Si ces deux acteurs résident au Moyen-Orient, la messe fut concélébrée- urbi et orbi- à Beijing. L’histoire jugera s’il s’agit d’un épiphénomène ou tout au contraire d’une révolution copernicienne ne faisant que couronner une tendance lourde. Au Moyen-Orient, l’on ne compte plus les retournements d’alliances tant cette région est peuplée de Iago au petit pied.
Quant à la pactomanie de Dulles, l’on sait ce qu’il en advint. Oui, mais cette fois-ci les choses se présentent sous un jour quelque peu différent. Dans cette pièce, le parrain est chinois, sa cathedra est à Beijing où le fils du Ciel , monseigneur Xi Ji-Ping fulmine sa bulle « Cum Universi ».A Beijing: « L’on ne touche pas impunément les fesses du tigre. »
Pour d’aucuns ce rapprochement sonne comme un véritable coup de tonnerre, pour d’autres il sonne le glas de leurs espérances. Il est aussi un camouflet infligé à certains, engoncés dans leurs certitudes, et qui illustre un aveuglement scellé à bord d’un navire.
Ce revers frappe de plein fouet les wishfull thinking de certains leurs voisins.
Mais il est surtout une leçon magistrale pour ceux qui avaient enterré- un peu trop rapidement- les causes relevant des seuls intérêts économiques et stratégiques pour privilégier – outre mesure- les dimensions religieuses et idéologiques qui charpentent bien évidemment aussi, les conflits dans cette région si fragmentée et si souvent fracassée.
Privilégier pour éviter de traiter la réalité en face. Car dès lors que l’on hypertrophie les problèmes religieux et identitaires, l’on justifie- avec une bonne conscience puérile- l’impossibilité voire l’utilité de certains compromis.
Nouvelle architectonie stable et porteuse d’espoir pour d’aucuns et d’inquiétude pour d’autres, et qui après moult coups de théâtre serait relaps à la satisfaction de ces derniers.« Les grâces du ciel que l’on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. » 1
L’on nous permettra de paraphraser Saint-Just en écrivant « Qu’aurons nous fait de ce bouleversement quand il aura frappé comme un coup de tonnerre. »
Edgar Faure disait avec sa finesse coutumière : « Il y a des politiques sans chance, mais il n’y a pas de politique sans risques. »
Nous tâcherons donc de rechercher et d’expliquer les signes avant-coureurs de ce rapprochement pourtant si prévisible et d’ailleurs est-il vraiment pérenne ?
Puis nous verrons en seconde partie quelles en sont les conséquences stratégiques ?
L’on pourrait également citer notre cher Thucydide qui eut cette fulgurance dans la Guerre du Péloponnèse :
« Les Corcyreens se déclaraient en outre prêts à s’en remettre à l’Oracle de Delphes, ajoutant qu’ils voulaient éviter la guerre, mais que s’ils ne le pouvaient pas, ils se verraient de leur côté forcés de remplacer leurs amis actuels par d’autres, en s’adressant, pour se faire aider, à des gens avec lesquels ils ne tenaient pourtant pas à se lier. »
Le Parodos
A ceux qui n’ont pas su, ou voulu voir et appréhender les enjeux, il leur eût suffi de lire le maître livre de Maurice Gourdault-Montagne, plusieurs fois Ambassadeur dans les postes les plus prestigieux, Conseiller diplomatique du Président Chirac et ancien Secrétaire Général du Quai d’Orsay pour comprendre que les autres ne pensent pas comme nous. Un peu d’intelligence ne messied point.
Si l’on acceptait cette idée, alors il y avait de fortes possibilités que l’alliance américano-saoudienne, qui était fondée sur le besoin de sécurité de l’Arabie Saoudite face à une menace soviétique et sur un appétit féroce et insatiable d’hydrocarbures des Américains, ne résisterait pas à la double évolution de l’éclatement de l’empire soviétique et du développement foudroyant du gaz de schiste américain.
Que ces deux ciments vinssent à se fissurer et l’intérêt que se portaient mutuellement les deux partenaires, perdrait de sa force adamantine.
Que ceux qu’un tel emboîtement- on évitera encore par précaution le mot réconciliation- préoccupe, inquiète, angoisse et assiège leurs convictions si naïves, nous nous permettons de leur rappeler que les autres non seulement ne pensent pas comme nous, non seulement ont des intérêts divergents mais qu’en outre leurs intérêts sont légitimes et surtout tout aussi légitimes que ceux des Occidentaux.
A la décharge de certains, le signal pouvait- certes- être amphigourique tant Erdoğan nous a habitués aux volte-face qui ressemblent à celles d’un vieux couple.
Si bien entendu nous ne saurions nier le poids du facteur religieux dans cette contention, l’on rappellera utilement que la Turquie soutenait activement, dans sa volonté de retrouver une politique hégémonique ottomane, les Frères Musulmans et bien entendu l’Égypte de Morsi.
Affirmer que Morsi n’était pas en odeur de sainteté à la Mecque ou à Médine relève de l’understatement.
En 2016 le président iranien se rend en visite officielle au Koweït où il rétablit leurs relations diplomatiques et économiques. En 2022, l’Iran renoue des relations diplomatiques avec les UAE. En juin 2022, pour parachever ce même ballet, MBS entame une tournée en Égypte, en Jordanie, et en Turquie. Ce périple était bien entendu le point d’orgue. Et l’étape turque est particulièrement intéressante car la Turquie supportait les Frères islamistes que combat l’Arabie Saoudite avec la dernière énergie. Les relations entre la Turquie et l’Arabie Saoudite n’étaient donc pas à leur zénith. Mais en juin 2022, MBS renoue avec la Turquie d’Erdogan. Cet épisode visait à rétablir : « une nouvelle ère de coopération » 2.
Même les Américains, à qui il arrive aussi -parfois- de ne pas faire montre de cécité arrogante avaient tenté dès 2021 un replâtrage entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Cinq rounds de discussion furent- comme l’on pouvait s’y attendre- couronnés d’échecs et d’insuccès.
La rupture entre l’Arabie Saoudite et l’Iran intervint en janvier 2016. L’Arabie Saoudite d’obédience sunnite, exécuta Nimr al Nimr, chef religieux chiite. En retour, l’Iran pays qui se montre particulièrement chatouilleux dès lors que l’on s’attaque à un chiite, organisa des manifestations contre l’Arabie Saoudite, attaqua et incendia l’Ambassade saoudienne à Téhéran. Ce qui est une fâcheuse habitude au pays des mollahs.
Enfin dernier facteur, l’Iran soutient le gouvernement du boucher Bachar al-Assad en Syrie alors que l’Arabie Saoudite soutient les rebelles sunnites syriens qui veulent renverser ce même boucher. Last but not the least, l’Arabie Saoudite voulant- elle aussi- montrer ses muscles- étançonne le gouvernement yéménite à la tête d’une coalition comprenant certains pays du Golfe alors que l’Iran eut la bonne idée de lui rendre la pareille avec les rebelles houthis, ennemis jurés de l’Arabie Saoudite.
Ajoutons que l’Arabie Saoudite considère le Yémen comme sa profondeur stratégique. Conflit qui, rappelons-le, où 377000 yéménites ont déjà perdu la vie et pourtant aucune issue ne semblait se profiler. Ce qui bien évidemment irrite au plus haut point l’Iran.
Peu de localités auront aussi bien porté leur nom : Bab-el-Mandeb signifiant littéralement « la porte des lamentations ». Au demeurant, il n’est pas nécessaire de rappeler l’importance vitale de ce couloir maritime stratégique. En face du Yémen se trouve Djibouti, aussi surnommé le Disneyland des bases militaires. Djibouti si prisé par tant de pays ! Le fait que la Chine y jouisse aussi de sa propre facilité ne doit rien au hasard.
Enfin cerise sur le gâteau, dans le conflit pichrocholinesque qui opposa l’Arabie Saoudite au Qatar, l’Iran et la Turquie furent des soutiens actifs du Qatar.
Embrassons-nous Folleville!
Notons surtout qu’aucun des protagonistes ne réussit à imposer sa victoire au Yémen alors que ce conflit grève lourdement leurs finances.
La première visite de Xi Ji-Ping en Arabie Saoudite remonte au 19 janvier 2016 suivie d’une étape en Iran et en Egypte. En mars 2019, il participe au sommet de la Ligue Arabe et il se rend à nouveau en Arabie Saoudite. Xi s’achemine à nouveau à Riyad en décembre 2022.
Cette visite fut particulièrement intéressante et instructive. En effet le Roi Salman et son fils Mohammed lui organisèrent en sus de leurs rencontres bilatérales classiques deux entretiens avec le Président Egyptien, le Roi de Jordanie ainsi qu’avec les dirigeants du Conseil de Coopération du Golfe.
L’on peut qualifier de stratégique la signature d’un accord de recherche entre Aramco et Sinopec qui se concrétise par la création d’un gigantesque hub pétrolier a Yanbu qui pourra stocker 10000000 de tonnes de barils de pétrole.
En 2017, le Roi Salman se rend à Pékin où il signe notamment des accords de défense. En février 2019, c’est au tour du Prince héritier MBS de se rendre à Beijing. Il y signe des contrats d’une valeur de 28 milliards de dollars, mais dès 2016 la Chine surclasse les USA comme premier partenaire commercial de l’Arabie Saoudite.
