La clarification à gauche doit commencer ici. Mais la clarification doit être sur tout les fronts et sur tous les sujets. Que dire à Serge Klarsfeld qui, après une existence entière passer à lutter contre l’extrême droite et l’antisémitisme, choisit au soir de sa vie de donner son vote au RN dont les pères fondateurs arboraient tout ce qu’il combattait ? Quel degré de naïveté ou de désenchantement faut-il pour prendre la dédiabolisation du RN pour argent comptant ? Quel degré de confusion et de désenchantement faut-il pour qu’un historien habituellement aussi pertinent que Vincent Lemire fasse un distinguo, dans un récent article du Monde, entre un antisémitisme contextuel de gauche et un antisémitisme ontologique de droite ? Une nuance censée dédiaboliser (tiens tiens !) les Insoumis les moins fréquentables mais qui in fine ne fait que renforcer la défiance envers une gauche qui s’autorise, par le contexte, ce qu’elle condamne chez les autres, par la structure. Le contextuel et le structurel œuvrent toujours de concert, et nul ne devrait s’autoriser, au nom même du contexte électoral actuel, à inventer un antisémitisme à géométrie variable. On peut et on doit vouloir faire barrage au RN sans considérer le Nouveau Front Populaire comme le grand réconciliateur à gauche. On peut et on doit s’interroger sur le fait qu’un tiers des électeurs se soient tournés vers le Rassemblement national sans leur accorder, en guise d’unique réponse, le mépris et le bannissement du cercle des démocrates. Là aussi d’aucuns pourraient évoquer le contexte du déclassement, du déclin et du sentiment d’injustice pour justifier un racisme ordinaire mais pas plus là qu’ailleurs le contexte ne vaut valeur refuge. Toute parole antisémite et raciste doit être dénoncée dès qu’elle apparait. Il faut rajouter ceci : tous les électeurs de la France Insoumise ne sont pas antisémites ; mais une partie d’entre eux le sont ? oui, bien sûr. Tous les électeurs du Rassemblement national ne sont pas racistes ; mais une partie d’entre eux le sont ? oui, bien sûr.
Voilà ce qu’est un contexte, non pas une autorisation et un blanc-seing accordés à la haine mais un moment de l’histoire d’un homme, d’une femme, d’un pays et la seule question qui vaille est : que fait-on de ce contexte ? Pour beaucoup de Français, la réponse immédiate a été de faire barrage au RN. Il faudrait maintenant s’interroger enfin sur les raisons du chaos et du vertige démocratique actuel. Macron a accéléré le chaos dans ce moment pré-olympique et a obligé les Français à se positionner comme pour l’épreuve reine des jeux : A vos marques. Près. Votez ! Mais là où les coureurs craignent souvent les faux départs, les électeurs ont su éviter les fausses symétries (selon l’expression de Thierry Pech dans son édito de La grande conversation) entre le RN et LFI car seul le RN était en passe de tirer les lauriers. Maintenant il faut que tous les dirigeants démocrates de gauche prennent leur responsabilité. La gauche s’unit par intermittence pour éviter le pire mais un jour le barrage finira par céder s’il ne s’accompagne pas d’une autre perspective que lui même. Une urgence nouvelle chasse l’ancienne : empêcher LFI de kidnapper la gauche, pour être à la hauteur de ce que les Français attendent car il est grand temps d’en finir avec les populistes de tout bord. Quant à Macron, une petite chanson commence sans doute déjà à trotter dans sa tête : et maintenant que vais je faire ?
Vincent Millet
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