Les enjeux mondiaux de l’élection américaine du 5 novembre prochain entre le candidat républicain, l’ancien président, Donald Trump et l’actuelle vice-présidente, Kamala Harris, qui concoure au titre du parti démocrate, sont significativement déterminants quant à la forme que prendra la gouvernance mondiale.
Ce vote est celui qui devrait changer le monde !
C’est aussi le plus imprévisible, depuis que les Etats-Unis élisent leurs présidents depuis 1789, avec l’élection de Thomas Jefferson, élu avec seulement 31 000 voix et 68 grands électeurs !
Démarche « inclusive » et partenariale, à la manière d’un « wilsonisme » solidariste et humaniste, volontiers interventionniste quand la démocratie et l’Etat de droit sont remis en cause, comme en Ukraine, qu’entend réinventer l’actuelle vice-présidente si elle accède au bureau ovale, le 4 janvier prochain ? ou « jacksonisme », populiste à l’intérieur, résolument isolationniste à l’extérieur des Etats-Unis, qui caractérisa une nouvelle occupation de la Maison blanche par Donald Trump, du moins si l’on en juge son style de présidence, entre 2017 et 2021 ?
Ainsi, plusieurs facteurs doivent être pris en compte, tant cette nuit électorale, entre le 5 et 6 novembre prochain déterminera, durablement et profondément les relations internationales.
Il en va ainsi des relations entre Washington et le continent africain, ainsi que celles que les Américains entendent maintenir avec les pays européens et l’Union européenne.
La politique étrangère américaine influence, en effet, les relations avec de nombreux pays, en premier lieu desquels dans son voisinage immédiat : bien évidemment en Amérique latine et l’Europe ; sans oublier les continents « post-atlantiques », à l’instar du continent africain – nouvel eldorado pour l’économie américaine – et le continent asiatique, notamment en Asie-du-Est, où un nouveau « piège de Thucydide », semble conforter la montée en puissance d’une Chine, en quête de parité stratégique et dont le dessein demeure toujours de remplacer les Etats-Unis, comme puissance « cardinale » du monde.
Donald Trump, avec sa vision « America First », également déclinée sous le slogan « Make America Great Again » (MAGA), privilégie des approches unilatérales, qui tendent à privilégier la « démocratie transactionnelle » avec des régimes politiques illibéraux qui peuvent créer des tensions avec des alliés traditionnels de Washington, tandis que Kamala Harris pourrait favoriser un renouveau du multilatéralisme et conforter un retour aux alliances habituelles trans-atlantiques, notamment à travers un renouveau de l’OTAN, tout en prônant l’idée de « construire un avenir inclusif », partenarial, qui pourrait permettre de stabiliser certaines régions toujours en crise, à l’instar du Proche-Orient ou, encore, en mer de Chine, dans la zone Indo-Pacifique.
Les États-Unis jouent, en effet, toujours un rôle clé dans le commerce international, par le truchement de la « dollarisation « de l’économie mondiale et son corolaire de l’extra-territorialité du droit qui l’accompagne.
Les politiques économiques de Donald Trump sont souvent protectionnistes. Ces dernières pourraient affecter les chaînes d’approvisionnement mondiales. Tandis que Kamala Harris pourrait opter pour des politiques plus ouvertes. Cette ambition pourrait atténuer les impacts de la mondialisation sur les économies émergentes.
La gestion des enjeux environnementaux est, par ailleurs, également cruciale. Donald Trump a souvent remis en question le changement climatique, en en niant le caractère anthropique, comme en juin 2017, quand l’alors 45ème président des Etats-Unis décide de retirer les Etats-Unis de l’Accord de Paris, issu de la COP 21 de Paris, en décembre 2015.
Kamala Harris, comme de nombreux membres du Parti démocrate, mettrait, quant à elle, davantage l’accent sur les accords climatiques et des politiques vertes multilatérales, qui aurait comme principale conséquence d’influencer la coopération internationale sur les questions environnementales, et ce, à l’aune de la décarbonisation de l’économie et des attentes progressistes, dans la perspective des 17 objectifs onusiens du développement durable (ODD) de 2030 ou encore de l’agenda 2063 de l’Union Africaine.
Par ailleurs, les positions américaines sur des enjeux cruciaux, tels que le désarmement nucléaire, la lutte contre le terrorisme et les conflits régionaux (comme en Ukraine, où le conflit s’enlise ; au Moyen-Orient, à Gaza et au sud du Liban, où la paix tarde à faire cessez les armes et les morts ; dans le Sahel, où les groupes armées terroristes continuent de combattre des régimes politiques non démocratiques, incapables de juguler le terrorisme et les heurts intercommunautaires, alors que plus 11 500 personnes victimes sont à déplorer depuis 2013) sont déterminantes.