Parallèlement et de manière tout aussi intéressante, Xi Ji-Ping se rend à Téhéran en janvier 2016, puis en 2020 où il retournera à nouveau en Arabie Saoudite. En 2020, Xi Ji- Ping signe un contrat de coopération stratégique avec l’Iran pour une durée de 25 ans pour un montant de 400 milliards de dollars. Il couvre tous les secteurs y compris celui de la défense. En 2020, Chine et Iran procédèrent à des manœuvres navales communes dans le Golfe d’Oman et dans le détroit d’Ormuz. Certes, l’Iran pratiquait déjà ce type de manœuvres avec la Russie et même avec l’Inde pourtant membre du Quad.
En 2019 Rouhani se rend à Beijing, et le nouveau président iranien Ebrahim Raissi est en visite à Beijing en 2023.
En 2018, l’Arabie Saoudite devient membre observateur de l’ O.C.S et a demandé officiellement son adhésion le 30 mars 2023. L’Iran est également observateur depuis 2005. Leurs adhésions pleines et entières ne sauraient tarder.
Ajoutons pour faire bonne mesure que l’Iran fait tout de même l’objet d’un triple niveau de sanctions, onusienne, américaine et européenne. Dernier épisode de cette longue chronologie, la signature à Beijing entre les trois partenaires consacrant la normalisation de l’accord du 10/03/2023.
Notons également que le 17 Avril 2023, l’encre de l’accord étant encore fraiche, le nouveau ministre Chinois des Affaires Etrangères a tâté le terrain en appelant ses collègues Israélien et Palestinien.
Certes nous reconnaissons bien volontiers qu’il est toujours plus facile d’expliquer ex-post pourquoi et comment les événements, même les plus imprévisibles, surgissent ; mais lire une carte et retenir certaines- pas toutes -leçons de l’Histoire est un exercice salutaire et nécessaire. La politique étrangère consiste aussi à analyser les intérêts des autres et surtout anticiper leurs aspirations. Renan nous a d’ailleurs également appris que : « La bonne politique n’est pas de s’opposer à ce qui est inévitable, la bonne politique est d’y servir et de s’en servir. La politique la plus intelligente, consiste à suivre le mouvement de ce qui est inévitable, de s’y adapter, de l’accompagner, de le tempérer plutôt que de s’efforcer de le combattre. » 3
Parmi les premiers surpris, désillusionnés et inquiets figure bien entendu au premier rang, Israël. Pour Israël, il s’agit d’un véritable tsunami dans sa vision stratégique.
Ainsi l’ancien responsable du Shin Bet Avi Dichter confirme: « I admit we’ve all been surprised” by Iran’s new alliances, “alliance with China, agreements with the Saudis, agreements soon with the Gulf states.” 4
Pour dire le vrai, nous avons main chapîtres vus et nous n’avons point été surpris par celui-ci. Nous avions eu l’occasion d’exprimer notre opinion à ce sujet auprès d’officiels saoudiens il y a deux ans. Il eût suffi de prêter attention aux propos tenus par le président Obama :
“The competition between the Saudis and the Iranians, which has helped to feed proxy wars and chaos in Syria and Iraq and Yemen, requires us to say to our friends, as well as to the Iranians, that they need to find an effective way to share the neighbourhood and institute some sort of cold peace,” 5
Les Saoudiens se sont montrés en l’occurrence d’excellents élèves. On a moqué plus que de raison la formulation- peut- être comme à son habitude- un peu trop intellectuelle et condescendante, pourtant Obama avait réalisé un constat impeccable et en avait tiré les leçons pour les deux protagonistes.
Obama n’avait fait que pointer que chaque pays a ses propres intérêts dont il veut demeurer le maître. Obama était donc parfaitement dans la cohérence de sa pensée puisqu’il avait, répondu en 2009, lors d’une conférence de presse : « I believe in American exceptionalism, just as I suspect that the Brits believe in British exceptionalism and the Greeks believe in Greek exceptionalism”
Au fond ce rapprochement correspond à la réalité de la géographie. Penchons-nous également sur le Mémorandum désormais déclassifié du NSC du 7/11/1970. Certes celui-ci date de l’époque du Shah, Khomeiny certes enflamment le monde avec ses cassettes à Neauphle le Château. Pour autant les tendances lourdes de la politique étrangère d’un pays demeurent bien souvent identiques à quelque kappi près, passées les premières convulsions paroxystiques. En outre pour beaucoup au-delà des rodomontades et bien sûr dans le cas de l’Iran des actions terroristes, l’Iran garde une certaine rationalité.
« The President has approved
1. Approved a general strategy for the near term of promoting cooperation between Iran and Saudi Arabia as the desirable basis for maintaining stability in the Persian Gulf while recognizing the preponderance of Iranian power and developing a direct U. S. relationship with the separate political entities of the area. »
En somme les Saoudiens ne font que reprendre à leur compte ce que Zulfikar Ali Bhutto, ancien Premier Ministre Pakistanais, avait si juste judicieusement déclaré lors de l’Assemblée Générale de l’ONU en 1971, ce qui notons au passage ne lui évita point d’être pendu en 1979 par son successeur Muhammad Zia -ul Haq: « The United States fails to understand that we cannot be allies at the expenses of our interests. »
Il peut- parfois- être utile d’entendre ce que les leaders affirment. Il serait donc exagéré de prétendre que ce triple salto diplomatique fut exécuté de façon inattendue et brusque. Tout laisse penser au contraire qu’il s’agit là d’une parfaite volition dont les mouvements correspondent à un ballet parfaitement pourpensé et minutieusement préparé.
Ajoutons aussi que les relations américano-saoudiennes se dégradèrent lors de l’invasion américaine en Irak en 2003.
Au forum de Davos en 2022, le Prince et ministre des Affaires étrangères d’Arabie Saoudite Faisal bin Farhan al-Saoud déclare qu’il souhaite aller plus loin dans le rapprochement et que les progrès ne sont pas suffisants.
L’Iran avait dit de son côté auparavant : “Iran is ready to continue these negotiations until reaching an outcome, provided that the Saudis are willing to continue the negotiations in an atmosphere of mutual understanding and respect,” 6
Dans la corbeille de la mariée, l’on a vu, depuis le 10 Mars, éclore les premiers fruits de cette union résultats dans le conflit du Yémen avec un premier échange de prisonniers entre l’Arabie Saoudite et les Houthis soutenus par l’Iran. Ryad cherche désormais un cessez-le-feu permanent. Bien entendu, même si Oman était l’honest broker de ces négociations, celle-ci n’ont pu avoir un commencement d’exécution que parce que les deux protagonistes avaient enterré à Pékin la hache de guerre.
Les Stasimons
Ce rapprochement est à l’image des poupées russes. Il est à plusieurs niveaux qui s’emboitent si parfaitement.
Conflit entre l’Iran et l’Arabie Saoudite lui-même composé d’un conflit géopolitique organisé autour d’une primauté pétrolière, d’une hégémonie régionale et d’un contrôle des détroits. A cela s’ajoute un conflit religieux chiite versus sunnite. Il n’oppose pas deux Etats arabes mais un Etat arabe à un Etat perse.
Un conflit où les peurs sont non pas de même nature mais tout aussi fortement représentées. L’Iran dispose d’une population de 83.000.000 d’habitants, l’Arabie saoudite de 35.000.000. La superficie, la géographie et la richesse du Royaume lui assurent une profondeur stratégique et un leadership sur ses voisins hormis le Qatar. L’Iran lui est entouré d’une quinzaine de pays, ce qui ne peut qu’exacerber son complexe obsidional d’où son accès désespéré au nucléaire, accès qui n’est pas né avec la dictature de la mollahcratie.
Afin d’éviter de simplifier le contexte, ajoutons que ce conflit s’inscrit dans une rivalité russo-américaine se muant en rivalité sino-américaine. Paradoxalement à ce stade, ni Israël ni la Palestine ne sont parties prenantes dans leur castille.
Ayant dressé le parodos, examinons les stasimons de cette pièce qui vont déterminer le rapprochement irano-saoudien. Les Américains étaient acceptés et autrefois désirés, voulus comme un Deus ex Machina en Arabie Saoudite. Ex machina régalien et poumon économique ! Notons que jusqu’au renversement du Shah, il en fut de même à Téhéran.
Si Washington a longtemps joué à domicile à Ryad, la réciproque est tout aussi vraie. L’ambassadeur Turki bin Fayçal Al Saoud fut une des figures les plus influentes certes les plus recherchées à Washington. Le lobby saoudien était le plus puissant à Washington. Son prédécesseur, le Prince Bandar ben Sultan y fit merveille durant vingt-deux ans ; il y fut une personnalité incontournable.
Ainsi malgré l’opposition virulente d’Israël et du lobby israélien, Ronald Reagan imposa la vente des avions AWACS à l’Arabie Saoudite.
La relation qui liait l’Arabie Saoudite aux USA relevait, mutatis mutandis, à celle qui liait autrefois les USA à la Grande-Bretagne. Toutefois cette relation spéciale se fissura le 21 décembre 1962 à Nassau lorsque Kennedy mit fin aux velléités d’indépendance nucléaire britannique.
Ce à quoi nous venons d’assister à Pékin est le dernier acte mettant fin à la relation spéciale américano-saoudienne. Il se tint non pas à Nassau mais à Beijing.
Il est difficile de dire avec certitude qui est l’initiateur de cet éloignement progressif. Comme souvent il a deux architectes et un metteur en scène.
