Depuis que le mot a été placé en avril 2022 dans la bouche du candidat à la présidence de la République Emmanuel Macron lors d’un discours de campagne, les procès d’intention vont bon train lorsqu’il s’agit de commenter la très généreuse mais controversée proposition de« dividende salarié ».
Les tenants d’un rééquilibrage entre le versement des dividendes et la rémunération variable à consentir aux salariés pour assurer un juste partage des profits sont caricaturés : on leur reproche de vouloir donner une leçon de morale aux patrons, lesquels font valoir qu’ils font leurs meilleurs efforts pour répartir au mieux les richesses créées entre revenus du capital et revenus du travail.
Car les employeurs -dont on oublie au passage de rappeler qu’ils sont dans leur immense majorité des dirigeants de TPE-PME- sont parfois présentés à tort dans le débat sur le dividende salarié comme responsables d’une distribution inéquitable des bénéfices.
En cause, les dividendes distribués aux actionnaires, qui ont atteint l’an dernier un nouveau record avec 80,1 milliards d’euros pour les seules sociétés du CAC 40.
Le débat s’est envenimé et a même menacé de fracturer le monde de l’entreprise. Au point qu’après onze rencontres en quatre mois, les partenaires sociaux se sont bien gardés de faire référence au dividende salarié dans leur accord final sur le partage de la valeur remis au gouvernement le 10 février dernier, laissant à l’exécutif le soin de reprendre la main et à la mission d’information parlementaire, confiée au député Louis Margueritte, la tâche délicate de trouver un point de sortie à cette promesse présidentielle.
Pour ne rien arranger, les tenants du dividende salarié doivent également faire face à l’émergence d’un débat dans le débat, avec les propositions concurrentes d’un « dividende sociétal » et celle encore d’un « dividende écologique ». Une situation confuse qui oblige désormais à trouver une solution sereine et sécurisée et surtout en ne perdant pas le cap par rapport à l’ambition première alors au cœur de la loi « PACTE » (mai 2019) : démocratiser les dispositifs de partage de la valeur dans l’entreprise.
Après avoir consulté largement autour de moi, j’ai acquis la conviction que nous pourrions trouver un point de ralliement très large autour d’un objectif commun de « dividende salarié et écologique » dont la mise en œuvre pourrait viser trois objectifs centraux.
Premier objectif : généraliser les dispositifs de partage de la valeur, quelle que soit la taille de l’entreprise, tout en prenant en compte la situation particulière des très petites entreprises. Pour se faire, il est possible de s’appuyer sur le principe issu de l’Accord national interprofessionnel (ANI) -dont la Première ministre a promis qu’il serait repris dans la loi- selon lequel un dispositif de partage de la valeur au moins devra être mis en place dans les entreprises de 11 à 49 salariés dès lors qu’elles dégagent un bénéfice net supérieur ou égal à 1% du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives. Dès lors que la participation était déjà obligatoire à partir d’un effectif de 50 salariés, il serait cohérent que ce soit ce dispositif qui soit étendu en priorité, l’intéressement restant facultatif.
Si l’on avance dans cette direction, il est donc absolument nécessaire -dès lors qu’on ne fusionnerait pas intéressement et participation, ce qui n’est clairement pas à l’ordre du jour- de redonner une assise solide à l’intéressement.
Car, contrairement à la participation, l’intéressement n’est pas distribué en fonction du résultat net de l’entreprise en fin d’année, mais en fonction d’objectifs et d’indicateurs -pas nécessairement financiers- que l’employeur et les salariés peuvent déterminer ensemble.
Pourquoi, alors que notre économie poursuit par ailleurs un objectif indispensable de neutralité carbone, ne pas dédier l’intéressement à l’ambition de décarbonation des entreprises ? C’est la seconde priorité que je propose pour 2024-2025 au moins : recentrer dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, l’objectif d’intéressement sur l’ambition écologique.
Aujourd’hui, employeurs et salariés ignorent le plus souvent les usages très larges qui peuvent être faits de l’intéressement (intéressement de projet, ou encore critères économiques, commerciaux, sociaux, etc.).
Plutôt que d’essayer en vain de corriger cette lacune qui persiste malgré la pédagogie répétée sur le sujet, clarifions les choses et érigeons plutôt l’intéressement en auxiliaire précieux de notre politique de décarbonation et de transition énergétique, au moment où 26 000 PME industrielles au bas mot devront prochainement entrer dans un parcours bas carbone.
La clarté des objectifs et des instruments mobilisés est le seul moyen de donner un coup de pouce au déploiement des dispositifs de partage du profit, qui ne progresse que très lentement dans les entreprises de moins de 250 salariés.
Dans ces conditions, il convient de se fixer une troisième priorité : mieux articuler les dispositifs de partage de la valeur pour favoriser à terme leur alignement. Une première étape consistera, à compter du 1erjanvier 2024, à prévoir que les bénéficiaires d’une prime de partage de la valeur (PPV) puissent choisir entre un versement immédiat (en espèces sonnantes et trébuchantes), ce qui est déjà le cas aujourd’hui, et un placement sur un plan d’épargne entreprise (PEE). Une option qui présente le gros avantage de faire converger la PPV avec les autres instruments d’épargne salariale et ainsi de retrouver le chemin vertueux, dans la distribution de cette prime pérennisée par la loi « Pouvoir d’achat » d’août 2022, vers une orientation au moins partielle de sa collecte vers le financement à moyen/long terme de l’économie française. Mais je suis convaincu que la cohérence et donc la lisibilité des dispositifs pour les sociétés nécessitera une décision plus forte encore : je propose qu’on réfléchisse d’ores et déjà à une rationalisation autour de la possibilité à compter de l’année 2025 pour les sociétés d’élaborer un « accord global de partage de la valeur », lequel évitera aux employeurs et aux salariés de se perdre encore longtemps au milieu de ce qui est devenu avec le temps une véritable jungle réglementaire.
L’apparition du « dividende salarié » a eu le grand mérite de porter la question essentielle d’une plus juste répartition des richesses créées au cœur du débat public national.
Il est désormais nécessaire de veiller à ce que sa matérialisation prochaine (probablement législative compte tenu du projet de loi « Plein-emploi » qui se profile) fournisse un point d’appui efficace à une triple ambition si légitime de cohérence, de généralisation des dispositifs mais aussi de bonne prise en compte d’une priorité incontestée : la planification écologique.
François Perret
Ambassadeur à l’intéressement et la participation auprès du gouvernement
Auteur de « Non, votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! » (Dunod, octobre 2022)