Après plus 50 ans de mondialisation, on assiste à une nouvelle lecture des relations internationales. Démondialisation ou remondialisation, la question est complètement ouverte.
L’objectif de cette étude est d’analyser les systèmes d’alliance classiques et futurs afin d’évaluer leur processus développement dans la société internationale.
I La remondialisation et l’émergence d’un nouvel ordre international
Le terme mondialisation est un processus continu d’intensification et de fluidité des échanges porté par l’essor des transports et des mobilités (populations, entreprises) et accéléré depuis les années 1970. Il correspond à un libre échange des marchandises, des capitaux et des services entre les différentes parties de la planète. Cette phase de l’économie s’est généralisée au cours des années 1990. Or cette mondialisation pose aujourd’hui des défis de développement, de gouvernance de régulation du commerce international avec la nécessité de le rendre plus équitable.
La remondialisation mise en avant à l’heure actuelle consisterait à concentrer des forces économiques, financières, sociales et industrielles sur un espace géographique ou une région bien définie et se traduirait par un ralentissement des échanges.
Cela constituerait dans le même temps une économie de moyens de transport, d’énergie et de pollution pour les pays concernés. Pour certains auteurs, la mondialisation serait inéluctable et la remondialisation ne serait qu’une nouvelle forme de mondialisation caractérisée par de nouveaux ajustements.
D’un point de vue politique, c’est aussi la remise en cause de la domination de l’Alliance Atlantique et d’un ordre international qui règne sur le monde depuis plusieurs décennies, depuis la signature de l’Alliance Atlantique le 4 avril 1949 par 12 pays occidentaux. Le traité de l’Atlantique peut être désigné par un autre nom l’OTAN.
Nous pouvons constater que le centre de gravité des échanges commerciaux se déplace de plus en plus de l’Atlantique vers l’Asie- Pacifique et en particulier en Chine ce qui implique une nouvelle vision du commerce mondial.
L’Europe tente de freiner cette expansion par une localisation des emplois et une réindustrialisation des économies européennes mais ce mouvement ne peut être que limité comparé aux coûts de production en Asie.
Le plus vaste accord commercial conclu qui représente 30% de la production mondiale a été négocié sous l’égide de la Chine. Le RCEP (Regional Comprehension Economic Partnership) est une illustration de ce changement majeur dans la conduite des relations économiques internationales.
Cet accord qui englobe le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et 10 pays d’Asie du Sud-Est a été signé par 15 pays le 15 novembre 2020 et entré en vigueur le 1er janvier 2022. Il a pour but de créer une zone de libre-échange entre les pays d’Asie et du Pacifique. il prévoit essentiellement une abolition progressive des droits de douane ainsi que la suppression des quotas sur 65% des produits échangés entre ses membres. La RCEP harmonise les règles d’origine, les procédures d’évaluation et les procédures douanières
La directrice générale de l’OMC Ngozi Okonjo-Iweala soulignait que « Nous assistons plus à une « remondialisation » qu’à une « démondialisation ». Par rapport à cette une nouvelle ligne de la mondialisation, la protection de l’environnement et la réorganisation des chaînes de valeurs modifie modifier également les flux commerciaux.
Cet ordre international repose également sur la dimension culturelle et le retour annoncé des États -Unis à l’UNESCO est prometteur.
Cette réapparition des États-Unis au sein de cette grande organisation vise à rompre l’isolationnisme américain et occidental.
Comme le déclarait la présidente française de l’UNESCO Audrey Azoulay : « C’est un grand jour pour l’UNESCO, pour le multilatéralisme ». Ce retour devrait avoir lieu les prochaines semaines et être finalisé par un vote à la majorité des Etats membres sans opposition de la Chine.
Les experts sont partagés quant à la domination de l’Occident sur le nouvel ordre international ces prochaines années même si les Etats-Unis et l’Union européenne ont été conduits ces dernières décennies à mettre en place avec l’Afrique et l’Amérique du sud des accords de libre-échange. Les seules exceptions par rapport à cette pratique indifférenciée concernaient les pays émergents et notamment les PMA. Le système international qui se fonde toujours sur des règles libérales voit émerger des puissances régionales comme la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud.
Ces états en particulier émettent des critiques sévères contre l’Occident et son ordre international autocratique. L‘ensemble de ces états dans le cadre de la constitution d’un monde multipolaire participe à ce mouvement de remondialisation. Les voyages récents effectués en 2023 par les présidents chinois Hu Jintao, du brésilien Lula da Silva et du sud-africain dans ces différents pays témoignent d’une volonté de former des relations régionales et internationales nouvelles.