Il est deux facteurs décisifs et structurels. Le New Pivot constitue le premier, la rupture unilatérale du JCPOA le second. Les autres facteurs sont simplement contingents. Le New Pivot décidé par Obama signifiait un changement des priorités stratégiques des USA vers l’Asie. Mouvement certes intelligent mais qui rétrogradait dans l’agenda, l’Europe et le Moyen-Orient. L’Arabie saoudite crut se retrouver orpheline quand le vent d’Est souffla. Le New Pivot eusse-t-il pu davantage tenir compte des habitudes et attentes saoudiennes? Non erat his est locus !
L’Arabie saoudite s’estima elle injustement délaissée et si peu récompensée de sa fidélité envers son allié et protecteur. L’on peut en discuter. Il n’empêche. Les Américains furent ils victimes- une fois de plus- de leur arrogance en tenant pour compte les représentations saoudiennes de négligeable ?
Sans doute. Plus probablement ces trois explications se complètent. Toujours est-il que face à la suffisance américaine, l’Arabie Saoudite s’était estimée inexpugnable dans la forteresse de son alliance datant de 1945. Le pacte de Quincy a résisté à bien des tempêtes, mais il n’était pas totalement aberrant de penser qu’il se fissurerait un jour par gros temps.
Et finalement les Saoudiens furent victimes d’une trop grande confiance ou d’une trop forte assurance. Ce faisant, ils ne firent que se couler dans le moule du syndrome si parfaitement analysé par le brillant intellectuel Henry Kissinger dont les propos désormais insupportables et parfaitement honteux à propos de l’Ukraine ternissent à jamais sa stature. : « Dans les systèmes d’alliances, les membres les plus faibles ont de bonnes raisons de croire que le plus puissant a un intérêt primordial à les défendre ; il s’ensuit qu’ils n’éprouvent plus le besoin de s’assurer son soutien en souscrivant à sa politique. » 7
La suite des événements ne fit que confirmer la justesse de cette vision et surtout la nouvelle orientation de la politique étrangère saoudienne.
Pour autant l’Arabie Saoudite n’entend pas se priver du parapluie sécuritaire américain et elle se garde bien de dénoncer le pacte. D’ailleurs l’on ne voit pas, rebus sic stantibus, qui le pourrait.
Rebus sic stantibus, les choses finissent pourtant toujours par évoluer.
Pour le moment l’Arabie Saoudite- sauf sur le plan pétrolier- ne pratique pas le Floor- Crossing, elle se contente d’abord de ce que les anglo-saxons appellent en langage diplomatique un wee-feeling avec la Chine et l’Iran. Dans ce jeu où elle excelle, elle pratique le gradual turning of the screw.
La Ve Flotte continuera ainsi à naviguer fièrement en Mer Rouge.
L’Arabie saoudite n’a pas souhaité participer aux Accords d’Abraham, le rapprochement irano- saoudien lui permet donc de les relativiser à son avantage.
En résumé cet accord est parfaitement conforme à la politique étrangère de l’Arabie Saoudite articulée autour de quatre points cardinaux :
- Contenir l’Iran et ses proxys
- Assurer la prééminence religieuse du wahhabisme
- Asseoir sa précellence au sein du monde sunnite et arabe
- Maintenir la rente pétrolière.
- Surveiller tout deal entre des pays arabes et Israël afin de contrôler l’importance des nouveaux flux pétroliers vers la Méditerranée
- Diversifier son réseau de relations
En somme au menu de la nouvelle architectonie mondiale, l’Arabie Saoudite exerce un appétit curieux, de tout et de tous, en choisissant les plats qui lui sourient et qui comblent son palais. Du très grand art en somme tant l’exécution en est impeccable. L’Arabie Saoudite pratique le » Grand Style » cher à Nietzsche.
La subtilité et la complexité du jeu saoudien sont dignes de la diplomatie vaticane voire de l’Inde et de sa stratégie de multi-alliances.
Avec le kairos qui est le leur, les Saoudiens ont très vite compris que l’Amérique du XXIe siècle n’avait plus pour elle les yeux de Chimène. Elle sut patiemment attendre un alignement des planètes. Désormais l’Arabie Saoudite ne se veut plus vassale, elle se dote d’ailleurs de tous les moyens pour retrouver d’abord son rôle d’hégémon régional, puis de puissance mondiale. Le Royaume obtient d’ailleurs pour la première fois la présidence du G20 en 2020. Le Royaume, et cela ne date pas uniquement de l’influence de MBS, a désormais des ambitions mondiales.
A ce trébuchet, ses ambitions touristiques, écologiques et d’énergies vertes révèlent sa volonté d’avoir un vrai Soft Power. Au Palais d’Al Yamama, l’on a compris que Ryad ne serait plus le primus inter pares pour Washington, il était donc logique que Washington ne soit plus l’allié exclusif de toutes les attentions saoudiennes. Certes Ryad partage avec Israël l’attention constante des USA, mais l’on jouait dans des cours différentes et cloisonnées.
Pour l’Arabie Saoudite, le New Pivot est l’équivalent de ce que fut le refus de Kennedy de livrer des missiles Skybolt lors de la conférence de Nassau en 1961 à la Grande-Bretagne.
Ce fut le marqueur de la fin de la relation spéciale États-Unis- Grande-Bretagne. L’Arabie Saoudite a l’impression de rejouer cette scène.
Dans la mesure du possible l’Arabie saoudite essaiera de conserver de bonnes relations avec tout le monde, Israël compris. C’est son New Pivot.
Les récentes visites de dirigeants Iraniens et Palestiniens éclairent et confirment la longue pratique de sa politique étrangère.
Nous analyserons plus loin quelles sont les implications pour Israël.
Des trois acteurs dans cette pièce qui n’a pas encore livré tous ses secrets, et qui tels les bons romans d’espionnage est un jeu à plusieurs bandes et à moult rebondissements, constatons qu’après tout rien de plus normal à cette volonté.
Mais des trois acteurs la performance la plus spectaculaire et la plus brillante est celle de l’Arabie Saoudite.
L’Iran est exsangue, à bout de souffle, il ne vacille pas, mais sa situation économique est chaque année plus catastrophique. Il survit grâce aux perfusions russes et chinoises. La révolte des femmes voilées, fermement et brutalement réprimée ne menace pas réellement le régime. L’aide qu’il dispensait, on ne peut plus généreusement, à ses proxys dont le Hezbollah sera désormais plus parcimonieuse ce qui devrait intéresser Israël.
Mais pour autant sa marge de manœuvre, hors son étranger proche, était assez limitée. Dans le vaste monde, l’Iran- chantage nucléaire à part conduit une diplomatie passive et non active. Quant à sa guerre par Houthis interposés l’on ne saurait la qualifier de particulièrement convaincante.
Dans le triangle Beijing, Ryad, Téhéran, Téhéran est le maillon faible.
Beijing, dispose d’une population d’un 1.400.000.000 d’individus, possède les plus fortes réserves de change au monde, soit plus de 3200 milliards de dollars, son budget militaire est de plus de 250 milliards de dollars, soit le tiers de celui des États-Unis, que la Chine met à l’eau tous les deux ans l’équivalent de la Marine française et qu’elle éploie ses tentacules grâce aux routes de la soie dans le monde entier, tout est facile à la Chine. Avec de tels impedimenta, la Chine joue sur du velours !
L’Arabie Saoudite ne bénéficiant pas de telles facilités et n’étant pas entravée par les risques et menaces que connaît l’Iran est donc celle qui joue le plus intelligemment et qui se rapproche le plus de ce que l’on pourrait appeler une « grande stratégie. »
La deuxième raison qui a conforté cette redistribution des cartes est la décision unilatérale et totalement infondée de Donald Trump d’avoir dénoncé le JCPOA. Non pas que paradoxalement l’Arabie Saoudite et Israël n’ont pas poussé de tous leurs feux contre sa signature. Mais l’on se demande encore aujourd’hui quel résultat positif en a découlé. Tous les indicateurs sécuritaires y compris ceux émis par la CIA ou les propres services de sécurité israéliens confirmaient systématiquement que l’Iran respectait scrupuleusement- à tout le moins- la lettre du JCPOA.
Quand bien même imparfait, le JCPOA, comme l’a qualifié si finement Renaud Girard, demeurera comme un modèle du genre que l’on enseignera encore dans trente ans dans les universités. Car désormais, grâce à Donald Trump, l’Iran délivré de ses astreintes, se rapproche chaque jour davantage du seuil nucléaire. L’Histoire retiendra peut-être la décision de Trump comme la plus stupide du vingt-et-unième siècle.
L’Arabie Saoudite assistait donc d’une part à la marche vers le Graal nucléaire de l’Iran ce qui représente à ses yeux incontestablement un problème sinon un danger mais à l’impassibilité américaine et à quelques frappes chirurgicales israéliennes qui ne font que retarder et écrêter les progrès iraniens.
Disons-le clairement le principe cardinal de l’arme nucléaire repose sur le postulat adamantin que celui qui maîtrise la dissuasion nucléaire et dispose d’une capacité de seconde frappe a relativement peu à craindre de l’attaquant. Or ce n’est pas le cas de l’Arabie Saoudite. Elle craint- à juste titre- étant démunie de l’arme nucléaire, que ni les USA ni Israël ne viendraient à son aide.
A partir du moment où le Palais de Ryad comprit ce double constat, il était évident que son changement de pied interviendrait dans les délais les plus brefs. Mais il est un danger réel pour l’Arabie Saoudite et la guerre ukrainienne vient ex-post de lui donner raison. C’est le principe de la sanctuarisation agressive. Celui qui est le maître du feu nucléaire est aussi le maître de l’agression, du chantage, ou de la menace. Volonté de brandir le gonfalon nucléaire vaut victoires et autorise toutes les prédations, tous les conflits de basse intensité.
