Tous les observateurs du monde agricole, quelles que soient les conclusions qu’ils en tirent par ailleurs, s’accordent à dire que les défis qui attendent l’agriculture française, tant par leur nombre que par leur ampleur, sont tout à fait inédits.
Enseignements COVID et guerre en Ukraine obligent, un cap est fixé à l’agriculture : celui de la souveraineté alimentaire. Toutefois, sa fonction nourricière première s’inscrit dans un contexte complexe et souvent soumis à des injonctions contradictoires : accélération du changement climatique, évolution des modes de vie et de consommation, augmentation des importations, sécurité alimentaire mondiale…
De plus, il est désormais attendu de l’agriculture qu’elle se positionne comme un acteur déterminant dans l’atteinte d’objectifs d’indépendance énergétique et de neutralité carbone, tant français avec la planification écologique qu’européens.
S’il y a bien une chose dont la FNSEA peut attester, dans son rôle de syndicat agricole majoritaire, c’est que l’agriculture française a toujours su répondre présent, au cours des 70 dernières années, pour apporter des réponses efficaces aux défis qui lui sont assignés.
Mais disons-le d’emblée et très clairement : pour tenir le cap fixé pour les prochains décennies, pour engager toutes les transformations et évolutions nécessaires, la Ferme France doit renouer rapidement avec la compétitivité.
Car l’affaiblissement de la compétitivité de l’agriculture française, exploitations comme filières, est incompatible à la fois avec les objectifs de souveraineté alimentaire et ceux de la transition agroécologique et de lutte contre le changement climatique.
Il est également incompatible avec deux autres défis majeurs : le renouvellement des générations agricoles et la réponse à une demande des citoyens vis-à-vis de leur alimentation de plus en plus segmentée.
Le lent effritement de la compétitivité agricole
La Ferme France dispose d’atouts indéniables qui lui confèrent une position enviable dans le monde : des conditions pédo-climatiques favorables, des terroirs diversifiés, des agriculteurs au grand savoir-faire, des filières organisées, la traçabilité, la qualité et la sécurité alimentaire de ses productions…
En matière de compétitivité hors coûts, la France se distingue par son excellence sanitaire et une exigence de qualité qui s’exprime à travers les différents signes de qualité et d’origine, véritable atout compétitif.
Cependant, depuis 20 ans, la compétitivité du secteur s’effrite. De 3ème pays exportateur de produits agricoles et agroalimentaires en 2000, la France n’est plus aujourd’hui qu’au 6ème rang. Les analyses montrent une érosion régulière des parts de marché, surtout dans l’Union Européenne, directement imputable à la faible compétitivité des fermes françaises.
Les importations agricoles et alimentaires représentent aujourd’hui 20% de l’alimentation nationale et ont doublé entre 2000 et 2019, avec un taux de dépendance pouvant dépasser les 50% dans certaines filières. Après des décennies d’augmentation de la production et des rendements, la production agricole ne progresse plus en volume, avec des fluctuations imputables aux conditions climatiques, aux conditions de production, au manque de rémunération et aux orientations politiques prises.
La surface agricole utile (SAU) a diminué de 7 %. En dix ans, d’après le dernier recensement, la Ferme France accuse un net recul des productions animales, de l’ordre de -5,4 points pour les fermes spécialisées en élevage. Le cheptel bovin a perdu 837 000 vaches depuis 2016, et est passé en 2022 sous la barre des 7 millions de bovins.
Au final, la contribution de l’agriculture à la valeur ajoutée de l’économie française est de plus en plus modeste, passant de 18 % au début des années 1950 à 1,9 % en 2019.
Causes et conséquences sur l’évolution de la Ferme France
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : le coût du travail parmi les plus élevés en Europe, la taille des exploitations françaises en-deçà de nos concurrents, la pression fiscale qui ne cesse de s’accentuer sur l’outil productif français, le coût des consommations intermédiaires – énergie, engrais, produits de protection des plantes, alimentation animale – élevé, la dépendance protéique de la France.
Sans oublier les réglementations environnementales plus contraignantes que celles des autres pays européens.
Il existe donc d’importants obstacles aux gains de compétitivité en agriculture. À l’échelle des échanges mondiaux, la production agricole française demeure sous le joug de concurrences déloyales et est insuffisamment protégée par les politiques publiques européennes. Cette concurrence est un frein à l’investissement, car elle grève le revenu des agriculteurs, ce qui retarde la modernisation et le développement des outils de production. La faiblesse du soutien à l’emploi, au recrutement et à la formation, ajoutée à la pression fiscale ralentissent la capacité des entreprises agricoles à s’adapter aux demandes émergentes et multiples….
On le comprend aisément : face aux défis de souveraineté alimentaire, de transition écologique et énergétique, de décarbonation, il est urgent de redonner à la Ferme France de la visibilité et une latitude économique pour réaliser les investissements massifs nécessaires.
De ces investissements dépend la capacité à produire pour nourrir durablement. N’en déplaise à tous ceux qui confondent productivisme et production, n’en déplaise à certaines orientations européennes qui précipitent la décroissance de la production agricole, l’agriculture doit dès maintenant produire plus et mieux, tout en poursuivant la décarbonation de ses pratiques.