Il existe des divergence et déséquilibres structurels importants entre les pays du Nord et du Sud à propos des modalités commerciales et de production.
En effet le système international est marqué par un libéralisme asymétrique et une faible participation des pays du Sud à la chaîne de la valeur ajoutée mondiale. Le faible coût du travail dans les pays du Sud conduit au triomphe de la marchandisation et profite au capitalisme mondial.
En outre, il faut noter la suppression des principes du droit au développement qui prenait en considération les asymétries internationales et les différences de développement entre pays.
II La démondialisation et le nouveau contre-pouvoir mondialisé ?
Nous assistons à la naissance d’une nouvelle géopolitique économique, culturelle et climatique avec la même opposition Nord/Sud qu’auparavant. Nous voyons apparaître ici et là des mouvements de contestation en réaction contre les méthodes bureaucratiques et autocratiques des institutions financières de Bretton Woods nées en 1944. Ces organisations avaient été créées pour éviter la crise économique des années 1930 ainsi que les dévaluations monétaires et l’absence d’entente entre les états. Ces critiques viennent surtout des États du Sud. Elles portent notamment sur les choix économiques dictés par le Fonds monétaire international (FMI) aux États en crise, guidés par la logique « laisser faire le marché », à savoir un libéralisme excessif et une rigueur budgétaire venant augmenter la pauvreté.
Historiquement, la contestation de l’ordre libéral international était déjà apparue dans les années soixante-dix et avaient donné naissance à un « Nouvel ordre économique international » et ces résultats furent plutôt modestes.
Un des objectifs de ce mouvement des non-alignés créé en 1961 était le refus de toute hégémonie économique, politique et culturelle de la part des grandes puissances. Le MNA fut le précurseur d’une nouvelle ère avec l’espoir de changer le monde. D’autres instruments appuyèrent ces revendications. Il y eut la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) créée en 1964 dans le cadre de l’ONU qui vise à intégrer les pays en voie de développement dans l’économie mondiale.
Tout en dénonçant « la détérioration des termes de l’échange » la CNUCED vise à intégrer les pays du Sud dans l’économie mondiale de manière à favoriser leur essor.
D’un point de vue idéologique, ce nouvel ordre international s’est enrichi d’un nouvel élément incarné par l’environnement et la protection de la biodiversité. Dès 1972, est organisée la première Conférence mondiale sur l’environnement qui adopte la Déclaration de Stockholm. Ce texte met en exergue les relations développement – environnement comme une des priorités des sociétés nationale et internationale.
Dix ans plus tard, en 1982, dans un contexte géopolitique compliqué, la convention de Nairobi établit une premier bilan des actions entreprises. Puis en 1992 fut organisée à Rio la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement. L’ONU s’est efforcée lors de cette rencontre internationale d’aider les gouvernements à réfléchir à nouveau au développement économique et à mettre fin à la destruction des ressources irremplaçables et à la pollution de la planète. Des textes importants seront signés durant ce sommet et concernent en particulier la Déclaration de Rio et le Plan d’action mondial appelée Action 21. Dans la même année sera signée encore à Rio la convention internationale sur la diversité biologique et en 2010 à Nagoya son Protocole spécifique.
En réalité ce concept de démondialisation s’est bâti fondamentalement par opposition aux effets défavorables du libre-échange et du néolibéralisme. Il prône un ordre économique, social et écologique plus juste ainsi qu’une reterritorialisation de la production.
Cette doctrine qui revendique un nouvel ordre international a été reprise récemment par des responsables internationaux. A l’occasion du sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui a été organisé à Paris le 23/06/2023, le président du Kenya Rutto appelait à un renouveau des institutions internationales et une relance des liens entre pays du Nord et du Sud. Il signalait « que les conditions d’emprunt pour financer notre développement sont huit fois plus coûteuses que celles du Nord… ». De nombreux dirigeants assistant à cette conférence réclament une « transformation absolue du système financier et pas seulement une réforme ». Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI estime que « Le monde est plus riche, mais les inégalités sont énormes. Les plus pauvres sont les plus exposés aux chocs dans un monde multipolaire très divisé » Elle concluait par ce propos qui exprime bien les contradictions du système : « La jeunesse vit dans un endroit mais le capital dans un autre… ».
Parmi d’autres organisations internationales qui soutiennent ce mouvement de démondialisation, figure une nouvelle coalition appelée BRICS. Ce groupe reçoit en particulier les soutiens du Brésil, la Russie, la Chine, l’Afrique du Sud et l’Inde. C’est un groupe de 5 pays qui se réunissent en sommets annuels depuis 2011. Cette alliance est formée principalement de pays émergeants qui ont pour objectif de présenter un nouveau modèle de développement.