Dès lors la géographie, la géopolitique des hydrocarbures, et la situation militaire préparaient voire commandaient la seule solution qui s’imposait à elle à savoir suivant le principe britannique : If you can’t beat them then join them.
Rapprochement avec l’ennemi héréditaire lequel avait de surcroît le grand mérite d’être aux abois. Restait à trouver un parrain. Un parrain capable d’éployer sa bénévolence lorsque ses intérêts le lui commandent. Ce parrain a un nom : la Chine ; ce parrain en a les moyens, ce parrain en a l’ambition. Le kairos fut éclatant.
Nous le devons à l’incurie incommensurable de Donald Trump. Mais déjà le 21 juin 2019 un drone américain, RQ4A Global Hawk redoutable drone espion, est abattu au-dessus des eaux internationales. La réaction fut quasi inexistante au prétexte qu’il n’y avait pas de pilote à bord. Ce qui est somme toute fréquent sur ce type d’appareils !
Le 15 septembre 2019, des missiles de croisière et des drones frappèrent des pipelines saoudiens à partir de l’Iran. Aucune réponse américaine sérieuse ne fut adressée en représailles contre l’Iran. Il devint alors clair et urgent pour l’Arabie Saoudite de réorienter sa stratégie de défense.
Celui qui avait coutume de se qualifier lui-même de génie (l’on ne parle pas ici de celui des Carpates) et alors qu’il n’était qu’un piètre et comique matamore en refusant toute rétaliation autre que verbale à l’encontre de l’Iran mit- définitivement- fin au paradigme : « US Security in Exchange for low oil price. »
Malgré tous les espoirs qu’on avait cru pouvoir formuler, le JCPOA n’a pas repris. Cela est dû essentiellement à deux facteurs : le refus des Américains d’abandonner la qualification d’organisation terroriste au Corps des Gardiens de la Révolution et à une exceptionnelle intransigeance iranienne. Mais paradoxalement, c’est parce que les Iraniens se sont montrés inflexibles et donc que les Américains ne les ont point amenés à Canossa que l’Arabie Saoudite suivie par certains pays du Golfe a conclu à la nécessité d’un rapprochement entre les frères ennemis séculaires.
À côté de ces facteurs structurels, l’on doit aussi relever d’autres raisons mais qui n’auraient pas suffi à elles seules. Nous ne nous étendrons donc pas outre mesure dessus.
Le premier élément est la chute de l’URSS et du communisme. Pour l’Arabie Saoudite, le communisme représentait l’Antéchrist. Certes la Chine demeure plus que jamais un régime communiste. Entre Beijing et Ryad l’on rappellera utilement Thésée qui nous a si éloquemment appris : « Le ciel quelquefois d’un instant favorable dispose, et souvent en un jour donne ou ravit le tout. » 8
Mentionnons également face à la montée de l’hégémon chinois, la baisse relative de l’influence américaine. Le New Pivot a montré qu’au Moyen-Orient le piège de Kindleberger sévissait tant au niveau militaire qu’au niveau diplomatique. Les USA n’ont rien obtenu de l’Iran malgré des sanctions plus qu’impressionnantes, ni les résultats tangibles qu’ils avaient ambitionné de la part d’Israël en vue d’une solution à la question palestinienne, alors que celle-ci demeure- quoi qu’on en dise- une revendication essentielle à Ryad, bloquant ainsi toute reconnaissance ultérieure d’Israël. En outre les Américains avaient lâché Moubarak ce qui ne pouvait que contrister fortement l’Arabie Saoudite.
Du côté israélien, l’Arabie Saoudite n’avait pas oublié la rebuffade israélienne au plan de Paix du Roi Abdallah en 2002. Pourtant ce plan en dix points représentait une occasion intéressante et des avancées significatives. Les Américains s’étaient d’ailleurs bien gardés de soutenir activement ce plan, le condamnant ainsi à rejoindre le cimetière déjà fort encombré des échecs diplomatiques dans la région.
Au Moyen-Orient les souvenirs des humiliations et des refus sont tenaces.
Enfin et cette question n’est pas qu’anecdotique l’antipathie personnelle, la haine voire le mépris de MBS affiché ostensiblement envers Joe Biden. Mépris qui s’est traduit dès le départ de Biden du sol saoudien dans le refus du Royaume d’augmenter sa production de pétrole. Ce fut un véritable camouflet.
Ce faisant, MBS fait payer à Biden le fait d’avoir traité l’Arabie Saoudite d’Etat paria.
Pour l’Iran cette nouvelle posture représente de très nombreux avantages et relativement peu de contraintes. La mollahcratie reçoit une réserve d’oxygène qui va lui permettre de continuer ses exactions et ses exécutions. Outre l’aspect financier, elle redevient un partenaire diplomatique non négligeable non seulement de l’Arabie Saoudite mais des Etats du Golfe. A travers la Chine, elle aura un accès plus ouvert et plus large à des pays comme l’Inde ou d’autres pays asiatiques. Ses livraisons de drones à la Russie lui ouvriront par ailleurs les cieux des Etats du « Sud global ». Ses exportations énergétiques sont désormais assurées.
Si l’axe que l’Iran forme avec la Chine et la Russie fait d’elle un vassal fidèle, elle leur est cependant nécessaire pour l’implantation réussie de la Chine et de la Russie au Moyen-Orient.
Sa politique étrangère sera autonome à condition de respecter scrupuleusement les désidératas chinois ; elle aura certes une plus grande liberté d’action avec la Russie. Pour autant elle s’est engagée à stopper bien sûr tous les actes de belligérance avec l’Arabie Saoudite et devra renoncer à toute aide aux Houthis.
En ce qui concerne sa course nucléaire, l’on peut aisément conjecturer que ses amis chinois calqueront leur politique à quelques kappi près sur la Corée du Nord, suffisamment pour agacer et inquiéter les Américains et les Européens mais tout en restant en dessous d’un étiage qui paralyserait le commerce mondial si nécessaire à la prospérité chinoise et au maintien au pouvoir du Parti communiste avec à sa tête l’indéboulonnable Xi Ji-Ping.
Les menaces brandies occasionnellement par l’Iran de bloquer les détroits en y coulant des navires sont désormais caduques. Enfin il est probable qu’en échange des concessions saoudiennes, Téhéran sera moins menaçant contre Israël, ne serait-ce que parce que désormais l’Arabie Saoudite n’ouvrira pas son espace aérien à d’éventuels raids israéliens contre les sites nucléaires iraniens. Cet accord constitue donc une véritable porte de sortie par le haut pour l’Iran.
Certes l’Iran menaçait auparavant l’Arabie Saoudite mais si elle n’a pas pu venir à bout de sa guerre au Yémen, l’on ne voit pas comment elle combattrait -victorieusement- l’Arabie Saoudite. Son seul pouvoir était un pouvoir de nuisance et l’arme des cours du pétrole difficile à manier.
En Iran le nom Mossadegh résonne encore. L’Irak a attaqué l’Iran le 12 septembre 1980. Les Occidentaux ne se sont point précipités à son secours. Jusqu’à ce jour cela explique, certes partiellement l’animadversité iranienne envers le grand Satan. La haine du grand Satan est plus forte que la haine envers le wahhabisme saoudien.
L’on ne comptait plus les divers noms d’oiseaux et d’insultes dont l’Iran qualifiait l’Arabie Saoudite et la famille royale. Le nœud coulant des Saoudiens sera beaucoup plus souple et l’Iran sortira de son isolement diplomatique.
Mais comme en ce bas monde il n’y a pas de repas gratuit, la Chine présentera tôt ou tard la note.
La Chine fait semblant de respecter les sanctions américaines envers l’Iran, cet exercice sera cependant beaucoup plus compliqué et risqué pour l’Arabie Saoudite. L’on doit déjà se poser la question comment l’Arabie Saoudite fera -t-elle pour résister aux pressions iraniennes en ce sens, car il y aura des demandes. Ne pas y accéder et se conformer aux sanctions viderait dès l’origine la nature de cet accord.
Pour les Iraniens cet accord augmente l’axe anti USA, ce qui rentre dans le viseur chinois. Le discours prononcé en novembre 2022 par Khameney était parfaitement éloquent à ce sujet.
« What role do we Iranians have, and where will we be positioned, in this new order? This is an important question. What is this new order that I am talking about where the current order will be replaced by a new one? It cannot be said for certain, the dimensions and nature of the new order are not exactly known, but a layout can be drawn. There are some basic lines which will certainly exist in this new world order.
« The first basic line of the new order is the isolation of the United States. In the new world order, the United States will be isolated, contrary to what George Bush Sr. said ten, twenty years ago about America being the only dominant power in the world. » 9
Si la haine des USA constitue une explication forte de la politique étrangère de l’Iran, cette dimension n’est pas présente chez les Saoudiens.
Reste la Chine dont les moyens- désormais gigantesques- lui permettent un changement radical du paradigme de son expansion. Le temps du Heping Jueki c’est-à-dire celui de l’ascension pacifique sera de moins en moins pacifique. Le concept chinois du Bu Zhenglun, c’est-à-dire le fait de ne pas se disputer, ou de chercher querelle avait déjà été abandonné par Deng.
