jamais tomber dans le piège de la pensée systémique. C’est en cela qu’il est jupitérien, car il reste l’arbitre permanent et suprême de tous ces schémas idéologiques et culturels qui s’affrontent pour gouverner le pays.
Mais d’essence, Macron est avant tout l’incarnation de la volonté de puissance au sein d’un occident devenu d’obédience mercantile. Il est éclairant que l’on fasse sans cesse le parallèle avec Bonaparte, nonobstant les différences évidentes de personnalité, entre le corse bilieux et le picard fardé, l’homme d’action et celui de carrière, le lacédémonien et l’athénien. Les deux hommes sont de fait l’expression de la volonté de puissance de leurs époques respectives, et c’est essentiellement en cela qu’ils sont semblables. L’ère de Bonaparte était vouée à la guerre, celle de Macron l’est à la globalisation marchande. Et le monde semble tourner la page de la mondialisation heureuse et de la fin de l’histoire, pour ouvrir un nouveau chapitre, fait de rivalités entre les nations, les cultures et les systèmes politiques. Macron est idéologiquement un poulpe agile, souple, mobile, capable d’une formidable capacité de camouflage. Et à l’exemple d’Alcibiade, passé d’Athènes à Spartes, il reste tout à fait capable de se réinventer et d’épouser la volonté de puissance de l’ère de la post-mondialisation, dont l’aube pointe à notre horizon.
François-Xavier Roucaut
Psychiatre
Professeur adjoint de clinique à l’université de Montréal