C’est aussi sa capacité à produire de la biomasse qui permettra à d’autres secteurs, comme l’énergie ou le bâtiment, de tenir leurs trajectoires d’activités économiques décarbonées. Et le saut d’obstacle est important : en matière de décarbonation, l’agriculture va devoir fournir en 7 ans deux fois plus d’efforts qu’au cours des 20 dernières années.
Les conditions de réussite
Pour renouer avec la compétitivité, pour accélérer la production d’une alimentation durable et pour poursuivre la décarbonation de ses pratiques, le revenu des agriculteurs est central.
Avec les lois EGAlim 1 et 2, des batailles ont été gagnées. Désormais le prix doit se construire en marche avant, avec la sanctuarisation du prix de la Matière Première Agricole. Et sur ce point, pas de retour en arrière possible : il nous faut consolider l’existant pour que la valeur continue à se répartir sur l’ensemble de la chaine de production.
Il n’est pas question de rouvrir un cycle de 20 ans de déflation des prix de l’alimentation, alors que l’alimentation de demain aura un prix qui intègrera les efforts de progrès et de développement de l’agriculture française, ainsi que les services environnementaux rendus à la société et à l’économie française.
L’accès aux moyens de production doit aussi être renforcé, repensé au regard des impératifs de souveraineté alimentaire et énergétique et posé dans une acceptabilité politique et sociale. Contrairement à ce que certains courants dogmatiques voudraient imposer à l’opinion, aucune agriculture ne se fera sans eau.
Nous ne ferons pas non plus d’agriculture diversifiée sans produits de protection des plantes, sans engrais, sans alimentation animale disponible. La pression normative et réglementaire conjuguée aux surtranspositions françaises pour l’interdiction de certaines substances actives amènent à des impasses majeures et condamnent des filières entières. C’est une porte grande ouverte aux importations qui, elles, utilisent les produits qui nous sont interdits. La simplification des procédures et la mise en place d’un environnement de juste et saine concurrence en Europe et en France, par des clauses miroir par exemple, s’impose comme un levier indispensable. Et un effort important doit être porté sur le développement d’innovations adaptées aux enjeux, qui permettent rendement, résilience des exploitations et impact maîtrisé sur l’environnement, tant en production animale que végétale.
Enfin, et parce que l’agriculture repose sur des femmes et des hommes, sa compétitivité est une condition d’attractivité, pour porter le goût d’entreprendre si nécessaire à l’heure où 116 000 agriculteurs préparent leur retraite.
De la désirabilité de nos métiers dépend la création de valeur ajoutée économique et sociale pour des territoires vivants et dynamiques.
À ce titre, le Pacte et loi d’Orientation et d’Avenir Agricoles (PLOAA), devenu PLORGA (Pacte et Loi d’Orientation pour le Renouvellement des Générations Agricoles) constitue une bonne base d’orientations pour la formation et l’installation/transmission… mais n’est en aucun cas suffisante pour être une réelle loi d’orientation agricole…
La FNSEA, syndicats de solutions avec une culture du résultat
À la FNSEA, nous avons toujours préféré l’ambition à la pression, car la réussite de l’agriculture passe nécessairement par une vraie vision d’avenir qui permet un mouvement de fond et de masse.
Or, à ce jour, la seule perspective qui nous est offerte est la surenchère normative, la surtransposition comme seule la France en a le secret. Elle s’engage sur la voie de la fiscalité écologique punitive quand l’agriculture demande des trajectoires d’accompagnement. Les niveaux d’importations alimentaires ne cessent d’augmenter et la France laisse sans réagir entrer sur le territoire européen des productions moins disantes sur la plan écologique que les nôtres… Agriculteurs et consommateurs sont perdants, les premiers dans leurs revenus et leurs capacités d’investissement, les seconds dans leurs attentes d’une alimentation sûre, saine et durable.
La Ferme France n’en peut plus des injonctions contradictoires, des décisions court-termistes ou basées sur une idéologie qui ne prend même pas la peine d’en référer à la science, ni même à la réalité de notre modèle agricole.
C’est pourquoi l’ensemble des réseaux FNSEA et Jeunes Agriculteurs se sont mobilisé en novembre dernier, dans tous les territoires, dénonçant les entraves faites à leurs activités.
Les panneaux de signalétique à l’entrée des villes et villages ont été symboliquement retournés, pour dénoncer les discours qui nous font « marcher sur la tête ».
Cette manifestation fait partie d’un grand mouvement de mécontentement agricole qui s’exprime partout en Europe. Partout se fait entendre un certain ras-le-bol face à des décisions déconnectées de la réalité et de la terre. Ce qui est décrié, c’est l’incohérence entre les discours et les actes dans les Gouvernement nationaux et l’éloignement qui ne cesse de s’accentuer entre les agriculteurs et les centres de décision européens. Il est temps de remettre de la cohérence dans les politiques publiques et d’engager l’Europe dans une perspective réelle de développement agricole !
Arnaud Rousseau
Président de la FNSEA