Sa fameuse expression « Hide your strength bide your time » si souvent rapportée mais si malencontreusement et si volontairement mal interprétée comme un gage de modération en relations internationales n’était- probablement- qu’un moyen de tromper une fois de plus les Occidentaux jusqu’au moment où l’hégémon chinois pourrait éployer tranquillement et impunément sa force et sa volonté.
Cet accord est le point de rencontre de trois volontés, il a donc toutes les chances de durer. Et d’ailleurs les diverses reconnaissances diplomatiques et visites ont déjà eu lieu. Il a été rendu possible, car après avoir essayé sans succès d’autres médiateurs, l’Arabie Saoudite a estimé que la seule puissance susceptible de lui assurer débouchés commerciaux et une certaine couverture diplomatico-militaire était la Chine, la Russie étant trop affaiblie et les USA hors-jeu.
Outre l’élargissement de ses sources d’approvisionnement énergétique, la Chine approfondit l’axe anti-américain. La Chine y trouve aussi une opportunité de compléter ses routes de la soie avec un corridor maritime et ferroviaire qui lui permettra de moins dépendre du détroit de Malacca.
Ce faisant la Chine se donne incontestablement l’image du Peace maker traditionnellement réservé aux Etats-Unis, ce qui lui permet incontestablement d’autres visées. Pour autant, la Chine va se trouver confrontée à deux problèmes majeurs. Le respect ou non des sanctions à l’égard de l’Iran, la technique des transbordements maritimes n’étant pas sans limites. D’autre part la Chine devra prendre garde si des frictions advenaient entre l’Iran et l’Arabie Saoudite à garder un équilibre entre ses deux obligés. L’Iran était jusqu’à présent le réceptacle privilégié de la manne chinoise, même si à partir de 2022, l’Arabie Saoudite devint le deuxième destinataire des investissements chinois dans le cadre des BRI. Or à partir du moment où l’Iran ne sera plus traité comme la prima donna par la Chine, inévitablement l’Iran voudra toujours davantage de gages. Jusqu’où la Chine sera-t-elle disposée à aller ?
Mais ce qui est certain c’est que la Chine ne diminuera point son soutien à l’Iran, ne serait-ce que parce que les Américains garderont quand même de solides positions stratégiques en Arabie Saoudite. Yanbu n’est pas à Assouan, le Roi Abdallah n’est pas Nasser, et Blinken n’est pas Foster Dulles ! La Chine était donc la seule à être capable de jouer le rôle de l’honest broker.
Est-ce donc la fin de la Pax Americana au Moyen-Orient ? Si l’on entend par là que c’est la fin de l’époque où les Américains étaient les seuls à détenir, au moins depuis Obama, la possibilité d’imposer militairement leur volonté au Moyen-Orient, très certainement ?
Est-ce la fin du rôle d‘honest broker capable de pousser à un règlement entre Israël et les Palestiniens ? Bien évidemment sur le court terme car en ayant dénoncé de façon unilatérale et illégitime très certainement. En dénonçant de façon unilatérale et illégitime le JCPOA dont la conséquence quasi automatique fut l’augmentation du danger nucléaire iranien sans que rien ne fut entrepris de sa part pour y remédier, Trump a définitivement détérioré les assets américains.
En outre en épousant ouvertement et outrancièrement la cause israélienne et en enterrant la cause palestinienne, Donald Trump qui ne fut jamais en retard d’une bêtise stratégique a condamné toute possibilité future de médiation américaine.
L’Arabie Saoudite réserva un accueil flatteur et enthousiaste à Donald Trump que rien ne ravit et rassure autant que la flagornerie, elle s’est bien gardée, pour différentes raisons, de se joindre aux Accords d’Abraham.
La première étant que gardienne des lieux saints, elle ne peut guère aller plus loin dans un rapprochement avec Jérusalem tant que la question palestinienne restera en l’état. S’il est coutume de dire, et pas totalement erroné que les gouvernements arabes ont déserté la cause palestinienne, il n’en va pas de même de la rue arabe. L’image des Printemps Arabes est prégnante à Ryad.
L’on rappellera que si les UAE ou le Maroc ont signé les Accords d’Abraham, c’est sans doute parce que les conflits qui les opposaient à Israël furent les plus sanguinolents de la région. Sagement l’Arabie Saoudite a laissé d’autres Etats s’avancer sans toutefois y mettre son véto.
Il n’est pas interdit de soutenir inconditionnellement un Etat allié, de surcroît démocratique dans la région, mais l’on ne peut après revendiquer le rôle de Deus ex Machina et d’honest broker. Il n’est pas interdit, mais Yossif Vissarionovitch Djougachvili nous a appris qu’il est plus intelligent de toujours conserver deux fers au feu.
Cette colligation des différents facteurs avait donc facilité cette redistribution des cartes.
Pour autant ce n’est ni la fin de l’influence américaine ni même la fin de la présence américaine dans le Golfe. Qatar et Bahreïn resteront toujours des grandes bases américaines. Si l’Arabie Saoudite signe de tels accords avec l’Iran sous le patronage chinois mais aussi directement avec la Chine, cela ne signifie pas qu’elle veut mettre fin à ses relations avec les États-Unis. La diplomatie du Royaume est beaucoup trop sage et trop subtile pour cela. A Téhéran et à Beijing, la motivation anti-américaine est en tête de l’agenda, c’est loin d’être le cas à Ryad.
L’Exordos
Il sera particulièrement intéressant d’étudier la façon dont les Américains réagiront à cette nouvelle donne géopolitique. Notons d’abord la fermeté de la réaction de Biden après la décision de l’OPEP de réduire en octobre 2022 la production de deux millions de barils par jour.
Le président américain a déclaré : « to take action ». Cette menace ne nous semble pas la réaction la plus intelligente. Pour autant l’administration américaine essaie de ne montrer ni désarroi ni étonnement. Ainsi John Kirby, porte-parole du Conseil National de Sécurité déclare : « The US was informed ». Cela en dit suffisamment long sur leur embarras. Il rajoute « To the degree that it could desecalade tensions, all that’s to the good size of the ledger. » 10
Les USA tentent donc d’accompagner le mouvement. Alex Vatanka directeur du programme Iran au Middle East Institute professe quant à lui
“It symbolically makes the United States look like it’s not able to be a key player,” “But it’s not going to be a Chinese-dominated Middle East.”
“It remains to be seen if they can have a meaningful dialogue. Opening up embassies is not the same as having a meaningful dialogue,” “There will be a steep journey ahead.”
Dans cette nouvelle conjoncture, l’Arabie Saoudite pourra tenir avec succès le rôle mondial qu’elle ambitionne à juste titre, aux conditions suivantes : ne pas se jeter dans les bras de la Chine, prouver qu’elle peut contenir les ambitions et gesticulations iraniennes et bien entendu ne pas rompre les ponts avec son allié américain.
Mais surtout elle devra prendre garde à ne pas blesser inutilement les États-Unis. A cet égard baisser la production de pétrole juste après le départ du président Biden fut une vexation inutile. La réponse américaine ne tarda pas bien sûr après cette parole non tenue puisque MBS avait dit accepter d’augmenter la production. Aux USA le manquement à sa parole est toujours très mal vécu.
Biden a ainsi déclaré: “There’s going to be some consequences for what they’ve done with Russia,”. The president would not specify his options or his timetable, leaving the details intentionally vague. “I’m not going to get into what I’d consider and what I have in mind. But there will be consequences.” 11
Le problème est que l’on ne voit pas très bien quelles sont les options qui s’offrent à Biden. Il nous semble que Washington aurait intérêt à accompagner le mouvement, mais le rapprochement irano-saoudien devant le juge de paix chinois ne fait que complexifier la réponse américaine. Clémenceau disait fort sagement : « Quand les évènements nous dépassent feignons d’en être les organisateurs. »
John Kirby reconnait également : « The president was willing to discuss next steps with members of Congress. “Certainly in light of recent developments and OPEC Plus’s decision about oil production, the president believes that we should review the bilateral relationship with Saudi Arabia and to take a look to see if that relationship is where it needs to be and that it is serving our national security interests,” 12
Les USA devront donc naviguer au plus serré et le plus finement possible entre souplesse et fermeté. Ils n’ont aucun intérêt à exercer des mesures de représailles, mais ils doivent définir clairement les lignes rouges que l’Arabie Saoudite ne saurait en aucun cas franchir. Il est donc urgent et pour les États-Unis et pour l’Arabie Saoudite d’entretenir une relation plus mûre et moins névrotique en tenant compte bien sûr de leurs intérêts et des nouvelles réalités géopolitiques d’un monde multipolaire.
Ainsi Martin Indyk, un des plus fins connaisseurs du Moyen-Orient, par deux fois Ambassadeur des États-Unis en Israël et envoyé spécial des négociations israélo-palestiniennes en 2013-2014 écrit ainsi :
“The United States should seek a new strategic compact with Saudi Arabia rather than a divorce,” “We need a more responsible Saudi leadership when it comes to oil production and regional behavior. They need a more reliable U.S. security understanding to deal with the threats they face. We should both step back from the brink.” 13
Il n’est pas sain que l’Arabie saoudite dépende aussi fortement du soutien militaire américain et que les Américains continuent à être drogués au pétrole saoudien.
A y regarder de plus près les Américains peuvent cependant envisager un certain nombre de points positifs dans ce nouveau jeu.