Il faut mentionner la percée d’une autre entité internationale dans l’espace international le » Sud Global » composé d’une quarantaine de pays composé spécialement de la Chine, l’Inde, des pays africains (l’Afrique du sud), des Etats d’Amérique latine (Brésil) et d’Asie. Il semblerait également que les principaux pays arabes (Égypte, Arabie Saoudite) souhaiteraient rejoindre ce mouvement mais une certaine réserve demeure en raison de leurs liens avec pays occidentaux. A titre d’exemple, l’Arabie Saoudite a décidé de se « dédollariser » ce qui dénote sa volonté d’indépendance vis à vis des Etats-Unis.
Pour beaucoup, la démondialisation est une notion encore floue. Elle est apparue à l’occasion des débats sur la guerre en Ukraine. Le vote de l’ONU des pays du Sud le 23 février 2022 condamnant l’intervention russe en Ukraine fut une grande surprise. Une large majorité de 141 pays a condamné et demandait le retrait de la Russie en Ukraine. 7 pays ont voté contre et 32 se sont abstenus. Pour certains, ce vote fut le point de départ de la contestation du système international et certains pays (Inde, Afrique du Sud, Brésil) sont en première ligne dans ce combat.
Le « Sud Global » constituerait une vision contemporaine du « tiers-monde » en décalage avec la société moderne. Il désigne un groupe de pays autrefois appelés pays du tiers monde qui rassemble des États du Sud. Ces derniers se considèrent comme les principales victimes des effets néfastes de la mondialisation.
Il existerait des divisions profondes au sein de cette entité entre les pays les plus pauvres et les économies émergentes (cf l’Indonésie, Vietnam…) qui se réclament du libéralisme dans le commerce international. Des experts s’interrogent sur la réalité et l’effectivité de ce concept. Ce « Sud Global » mené par la Chine n’aurait encore rien démontré et que pèse-t-il face à l’économie occidentale? Cette dernière représente plus de 43% de l’économie mondiale suivie de la Chine avec 18,3 %.
Sans doute, les pays occidentaux ne sont plus des références dans les domaines économique, politique et social pour certains pays du Sud mais il ne faut pas sous-estimer leur capacité militaire, économique et leur influence demeure encore importante dans le monde.
Malgré les difficultés actuelles de la Russie dans la guerre avec l’Ukraine, celle-ci avait organisé du 14 au 18 juin 2022 un « Davos russe », un Forum économique avec des Africains, Chinois, Egyptiens et en l’absence de pays occidentaux. Il faut souligner que les ex-républiques soviétiques prennent leur distance face à un pays qui n’a plus les moyens économiques et militaires pour dominer la région. Le passage des pays baltes à l’Ouest se réalise et progressivement l’ensemble géopolitique de la Russie se dissout.
Les institutions internationales sont le reflet d’un système politique international et pour l’instant leur résistance au changement pour une nouvelle mondialisation est assez forte.
On peut regretter la lenteur de l’évolution des institutions internationales face aux évènements internationaux.
Les défenseurs d’une nouvelle mondialisation revendiquent un commerce international plus équitable, une articulation entre finance mondiale et finance du développement, des réformes du FMI et de l’aide publique au développement, une amélioration et une plus grande efficacité des politiques publiques et notamment climatique et enfin la résorption de la fracture Nord-Sud.
Cette absence de progrès comporte des risques de guerre. On estime que plus de 60 pays du Sud ont été en guerre depuis la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. Ces conflits ont plusieurs racines et résultent d’une combinaison de facteurs : échecs de compromis et de négociations, défaillances économiques et pauvreté.
La guerre en Ukraine laissera certainement des traces dans l’histoire des relations internationales et son impact sur la société des nations est prégnant.
Avec la montée de nouveaux acteurs, une carte géopolitique moderne semble se dessiner mais ses contours restent encore imprécis en raison des incertitudes liées à la guerre.
Entre les tenants de la remondialisation et ceux de la démondialisation, il pourrait exister une troisième voie sans doute plus pragmatique et pacifique qui serait celle du dialogue et des négociations qu’il s’agisse des dossiers concernant la guerre en Ukraine, Taïwan, le développement des pays du Sud, le climat et la protection de la biodiversité. La coexistence pacifique plutôt que le désordre mondial est la priorité des dirigeants internationaux dans ce monde de plus en plus fracturé. Les Américains et les Chinois doivent apprendre à discuter entre eux sans que le moindre désaccord puisse déclencher la troisième guerre mondiale.
Arnaud de Raulin
Professeur émérite des universités