Le 47ème président affectera durablement, également, la manière dont les États-Unis interagissent avec des pays que Washington considère au mieux comme des états faillis (« failed states ») ou des états parias (« rogue states ») comme l’Iran, la Chine la Russie, la Syrie, la Corée du Nord, l’Afghanistan, le Soudan, l’Erythrée, la Lybie, le Venezuela, le Nicaragua ou encore Cuba…
Du reste, les États-Unis exercent toujours un fort « soft power », influençant durablement les cultures, les valeurs et les normes à travers le monde.
Les Démocrates se plaisent, du reste, à rappeler que c’est en « smart power » que les Etats-Unis doivent continuer à assumer un leadership éclairé et engagé. A contratio, les Républicains, ne se privent pas de vouloir imposer un ordre international « américano centré » usant des outils matériels et immatériels dont disposent les Etats-Unis, vis-à-vis de ceux qui oseraient en dévier.
Ce fut là, du reste, l’objet du dernier sommet des BRICS, à Kazan, en Russie, où s’est déployée une narration moins « anti-occidentale » que « non occidentale », en réponse à cette Hubris américaine !
Ainsi, le style de leadership et les valeurs prônées par le président américain qui sortira du vote des grands électeurs, le 5 novembre prochain, peuvent modifier la perception globale des États-Unis.
Cela permettra, soit de favoriser des modèles démocratiques et libéraux, dans une optique partenariale, qui caractérise le parti Démocrate ; soit de créer et creuser davantage un isolement diplomatique, que les Républicains appellent de leurs vœux, dans leur souhait biaisé de se focaliser sur la relance économique intérieure.
Les sujets gigognes à cette élection présidentielle sont nombreux. Les politiques menées par Washington vont également jouer un rôle crucial, tant sur le plan économique que sur celui de la sécurité nationale.
Il en va ainsi sur la technologie – dans le cadre de la montée en puissance et l’accélération de l’intelligence artificielle dans notre quotidien. C’est aussi le cas, avec la cybersécurité – dans le contexte des ingérences étrangères, de plus en plus nombreuses, qui pèsent sur l’avenir de la démocratie représentative.
Il en va aussi, de la régulation des grandes entreprises des industries culturelles et créatives (ICC) du numérique, telles que les GAFAM (Google devenu Alphabet, Apple, Facebook devenu Meta, Amazon et Microsoft) ou NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber), qui représentent, faut-il le rappeler, 1100 milliards de dollars !
On le comprend, les positions de l’un ou de l’autre des impétrants, tant sur les droits humains individuels que ceux collectifs gageant la démocratie et l’Etat de droit, peuvent influencer durablement et singulièrement les politiques américaines à l’étranger.
Une administration américaine plus progressiste pourrait ainsi soutenir davantage les mouvements démocratiques dans des pays autoritaires, comme on le voit, aujourd’hui en Moldavie et en Géorgie, où se jouent une certaine idée de la démocratie, de l’Etat de droit et de la protection des libertés individuelles fondamentales.
Les décisions que prendra, en effet, le nouveau locataire du Bureau ovale, pourraient ainsi avoir des conséquences à long terme pour l’équilibre mondial. L’issue de cette élection d’outre-Atlantique n’est ainsi pas qu’une affaire intérieure. Celle-ci entraînera des répercussions lourdes et durables sur l’échiquier mondial, affectant divers domaines allant des relations internationales au commerce mondial, en passant par les questions environnementales et les droits humains.
Gageons – espérons même – que les 538 grands électeurs américains, répartis dans les 50 Etats qui composent les Etats-Unis, qui détiendront le sort du monde dans leur bulletin de vote, auront en tête cette phrase de Jean-Jacques Rousseau « la liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à ne pas être soumis à celle d’autrui »…
Nous aurons, aussi et peut-être surtout, sur nos deux continents impactés par le vote des 240 millions d’électeurs américains, que sont l’Europe et l’Afrique, à nous poser cette lancinante question, qui revient, tel un « marronnier », tous les quatre ans : pourquoi en sommes-nous encore à dépendre du vote des électeurs du Wisconsin, du Michigan, du Nevada, de l’Arizona, de la Géorgie, de la Caroline du Nord ou de la Pennsylvanie, soit les 7 états pivots (« swing states ») représentant seulement 93 grands électeurs ?
Il serait temps, en effet, de mettre en œuvre concrètement – de part et d’autre de la mer Méditerranée, de l’Atlantique à l’océan Indien et Pacifique – une « autonomie stratégique », trop longtemps marginalisée ou laissée en jachère, qui va, pourtant, de pair avec la prise en compte des nécessaires souverainetés auxquelles aspirent chacun des 193 états qui composent nos nations unies !
Emmanuel Dupuy, Secrétaire national Les Centristes en charge des questions de défense, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)
Luis Filipe Tavares, vice-président du Mouvement pour la Démocratie (MpD), ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Défense du Cap-Vert
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