Il y a d’abord la possibilité de mettre fin à la guerre du Yémen. Certes, ils ne sont point directement impliqués dans ce bourbier mais la route maritime séparant Djibouti du Yémen donne accès au Golfe d’Aden, le Yémen jouit en outre d’une façade sur la Mer Rouge. Il contrôle avec Djibouti le détroit de Bab-el-Mandeb porte d’accès au canal de Suez.
Il n’est pas nécessaire d’offrir à la Chine une facilité maritime à Aden après celle de Djibouti. Tout ce qui permet de réduire les tensions dans cette zone sert les intérêts américains. Si l’on considère la réduction des tensions, il est probable que l’on ira vers une stabilisation des cours du pétrole.
Au risque de la simplification extrême considérons que les Américains ont toujours privilégié les situations stables et jouissant d’un climat de paix. (On laissera de côté les problèmes des Droits de l’Homme.) Les soviéto-russes- quant à eux- ont toujours eu besoin de situation de crise pour prospérer et exercer leur pouvoir de nuisance. La Chine, puissance, elle aussi révisionniste, est dans une situation intermédiaire. Si bien entendu, son crédo est la redistribution des cartes, dont elle n’aura de cesse que de la favoriser, une fois obtenus les premiers fruits et tant que cela sert ses intérêts, elle se contentera dans la mesure du possible d’une stabilité future tant sa prospérité et la survie du Parti communiste ont besoin du commerce mondial.
Il n’est donc pas absurde d’espérer une espèce d’entente entre la Chine et les USA dans cette région où certains de leurs intérêts le leur commandent. Après tout il y a des zones dans le monde, où les deux superpuissances font coïncider leurs positions. A cette aune, le rapprochement irano-saoudien peut être une opportunité pour les USA voire pour Israël.
Ensuite à partir du moment où les Américains avaient décidé la stratégie intelligente et nécessaire du New Pivot, ils ne pouvaient se permettre que le Moyen-Orient devienne une poudrière où les deux principaux acteurs se déchireraient.
Quant à savoir qui assurera in fine la sécurité des détroits, la réponse sera trouvée plus facilement entre deux pays qui auront enterré la hache de guerre.
Reste la question du nucléaire iranien. Les choses étant arrivées à ce point, l’on ne voit pas ce qui pousserait désormais l’Iran à renoncer à l’arme nucléaire alors qu’il en est désormais si proche. L’on ne voit pas non plus ce que les Américains pourraient lui proposer en échange.
Même à Cuba, Kennedy s’engagea à retirer ses missiles nucléaires Jupiter basés en Turquie pour prix du retrait des missiles soviétiques déployés à Cuba.
Nous nous permettons humblement de rappeler aux Américains ce que le Prince de Bénévent plus connu sous le nom de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et heureusement pour notre plus grand plaisir Evêque défroqué disait :« Il pourra être cède ce qui est d’un intérêt moindre pour obtenir ce qui est d’un intérêt supérieur. »
Les Chinois et les Américains devront donc aider les Saoudiens à canaliser et réfréner les ambitions nucléaires iraniennes ce qui devrait être rendu plus aisé si les rivalités géopolitiques, et les querelles de clochers quant aux rivalités religieuses perdaient de leur intensité.
Si la religion est un catalyseur de discorde, acceptons de considérer qu’elle est aussi fortement instrumentalisée. Après tout, malgré les haines religieuses, des négociations semi-secrètes avaient eu lieu auparavant en ce qui concerne les hydrocarbures entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Reste la peur- pas totalement irrationnelle- de l’Arabie Saoudite du nucléaire iranien. Israël dispose d’environ 90 têtes nucléaires, il n’a donc que peu à craindre des menaces iraniennes. Mais ce n’est pas le cas de l’Arabie Saoudite. Celle-ci doit donc rechercher sa sécurité par une réduction des tensions avec l’Iran et l’on pourrait imaginer- certes à condition d’avoir une imagination fertile-une garantie nucléaire américaine à l’Arabie Saoudite. Ce qui aurait l’avantage de permettre aux USA la pérennité de leur présence. Celle-ci serait confortée de facto et implicitement par la Chine.
Entendons-nous il n’est pas question d’assister à la naissance d’une déclaration chinoise en ce sens, mais la Chine joue en Iran la même pièce qu’en Corée. Encourager le nucléaire Coréen afin qu’il contrarie les Américains mais en prenant bien soin que les Nord-Coréens n’aillent jamais trop loin. Il en va de même en Iran.
Pour autant il est difficilement envisageable désormais de concevoir une garantie américaine à l’Arabie Saoudite alors que les États-Unis l’auraient refusé tout récemment en échange d’une reconnaissance d’Israël. En outre la Chine, et l’on peut compter sur ses moyens de pression, ne tolérera pas que des castilles dégénèrent entre ses deux protégés. Ses assets lui sont trop précieux et complètent parfaitement ses routes de la soie.
La Chine a des ambitions mondiales ; puissance révisionniste tout dans sa politique étrangère appelle une nouvelle architectonie. Mais elle a besoin, beaucoup plus que la Russie, d’un monde avec qui elle commerce.
Ce panorama ne serait pas complet, si nous n’examinions pas les conséquences stratégiques de ce tsunami politique pour Israël. Rappelons qu’Ahmanidejad, ancien président de la République iranienne, appelait-urbi et orbi- à la destruction de l’Etat d’Israël.
Mis à part la parenthèse Rouhani qui, lui, avait osé souhaiter à la tribune de l’ONU ses vœux pour le nouvel an juif du Roch Hachana, l’Iran continue à appeler de ses vœux à la destruction de l’Etat d’Israël et ne cesse de le menacer de ses foudres nucléaires.
Notons tout de même que ce n’est pas l’intention qui compte en dernier ressort mais la capacité d’exécuter ses intentions. Par ailleurs si l’Iran ne ménage pas son soutien militaire au Hezbollah et dans une moindre mesure au Hamas, il faut quand même noter que l’Iran fait tout de même attention à ne pas franchir les lignes rouges implicitement établies par Israël. Si Israël est l’ennemi juré de l’Iran, ce dernier représente pour Netanyahu un axe du mal- commode- dont il faut impérativement éradiquer la menace. Pour autant ce jugement était loin d’être partagé par la majorité de l’appareil sécuritaire israélien. Ainsi Gadi Eisencott, ancien Chef d’Etat-Major de Tsahal avait déclaré à la télévision israélienne en 2016 « The nuclear deal with Iran contains “many risks, but also opportunities » « Iran will make great efforts to fulfill their side of the bargain and enjoy the benefits. »
«It rolls back Iran’s nuclear capability and deepens the monitoring capabilities, » of the international community into Tehran’s activities. »
« that threat to Israel from Iran will decrease in coming years, rise from others » 14
C’était aussi l’opinion d’un autre Chef d’Etat-Major israélien Aviv Kochavi et que rapporte le chef des renseignements militaires israéliens en poste à l’ONU: « l’Iran devenait un peu plus modéré et susceptible de vouloir négocier un accord avec les puissances mondiales qui entreraient les restrictions appliquées à son programme nucléaire. »
Pour Netanyahu, l’Iran est donc le nœud gordien qu’il faut trancher. Tant qu’il agite ses menaces et arme le Hezbollah, Israël ne peut donc- selon Netanyahu- négocier avec les Palestiniens.
Israël est persuadé qu’en vertu de ce principe, les ennemis de mes ennemis sont donc mes amis. Et il est vrai qu’Israël et l’Arabie Saoudite avaient développé depuis quelques années une coopération stratégique sécuritaire dont tout le monde connaissait l’ampleur et les rouages. Elle reposait de façon adamantine sur le fait qu’ Israël et l’Arabie saoudite avaient un intérêt commun primordial à émasculer l’Iran. Les deux Etats qui furent le plus fortement hostiles au JCPOA furent l’Arabie Saoudite et Israël. Des plans existaient permettant un survol de l’Arabie Saoudite par Israël pour aller bombarder les installations nucléaires iraniennes. C’est donc toute la stratégie israélienne qui est réduite à néant par la prouesse chinoise.
Il est donc clair qu’Israël vient de perdre un atout militaire majeur et déterminant puisqu’il ne pourra plus dorénavant utiliser l’espace aérien saoudien. Pour autant,Israël peut compenser ses pertes militaires par un gain politique. L’Arabie Saoudite voulant conserver le maximum d’atouts ainsi que la Chine devraient exercer des pressions sur l’Iran dans les provocations et manifestations les plus risquées de son hostilité envers Israël. Bien entendu cela n’ira pas très loin, mais cela devrait être de nature à attiédir l’intensité de la pression et du danger.
Tout ce qui diminuera la tension devrait être considéré comme positif par Israël. Certes l’Iran ne renoncera pas à son statut nucléaire mais tant qu’Israël jouit de la puissance de ses 90 têtes nucléaires, le risque est plus que limité. Il sera par ailleurs plus compliqué à Israël d’exercer une détérrence crédible à l’encontre de l’Iran en utilisant la complicité silencieuse de l’Arabie Saoudite. La haine iranienne d’Israël par l’Iran est à la mesure de son fantasme irrationnel, mais l’on peut toutefois penser que l’Iran poussé par la Chine et l’Arabie saoudite comprimera son degré d’intensité. La peur d’une première frappe israélienne et d’un éventuel Game Changer nourrit aussi l’agressivité iranienne. A tort ou à raison, mais cette peur est ressentie en Iran et la peur est un des facteurs les plus puissants d’aggravation des conflits.
Au Moyen-Orient aussi le Dilemme de la Sécurité s’applique : le maximum de sécurité pour l’Etat A implique le maximum d’insécurité pour l’Etat B.
