Chaque vendredi tout au long de l’été, la Revue Politique et Parlementaire publie « Parole publique », une fiction de la fabrique de la présidentielle 2022, adaptée du roman à paraître de Pierre Larrouy Et un jour, il monta les marches jusqu’à demain. Aujourd’hui le septième épisode.
Retrouvez le précédent épisode et la liste des personnages principaux
La campagne est violente, les boules puantes se multiplient. Sa fin est marquée par un attentat islamiste tragique. Des hôpitaux sont pris en otage. Le Président négocie mais une initiative de groupes paramilitaires provoque un bain de sang à Toulouse. Ca va marquer le débat de l’entre-deux tours qui oppose le Général à Olivier Constant, l’ancien Président…
Pendant des mois, nous surveillons les évolutions possibles des sondages et des courbes. C’est une campagne très violente mais, paradoxalement, on a l’impression que les rapports de force sont figés.
Les scores du premier tour ont été sans appel. L’extrême-droite s’est dissoute dans le vote efficace pour le Général. La même dynamique se déroule à gauche.
Le duel attendu entre le Général et notre ticket Constant-Caland aura bien lieu. On est face à un choix net de société.
Tous les soirs, il y a des affrontements durs entre équipes de campagne. On voit apparaître des groupes très préparés qui semblent chercher le coup dur. D’un côté comme de l’autre.
En février, notre moment test, les courbes de désir et d’intention de vote ne se sont pas contredites. Bref, nous faisons la course en tête. Nous sommes confiants.
Les équipes des deux candidats se retrouvent dans le studio de télévision dans lequel aura lieu le traditionnel débat de l’entre-deux tours.
Borde, dans ces contextes, est un chef d’orchestre. Sa réputation pour ses performances précédentes est renforcée par son charisme, lié à sa remarquable expertise dans ce domaine. Il maîtrise, mieux que quiconque, l’organisation de ces événements. Il sait que tout se joue sur un ou deux moments clés.
Aujourd’hui, Borde se montre particulièrement ouvert et disponible. A peine, remarque-t-on un peu d’insistance à demander que soit possible les plans de coupe. Que la caméra puisse filmer les réactions de celui qui est interpellé et pas seulement de celui qui parle.
Trois jours plus tard, tout est fin prêt. Borde accompagne Constant dans sa voiture jusqu’au studio. Ils sont en confiance. Constant a déjà connu la pression de ces instants et s’en est bien sorti.
Les consignes sont claires. Constant va les mettre en pratique, à la perfection.
Tout d’abord, appeler le Général, Monsieur Du Tirrier. Ça n’échappe pas au Général. Ses conseillers avaient dû le préparer. Il réagit, tout de suite :
– Il me semble que vous pouvez m’appeler Général, j’ai acquis le titre pour la France.
– Justement. C’est de la France dont nous allons parler. Général, ça c’était quand vous étiez sous mes ordres et que j’étais votre Président.
Et paf, première baffe, commente Paul devant l’écran de télévision de nos bureaux.
Mais le meilleur reste à venir.
Nous sommes aux deux-tiers du débat, le Général ne cesse d’attaquer Constant sur l’autorité. Le temps est venu de frapper :
– Général, ne vous prenez pas pour un rentier de l’autorité. D’ailleurs, dans votre fonction, vous étiez un intermédiaire de l’autorité. Entre le Président qui l’exerce et les troupes sur le terrain qui ont l’autorité du temps de l’action. Général, s’il suffisait d’un képi pour avoir de l’autorité, nous aurions St Cyr à chaque élection présidentielle.
Le Général, appelé pour la première fois par son titre, a quelques dixièmes de seconde de blanc. Constant va frapper à nouveau :
Général, ne vous prenez pas pour un rentier de l’autorité… s’il suffisait d’un képi pour avoir de l’autorité, nous aurions St Cyr à chaque élection présidentielle.
– A ce propos, Général, devant les Françaises et les Français, vous qui ne parlez que de franchise, de vérité, vous allez me répondre. Est-ce qu’au moment de l’attaque terroriste dans les hôpitaux, devant les avis opposés de vos équipes, vous avez hésité ? A-t-il fallu le dur rappel à l’ordre d’un de vos conseillers pour que vous vous ralliiez au consensus républicain ? Je crois que votre hésitation a ouvert la porte pour le bain de sang de Toulouse.
Le Général est hors de lui :
– C’est une spéculation malhonnête, infamante et…
Il n’a pas le temps de finir.
– Merci Général, ça nous suffit. Je sais que le terrorisme exige beaucoup de sang-froid et de rapidité de décision. Je l’ai vécu ! L’autorité d’un chef d’État, c’est autre chose que de faire marcher au pas un régiment… Essayez-donc de faire marcher au pas les Françaises et les Français, vous ne serez pas déçu !
Le reste du débat est sans aspérités. Le Général attaque trop large. Ça ne peut pas mordre. Il a été touché. Cela se voit et la caméra en saisit les stigmates, dans les plans de coupe.
Virginie avait vu juste, au fond, il est « mou ».
– Et voilà, dit Borde. Encore un scénario gagnant. C’était le plus facile. Un général n’est pas un bon acteur. On l’a piégé sur sa transparence de narcissisme d’autorité. Un képi ne fait pas une bonne image télé. A l’exception du Général, le vrai. Lui n’avait pas à apprendre, il écrivait la forme.
Nous n’étions informés par Borde que depuis trois jours, lors d’un huis-clos tendu. Le Président, qui ne se représentait pas, avait apprécié la solidarité de Constant pendant l’attaque terroriste. Malgré leur contentieux, il l’avait remercié en lui livrant des informations confidentielles sur l’attitude du Général pendant ces heures pénibles. Il n’avait pas précisé comment il les avait obtenues. Constant et Borde n’en demandait pas tant. Sans doute, Constant avait sa propre idée. Il avait été en fonction.
Pierre Larrouy
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Toute ressemblance avec des personnages réels ne pourrait être que fortuite.