Jean-Louis Clément a lu S’il n’en reste qu’une, un roman de Patrice Fraceschi paru aux éditions Grasset. Il en réalise la recension pour la Revue Politique et Parlementaire.
Les officiers de plume ont fleuri dans les Lettres françaises. Vauvenargues (1715-1747) demeure le plus connu qui ne se risqua pas dans le roman mais dans la philosophie et la morale. Plus proche de nous, Ernest Psichari (1883-1914), Claude Farrère (1876-1957), Jules Roy (1907-2000), Jean Lartéguy (1920-2011) ont honoré leur corps de leurs talents. Ceux de certains ont bien pâli sous le chaud soleil de l’Histoire au point de ne plus rien évoquer aux générations présentes. Officier de marine, Franceschi est de la même arme que Claude Farrère, au même titre que Pierre Loti (1850-1923) qui manque à mon énumération première. Le parallèle n’est pas de pure convenance car les trois romanciers issus de la Royale imputent à leurs héros un désir de vivre dans le sublime, quêtant une mystique toute temporelle, bien que greffée sur des êtres dotés d’un sens aigu du concret. L’officier de renseignement français amant, au sens classique du terme, de la commandante d’un bataillon féminin kurde, est l’antithèse du Centurion de Psichari qui est à la recherche d’une révélation divine dans le désert de l’Ennedi. Ce récit a suscité des vocations d’officiers de l’armée coloniale comme François Garbit (1910-1941), un ami de Henri Grouès (1912-2000) alias l’abbé Pierre1. Franceschi, en revanche, retrouve l’esprit de l’auteur de L’Appel des Armes (1912) quand il fait de la guerre le révélateur de la personne humaine par sa capacité à être dans l’abnégation et le don de soi, les deux chemins escarpés qui montent vers le sublime.
Dans la veine de Lartéguy, l’auteur pose le problème moral qui hante tout officier français depuis les événements d’Algérie et de la Guerre froide en général voire de la Seconde Guerre mondiale quand les conflits n’ont plus eu pour finalité première la défense ou la conquête d’un territoire mais la propagation ou le confinement d’une vision du monde qui s’incarne par une idéologie et une religion temporalisées ou bien dans la défense ou la conquête d’un espace économique. Le combat du peuple kurde, depuis les fausses promesses du traité de Sèvres de 1920 annihilé par celui de Lausanne de 1923, permet d’associer la conquête d’un territoire national et le refus de l’islamisme dans l’ignorance complète, patente dans ce livre, des champs pétrolifères de cette zone au travers de laquelle il serait possible de construire des gazoducs. Cette nation opprimée prend la place du peuple grec au XIXe siècle auprès duquel Lord Byron guerroya et le combat de l’aristocrate anglais prouva qu’un siècle pouvait être éclairé par l’éclat d’une lame pour la libération d’une nation et le confinement de l’islam turc.
Le colonel français qui démissionne après un premier abandon des Kurdes par les Occidentaux est le reflet de ceux d’Alger du printemps 1958 mais sur un mode mineur puisque le conflit moyen-oriental ne passionne pas l’opinion depuis la fin de l’État islamique et la quasi disparition des attentats aveugles de ces dernières années. Ce romancier militaire retrouve, en particulier sur ce dernier point, toutes les impasses où se sont perdus ses devanciers. En aucun cas, il ne pose la question de la nature de la guerre, de sa licéité et des limites de l’objection de conscience. Dans le cas qui nous concerne, les Kurdes sont des purs et une allusion dans la troisième partie laisse entendre qu’ils peuvent être aussi impitoyables que les Turcs. Pour la défense de ce romancier, il faut dire que les écoles militaires ne brillent pas par l’enseignement de la philosophie et que les aumôniers des différentes religions accréditées auprès du ministère des Armées ne sont pas des théologiens de premier plan. L’ensemble donne une image stéréotypée du soldat, de sa vie, de ses doutes. Le livre vaut par le récit d’histoire immédiate assez bien brossé ancré dans la réalité géopolitique du Moyen-Orient actuel avec des notations qui laissent entendre l’accès à des sources de première main. L’horizon ne s’ouvre pas vers les questions propres à l’objet interne du métier des armes dans des États dont la nature de l’autorité réside d’abord dans l’efficacité économique évacuant la quête du Bien commun.
Patrice Franceschi
S’il n’en reste qu’une
Paris, Grasset, 2021, 236 p.
Jean-Louis Clément
- François Garbit, Vers le plus grand amour – Lettres de François Garbit, Namur, Éditions du Soleil, 1962, 178 p. ↩