Le credo israélien dans une alliance avec l’Arabie Saoudite reposait sur la peur partagée qu’inspirait le danger iranien. Mais il en va des peurs comme des amours, elles finissent par s’émousser avec le temps. En outre la non-réussite iranienne au Yémen ne constitue pas la meilleure preuve de la menace militaire iranienne. A cela s’ajoute une relative nonchalance américaine suite aux attaques iraniennes.
Israël a commis en cette affaire plusieurs erreurs. Celle qui nous vient à l’esprit relève du paradoxe. Avoir si bien, si fortement et de façon récurrente, pointé et dénoncé le danger iranien a eu pour résultat inverse de pousser l’Arabie Saoudite à penser qu’il valait mieux s’entendre avec un tel ennemi afin de le désarmer et de le néantiser.
Avec les Accords d’Abraham, les Israéliens hasardèrent la même erreur grossière que les Occidentaux avaient commis lors de la chute de l’URSS. Ils ont voulu y voir la fin de l’Histoire. Funeste erreur ! Les Israéliens ont cru que les Accords d’Abraham avaient définitivement relégué la question d’un Etat Palestinien aux oubliettes de l’Histoire, à leur grande satisfaction ainsi qu’à celle des Etats Arabes et que désormais Israël était définitivement accepté dans la région. Funeste erreur !
L’influence chinoise dans la région quand bien même ce n’est pas la première fois qu’elle se manifeste est celle de la plus grande envergure, elle s’insère parfaitement dans le cadre d’une « grande stratégie ». La Chine s’était dotée – depuis un certain temps- d’un nombre impressionnant d’outils de la puissance, désormais pourvue de ces moyens, elle entend les mettre en œuvre.
De la même manière que les Américains ne supportent pas l’idée de ne pas être ou de ne plus être le numéro un, les Chinois symétriquement ne supportent ni n’envisagent pas non plus de ne pas être à nouveau la première puissance mondiale.
Vu de Beijing l’on se rappelle qu’il fut une époque où l’Empire du Milieu était la première puissance au monde et les Chinois ne comprennent pas pourquoi ils ne le redeviendraient point.
A l’occasion de la COVID-19, l’on a vu un Xi Ji-Ping proclamer à maintes reprises la supériorité du modèle socialiste chinois. C’est aussi à cette aune qu’il faut soigneusement déchiffrer la poussée chinoise au Moyen-Orient. Beijing a certes profité d’une opportunité, mais elle n’a fait qu’accélérer le tempo.
Elargissons la focale afin de comprendre son kairos. Le surgissement chinois sur la scène mondiale survient grâce à son entrée à l’OMC. Année après année, la Chine a développé – en contournant systématiquement ces règles- à une vitesse foudroyante son industrie et ses exportations, mais celles-ci concernaient essentiellement des produits ne nécessitant que peu de technologies voire aucune.
A la fin de ce cycle, qui comme tous les cycles marque une pause, la Chine doit trouver d’autres relais de croissance. L’on a pu parler en ce qui concerne cette première vague de produits de Chine, comme l’atelier du monde, voire d’invasion chinoise.
Pour autant ces produits n’étaient invasifs ni dans la vie des consommateurs occidentaux ni dans le fonctionnement public des pays.
Or avec la nouvelle vague de produits hyper technologiques, la Chine semble marquer le pas. La raison en est simple : le déferlement de ces nouveaux produits technologiques constitue grâce aux milliards de datas en liaison avec la masse des produits connectés, une véritable ingression de nos sociétés, de nos Etats et de nos vies personnelles.
La Chine marque donc un temps d’arrêt dans son expansion commerciale. Huawei annonce et symbolise à cet égard un tournant.
Les Occidentaux et les Américains en premier lieu, reprennent le lead dans les produits à très forte technologie, même si l’on peut noter quelques exceptions dans l’industrie de pointe chinoise. La raison en est évidente : l’interconnexion de ces produits nécessite une immense dose de confiance. L’on ne souhaite plus confier impunément à la Chine les clés leur permettant de nous espionner jusque dans nos moindres faits et gestes. La Chine devait donc trouver impérativement un relais de croissance, et surtout ouvrir un nouveau front avec les États-Unis.
Les datas sont le nouvel or noir mais prenons garde à ne pas enterrer trop vite le véritable or noir. Dans ce domaine, la Chine était désespérément démunie face aux ressources américaines. Porter le fer en Arabie Saoudite lui permet à la fois de rivaliser avec les États-Unis, de s’assurer un accès stable aux deuxièmes réserves mondiales et surtout d’essayer de s’assurer à tout le moins une cogérance sur la route des approvisionnements mondiaux.
Une des voix de la puissance réside dans les organisations internationales et dans la capacité de dicter ses propres normes. La Chine a pratiqué la politique de l’entrisme dans la quasi-totalité de ces organisations lui permettant ainsi bien souvent d’imposer ses vues. La politique de l’OMS durant la COVID fut à cet égard édifiante.
Or une des dernières organisations où la Chine est absente est l’OPEC. Certes l’on ne voit pas la Chine adhérer à l’OPEC ou à l’OPEC+ plus, mais le deal qu’elle parraine entre l’Iran et l’Arabie Saoudite lui permettra- c’est en tout cas son but- d’où d’avoir une position de passager clandestin dans ce forum.
Le pétrole échappe à toutes les règles régissant le commerce mondial. Son commerce est par essence d’une nature régalienne et il est essentiellement échangé soit par des sociétés multinationales soit par des sociétés nationales pour des pays comme la Chine, la Russie ou l’Arabie saoudite.
Cette nationalisation des échanges correspond aussi à la reprise en main ou pour le dire autrement à la renationalisation de son industrie par le Parti communiste chinois.La Chine a donc habilement profité du refroidissement des relations pétrolières entre les États-Unis et l’Arabie saoudite. Toujours dans cet esprit, parions sur une entreprise prochaine de séduction de la Chine vers le Venezuela.
L’Arabie Saoudite, à rebours de sa componction diplomatique habituelle semble mener les choses rondement après des reconnaissances diplomatiques et des visites de dignitaires iraniens de haut rang. L’Arabie Saoudite après des années de brouille avec le Hamas, après avoir pourchassé et arrêté nombre de ses militants, invite Ismaël Haniyeh et son adjoint à effectuer un pèlerinage à la Mecque. Mahmoud Abbas, s’est également déjà rendu en Arabie Saoudite. Ce rapprochement sino-saoudien correspond donc parfaitement à une logique et aux intérêts bien compris de chacun des trois protagonistes.
L’on a vu en Israël, Netanyahu et son prédécesseur Yair Lapid se rejeter mutuellement la faute de cet échec de la diplomatie israélienne, cela nous semble parfaitement ridicule tant ce rapprochement était inscrit dans l’évolution géopolitique.
En 2019, l’Arabie Saoudite avait même arrêté nombre de militants du Hamas au prétexte de la menace qu’ils représentaient pour le Royaume. Les USA avaient tenté de parrainer un vol direct de Tel Aviv-La Mecque, l’Arabie saoudite n’y donna pas suite et pourtant en 2022 le Royaume avait autorisé le survol de son espace aérien par des avions civils israéliens.
Netanyahu, tout à l’ivresse de sa victoire et atteint d’une immense hubris, avait même déclaré qu’un accord de normalisation avec l’Arabie Saoudite constituerait un formidable « bond en avant » dans des négociations de paix avec les Palestiniens.
“I certainly believe that the peace agreement between us and the Saudis will lead to an agreement with the Palestinians,” 15
Le New York Times rapporte que quelques heures avant la signature des accords à Beijing, MBS avait soumis une offre à Washington de reconnaissance d’Israël en échange d’un assouplissement des ventes d’armes américaines à l’Arabie saoudite de garanties sécuritaires ainsi que de la participation américaine pour développer un programme nucléaire civil en Arabie Saoudite. Toutefois il ne semble pas que cette offre représenta autre chose qu’un effet de communication, tant elle était tardive et tant l’antipathie personnelle mutuelle entre MBS et Biden était forte. Le New York Times rapporte :
« Mr. Alghashian said it was unlikely that Saudi officials would actually facilitate a major foreign policy victory for Mr. Biden while he was still president, given their grievances with his administration. »
“The Saudi ruling elite do not want Biden to be the American president to take credit for Saudi-Israeli normalization, but they don’t mind Biden taking the blame for its absence,”
« Last month, Prince Faisal bin Farhan, the Saudi foreign minister, called the situation in Israel “a very dangerous moment” and said that any peace with the country must “include the Palestinians, because without addressing the issue of a Palestinian state, we will not have a true and real peace in the region.” 16
« Saudi officials have said they cannot forge normal relations with Israel — a step that would include formal diplomatic interactions and likely also trade and travel agreements — before a Palestinian state is established. But some people familiar with the discussions said they believe the Saudis, who have been building closer unofficial ties to Israel, would settle for less than that. The discussions were reported earlier by The Wall Street Journal.
“a very dangerous moment” and said that any peace with the country must “include the Palestinians, because without addressing the issue of a Palestinian state, we will not have a true and real peace in the region.”
D’autre part et paradoxalement les USA reprennent la main.
Mr. Indyk said. “That creates a situation where Biden has leverage over Netanyahu to persuade him that nothing good can happen with Saudi Arabia if he allows the situation in the West Bank and East Jerusalem to explode.”
Le journal italien La Republica rapporte les propos optimisteslors du voyage en Italie de Netanyahu, propos qui interrogent par ailleurs sur l’état de ses renseignements : “I certainly believe that the peace agreement between us and the Saudis will lead to an agreement with the Palestinians,”
S’il nous semble hors de propos- ne serait-ce qu’en raison de la chronologie- de penser que la droitisation extrême et la radicalisation du nouveau gouvernement israélien sont responsables de ce réalignement, force est de constater que les propos nauséabonds tenus par le ministre des Finances Israélien Betsalel Smotrich- « d’anéantir et de raser » la ville de Huwara ont été qualifiés par l’Arabie Saoudite de « racistes et d’irresponsables ».
La posture israélienne est considérée par l’Arabie Saoudite et certains signataires des Accords d’Abraham comme refusant toute négociation sérieuse avec les Palestiniens. L’Arabie Saoudite n’est donc pas prête à signer les Accords d’Abraham douchant ainsi les chimères de Netanyahu. Les Accords d’Abraham ne devraient pas être réellement menacés, ils connaîtront sans doute une pause puis continueront mais mezza voce.
Par contre une des conséquences majeures de ce parrainage chinois est de réintroduire la question palestinienne au cœur du conflit. La quasi-totalité des pays du Moyen-Orient avaient enterré les Palestiniens. C’était oublier que Jérusalem est le lieu par excellence de la résurrection.
Il est certes encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences de l’irruption chinoise sur la scène du Moyen-Orient. Ce qui est certain c’est que la réconciliation irano-saoudienne ne revêt pas une importance moindre que la percée chinoise. Dans cette recomposition géopolitique, il est probable que l’Égypte sera partie prenante. L’Égypte dont les liens avec la Russie se sont solidifiés ces dernières années suivra le mouvement de réconciliation. Pour autant elle continuera à jouer les go-between avec Israël. C’est avec l’Égypte qu’Israël a développé les coopérations militaires les plus fortes.
A ce stade l’on peut affirmer sans guère se tromper que nous venons d’assister à la montée sur le podium des olympiades géopolitiques, de la Chine, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran.
Cela est-il dû à l’inexorable montée en puissance chinoise, à une réelle volonté de réconciliation des deux principaux acteurs de la région ?
Et si oui qu’en sera-t- il de la Turquie ? De la baisse durable de l’influence américaine ou bien des conséquences de la redéfinition des intérêts stratégiques américains ? Si cette dernière hypothèse est validée, cela pourrait signifier au contraire le réveil de l’aigle américain désormais désireux de croiser le fer avec la Chine mais en Asie.
Une des leçons que ce réalignement des planètes nous inspire est que dans certaines circonstances, les hommes et c’est heureux ainsi, font passer leurs intérêts avant leurs passions, et avant les querelles religieuses. Ce qui est en soi un élément positif puisqu’il permet alors la conclusion de compromis.
Nous l’avons affirmé plus haut, les USA sont appelés, sauf bévue monumentale de leur part- mais espérons que l’aventure irakienne leur aura servi de leçon-à rester un des acteurs influents dans la région. Si dorénavant ils ne pourront plus dicter inconditionnellement la lex americana, ils devraient être en mesure de veiller, aider et participer à une certaine stabilité dans la région.
Ce qui serait à elle seule un énorme progrès. Il est vrai que les populations invoquent Dieu et ses miracles. Les Américains devront abandonner leurs rêves puérils de democracy building qui est précisément ce qui a induit leurs échecs. Winston Churchill disait fort judicieusement : « C’est une belle chose d’être honnête, mais il est également important d’avoir raison. »
Les Chinois quant à eux l’ont parfaitement compris. Les Droits de l’Homme ne sont pour eux que fariboles et billevesées permettant une opportunité pour enfoncer un clou dans le camp occidental. L’affadissement- même relatif ou minime- de la religion en tant qu’acteur de la vie des relations internationales nous semble un élément capital n’en déplaise à tous les extrémistes religieux passionnés et drogués par l’Histoire fantasmée.
Tout ce qui concourt à la diminution des passions, à la montée en puissance des intérêts et à la primauté du calcul rationnel, à l’évitement de la peur, doit être salué et encouragé.
A cet égard le rapprochement irano-saoudien est non seulement une formidable opportunité mais également une vraie leçon de courage et de realpolitik. Il est si rare de cumuler les deux.
Que la nature des régimes en vigueur à Beijing, Téhéran ou Ryad ne soit pas l’idéal qu’on enseigne dans l’Université française n’est contesté par personne. Saluons tout de même les avancées saoudiennes notamment en ce qui concerne le droit des femmes.
Notons cependant que l’actuel Ambassadeur Saoudien de l’Arabie Saoudite à Washington depuis février 2019 est Madame l’Ambassadrice. Ce n’est certes pas tout mais ce n’est pas rien.
Mais là n’est pas le problème. Oscar Wilde nous a appris : « La question n’est pas de savoir si tel livre est moral ou bien immoral. Les livres sont mal écrits ou bien écrits. C’est tout »
L’autre condition pour le maintien de l’influence américaine dans la région est que les Américains reviennent à une position plus neutre dans le conflit palestinien. S’ils veulent redevenir un facilitateur de règlement, les deux parties doivent avoir sinon la même confiance en eux. Ou mieux encore : la même détestation de leurs propositions. Dans la mesure où l’insatisfaction d’Israël et de la Palestine sera de même intensité, alors une petite lueur d’espoir surgira à nouveau.
Les Saoudiens redécouvrent dans ce rapprochement les délices, les charmes et les avantages de la bigamie diplomatique qu’ils avaient de tout temps pratiquée à titre privé. Nul ne saurait les en blâmer. Sans aller jusqu’à parler de chantage, le jeu saoudien s’il respecte un certain équilibre entre Washington et Beijing leur conférera une nouvelle visibilité internationale.
La sagesse chinoise ancestrale accordait à tout mandarin jusqu’à sept femmes. La marge est donc grande.
Les Américains avaient refusé leur aide pour développer l’industrie nucléaire en Arabie Saoudite. Risquons un paradoxe. Une Arabie Saoudite nucléarisée était l’étape nécessaire à sa dissuasion donc à diminuer la peur que l’Iran lui inspirait. C’était aussi conséquemment pour Israël l’assurance d’une quasi-alliance saoudienne. Mais comme tout calcul, il comporte une part de risque. À trop bien fonctionner, il n’a fait que jeter les bras de l’Arabie Saoudite aux portes du bazar de Téhéran.
Certes il demeure une incontestable zone d’incertitude dans laquelle Téhéran et Riyad pensent et espèrent devenir le vrai leader dans la région. L’Arabie Saoudite en sus d’être gardienne des lieux saints ou de la véritable pureté idéologique, se rêve elle aussi la gardienne des détroits.
Un seul lit pour deux rêves !
En cette occurrence, l’Arabie Saoudite voit avec la fin des attaques iraniennes, le temps nécessaire permettant les plans ambitieux et pharaoniques Vision 2030 de MBS qui vise à catapulter l’Arabie Saoudite parmi les grands qui comptent en ce monde
D’aucuns posent la question récurrente de l’Iran. Sans vouloir la nier, et en laissant de côté le débat de la vitalité de la dissuasion nucléaire, nous voudrions juste saluer la pertinence de cette nouvelle posture. Le Congrès de Vienne dans sa grande sagesse eut l’intelligence d’intégrer la France, pourtant battue dans le Concert des Nations. Metternich avait compris que cette solution était préférable à une ostracisation punitive et pénalisante mais nourrie par une revanche inextinguible et qui serait prête à la moindre occasion à renverser l’ordre européen. Il en va de même au Moyen-Orient.
Si l’on devine aisément le calcul sous-jacent de la Chine et le bénéfice intangible qu’en retire un Iran isolé et sanctionné à bout de souffle mais fort de quatre-vingt-trois millions d’habitants, l’on ne peut que saluer la sagesse et l’intelligence de l’Arabie Saoudite.
Quant à ce rapprochement, les cyniques s’inspireront d’Oscar Wilde : « Votre sincérité est telle que je ne puis croire un seul instant ce que vous dites.»
Les réalistes parce qu’ils privilégient le Verantwortungsethic plutôt que celui du Gesinnungsethik s’inspireront fièrement d’une autre pensée d’Oscar Wilde : « la seule différence entre le caprice et une passion éternelle est que le caprice dure plus longtemps. »
Léo Keller
Directeur du blog de géopolitique Blogazoi
Professeur à Kedge Business School
- In Don Juan ou le festin de Pierre ↩
- Thomas Gomart in Les Ambitions inavouées page 251 ↩
- Ernest Renan in Qu’est-ce qu’une Nation ↩
- Avi Ditcher interview à la chaîne de télévision israélienne Chanel le 7/04/2023 ↩
- Obama in the Atlantic Mars 2016 ↩
- Propos tenus par Raissi au premier ministre irakien en Février 2022 ↩
- Henry Kissinger in Pour une nouvelle politique étrangère américaine page 56 ↩
- Racine in Phèdre ↩
- Discours prononcé par Khamenel le 2 novembre 2022. ↩
- In The Hill 11/03/2023 ↩
- Biden interview Jake Tapper in an interview broadcast on Tuesday night CNN le 4 octobre 2022. ↩
- White House Avril 2021 ↩
- In New York Times 11/03/2023 ↩
- Gadi Eisencot interview télévision israélienne le 18 janvier 2016 ↩
- In New York Times 5 Mars 2023 ↩
- In New York Times 9 Mars 2023 ↩